Incendie OVHcloud : la force majeure rejetée en Cour d'appel
Face à France Bati Courtage, OVHcloud voit sa responsabilité largement limitée, mais n'est pas parvenu, comme en première instance, à faire valoir la force majeure.

Nouvel échec pour OVHcloud dans sa tentative d'invoquer la force majeure face à France Bati Courtage.
Cette entreprise basée à Sceaux (Hauts-de-Seine) est à la tête d'un réseau commercial de courtiers en travaux. Des indépendants franchisés qui exercent sous l'enseigne La Maison des Travaux. L'entreprise développe son activité essentiellement par l'intermédiaire du site internet lamaisondestravaux.com.
France Bati Courtage avait souscrit, auprès d'OVHcloud, un contrat de location de VPS (serveur privé virtuel). Il y avait ajouté, en avril 2018, une option complémentaire de "sauvegarde automatisée". Un backup qui, selon les termes de l'offre, était planifié quotidiennement, exporté puis répliqué trois fois, avec un espace de stockage physiquement isolé de l'infrastructure du serveur.
Après l'incendie à Strasbourg en mars 2021, la récupération des données avait été impossible. VPS et backup se trouvaient tous deux dans le datacenter SBG1, non remis en marche.
France Bati Courtage avait évalué son préjudice à environ 6,5 M€. En janvier 2023, le tribunal de commerce de Lille lui avait accordé beaucoup moins (100 000 €). Il avait jugé, entre autres, que la société :
- N'avait pas perdu la totalité de ses sites Internet et avait pu récupérer de vieilles sauvegardes
- N'avait pas prouvé l'existence d'URL qu'elle disait avoir été détruites
- Avait soutenu moins de coûts que prévu pour restaurer ses sites Internet
- N'avait pas justifié de la désorganisation qu'aurait causée la perte de ces sites
- Faisait face à un préjudice incertain autant pour 2022 que 2023
OVHcloud n'était pas parvenu à faire valoir la clause 7-7 de ses conditions générales, relative à la force majeure. Elle doit être réputée non écrite, avait considéré le tribunal, notant en particulier qu'elle privait de sa substance une obligation essentielle du contrat (réaliser des copies de sauvegarde et les mettre en sécurité).
Dans un arrêt du 24 avril 2025, la cour d'appel de Douai a infirmé ce point du jugement. Ce n'est pas pour autant qu'elle a déclaré la clause applicable à l'incendie de Strasbourg. Son postulat : l'incident ne répond pas à la qualification de force majeure, car il ne s'est pas "trouvé hors de la maîtrise tant intellectuelle que matérielle" d'OVHcloud. Les pièces versées aux débats ne permettent effectivement pas d'en déterminer précisément l'origine, ni d'établir qu'il était "en dehors du contrôle" de l'hébergeur. En outre, dans un environnement de datacenter, un tel événement n'est ni imprévisible ni irrésistible pour les propriétaire des locaux, ce que démontre l'existence de mesures de prévention.
Une infrastructure isolée physiquement n'implique pas un autre datacenter
Concernant la prévention, la Cour d'appel a confirmé le jugement de première instance en ce qu'OVHcloud n'a pas commis de faute lourde ou de graves manquements à la sécurité anti-incendie.
Elle a en revanche infirmé nombre d'autres points. Y compris sur la question de l'isolation physique. Le Tribunal de commerce avait retenu une faute d'OVHcloud, en l'objet du stockage des sauvegardes dans le même datacenter que le VPS. Selon son raisonnement, l'hébergeur avait les moyens de les stocker dans un autre datacenter "pour réaliser sa mission conformément aux règles de l'art". Il n'avait, par ailleurs, pas démontré avoir proposé à France Bati Courtage une offre spécifique de sauvegarde sur site distant ; ni même que cette offre existait lors de la souscription.
La cour d'appel de Douai relève que l'expression "physiquement isolé de l'infrastructure", figurant dans le contrat, ne donne lieu à aucune définition spécifique dans les conditions générales. Elle affirme qu'il faut alors entendre des services reposant sur des infrastructures distinctes et séparées, "sans qu'elles soient nécessairement géographiquement éloignées".
L'offre ne mentionnait d'ailleurs, poursuit-elle, aucune condition de distanciation géographique entre serveur et backup. Tant au niveau des descriptions de services que des prescriptions contractuelles. Et il existait bien, à la date de souscription, une solution de sauvegarde à distance (PRA sur base Zerto).
S'il devait y avoir une quelconque obligation résultant des règles de l'art (notamment du 3-2-1), France Bati Courtage ne la démontre pas, quand bien même il considère que stocker les données au même endroit que le serveur principal relève d'une "hérésie technique".
Des clauses de limitation et d'exonération de responsabilité valides
Concernant la sécurité du bâtiment, il n'est pas démontré que le non-respect des obligations en matière de résistance au feu a eu une incidence sur le déclenchement ou l'aggravation de l'incendie (particulier car lié à un départ simultané de feu dans la salle des batteries et la salle des onduleurs, non soumise explicitement à la réglementation IPCE).
Au-delà de la force majeure, la cour d'appel de Douai affirme la validité des clauses d'exonération de responsabilité d'OVHcloud. En tête de liste, celle qui couvre la "perte, altération ou destruction de tout ou partie des contenus [...] ou autres éléments hébergés sur l'infrastructure" dans la mesure où l'hébergeur "n'est pas en charge de la gestion de la continuité des activités du client et notamment des opérations de sauvegarde" (clause 7-3). D'une part, parce qu'elles ne privent pas de leur substance ses obligations essentielles. De l'autre, parce qu'elles ne créent pas de désquilibre significatif entre les obligations et droits respectifs des parties.
En ce sens, France Bati Courtage ne peut, par exemple, prétendre que la pertes des sites et VPS comprendrait nécessairement la perte des données.
Plus globalement, la cour d'appel de Douai dit l'absence de préjudice de perte des actifs incorporels. Les sites Internet sont devenus indisponibles, mais n'ont pas disparu, leur reconstitution, même partielle, s'étant avérée possible.
De même, la baisse d'activité liée à "l'érosion exponentielle du référencement" tombe sous le coup de la clause 7-3, au titre de l'exclusion du dommage indirect. Même sort pour l'atteinte à l'image, qui relève du préjudice commercial. Quant à la désatabilisation du réseau France Bati Courtage, les pièces manquent pour la matérialiser dans l'ampleur dénoncée.
Il y a, en revanche, bel et bien préjudice en l'objet des dépenes engagées pour rétablir l'ossature des sites Internet en urgence, relancer une activité web et tenter de rétabli un référencement acceptable. La Cour d'appel estime le coût global à 47 900 €. Essentiellement en charges internes, rien ne permettant de rattacher à cet épisode l'essentiel des factures de prestataires externes.
OVHcloud n'aura toutefois à verser que 1800,48 €, en vertu d'une clause limitative (7-2). Celle-ci plafonne, dans les grandes lignes, l'indemnisation d'un client au montant des sommes qu'il a payées sur les 6 derniers mois.
Ces 1800,48 € valent pour l'option de sauvegarde automatique. Ils complètent le bon d'achat 941,22 € qu'OVHcloud avait accordé à France Bati Courtage en mai 2021 pour l'offre VPS.
Illustration (datacenter Strasbourg 1) © OVHcloud
Sur le même thème
Voir tous les articles Business