VMware condamné à poursuivre le support de licences perpétuelles sur des infrastructures vitales
Aux Pays-Bas, un juge des référés a ordonné à Broadcom de fournir jusqu'à 2 ans de support à un organisme gouvernemental le temps qu'il quitte VMware.

Aux Pays-Bas, Broadcom vient d'essuyer une défaite judiciaire qui pourrait faire tache d'huile.
Une ordonnance de référé le condamne à poursuivre le support de licences perpétuelles au bénéfice d'un organisme gouvernemental.
Cet organisme, le Rijkwaterstaat (RWS), dépend du ministères des Infrastructures et de la Gestion de l'eau. Il est notamment responsable du développement des routes nationales et des voies navigables.
Un contrat de support prolongé par à-coups
Depuis plus de 15 ans, le RWS est client VMware. Il dispose de millions de licences perpétuelles - les dernières acquises en novembre 2023 - pour des produits comme vSphere, NSX, vSAN, vCenter Server, Aria Automation/Operations et Site Recovery Manager.
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Le dernier contrat de support signé entre le revendeur du RWS et VMware date du 23 juillet 2021. Il avait une durée de 3 ans.
Au printemps 2024 (après le passage de VMware dans le giron de Broadcom, donc), le RWS avait demandé une prolongation. Les revendeurs sollicités avait expliqué ne pas être en mesure de faire une offre appropriée. Interrogé, Broadcom avait indiqué ne pas souhaiter prolonger le contrat. À la place, il avait présenté une "offre indicative" incluant VCF et VCF Edge, pour 18,65 M€ sur 5 ans - coût nettement supérieur au précédent.
Le 12 juillet 2024, le RWS avait prié Broadcom de permettre aux revendeurs de soumettre des offres. L'organisme gouvernemental avait ajouté ne pas souhaiter basculer sur de nouvelles offres alors qu'il avait acheté des produits pour lesquels il possédait des licences à vie.
Peu avant la date d'expiration, Broadcom avait accepté une prolonation jusqu'au 30 septembre 2024, reconnaissant la "valeur critique" de ses logiciels pour le RWS compte tenu de ses activités touchant à des infrastructures vitales.La demande serait honorée à condition de parvenir, avant le 13 septembre, à un accord sur la suite, précisait le groupe américain.
Le RWS avait contesté les conditions fixées. Il estimait que Broadcom avait veillé à ce que les revendeurs ne soient pas en mesure de proposer une offre adaptée. Il pointait aussi un manque de transparence quand aux produits et aux prix proposés. Tout en regrettant que la prolongation proposée soit trop courte.
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Broadcom avait finalement concédé une prolongation jusqu'au 1er novembre 2024.
Trois mois plus tôt, le RWS avait reçu les premiers devis des revendeurs. Tous impliquaient un passage au modèle de l'abonnement, pour 16,5 à 16,9 M€ sur 3 ans. Des prix qui, comme Broadcom l'avancerait ultérieurement, tenaient compte d'une remise de 5,3 M€ au titre des licences perpétuelles acquises en 2023.
Peu avant l'échéance du 1er novembre 2024, Broadcom avait acté une troisième prolongation, "limitée", jusqu'au 23 juillet 2025, le temps de trouver un accord sur la transition vers les abonnements. Le RWS avait répliqué en sollicitant non pas un an, mais trois ans de support supplémentaire. Broadcom n'avait pas accédé à la demande et avait transmis d'autres offres sur abonnement... à un prix supérieur aux précédentes.
Un support de sortie... ou l'accès au code source
En mars 2025, le RWS avait officialisé sa volonté de quitter progressivement VMware, en deux à trois ans. Il avait alors dit s'attendre à bénéficier d'un "support de sortie" pendant cette période, pour un montant maximal de 2,2 M€ par an. Broadcom y avait opposé une fin de non-recevoir.
Dans ce contexte, le RWS avait saisi la justice. Sa requête, dans les grandes lignes : que Broadcom lui fournisse ce support de sortie (mises à jour et mises à niveau de maintenance, correctifs de sécurité et assistance technique) pour ses produits sous licence perpétuelles, jusqu'à l'abandon complet des solutions VMware et au plus tard 3 ans à compter du 23 juillet 2025. Le tout contre un paiement annuel de 1,765 M€.
En guise d'alternative, le RWS avait demandé l'accès au code source des produits VMware pour lesquels il dispose d'une licence perpétuelle, afin d'assurer lui-même le support.
L'organisme gouvernemental prétendait en tout cas qu'en interrompant le cycle de vie de produits et en forçant à en acquérir d'autres à des prix nettement plus élévés, Broadcom manquait à son devoir de diligence et abusait de sa position dominante. Il ajoutait avoir un intérêt d'autant plus urgent à faire valoir ses droits que la fin du support pourrait entraîner des dommages importants à des infrastructures vitales.
Depuis, Broadcom a déclaré qu'après le 22 juillet 2025, il continuerait à proposer des correctifs de sécurité critiques pour les produits en question. Le RWS a toutefois clamé, lors de l'audience, que cette forme de support était insuffisante.
Pas de "négociations commerciales libres"
Pour estimer s'il y a lieu de fournir un support de sortie, le juge a cherché à savoir, en particulier si Broadcom a annoncé les changements en temps utilie et fait des offres appropriées. Mais également si le RWS aurait dû prendre des mesures plus tôt pour quitter progressivement VMware.
Sur l'annonce des changements, il a été tenu compte de la politique de cycle de vie indiquée jusqu'en juillet 2024 sur le site de VMware. L'éditeur s'engageait à offrir 7 ans de support pour chaque version majeure au moins pour certains produits - donc, dans quelques cas, jusqu'en octobre 2029.
Concernant la notion de "temps utile", le juge l'a abordée ainsi : bien que les parties aient apparemment discuté depuis fin 2023 de l'expiration du contrat de support, le RWS n'a eu connaissance de la première offre de Broadcom qu'en mai 2024. Compte tenu de la période de 2 à 3 ans nécessaire pour une migration selon les parties et du fait que le contrat de support expirerait le 22 juillet 2024, le RWS n'a pas eu assez de temps pour envisager l'abandon des produits VMware. Vu sa dépendance à ces produits, il était donc "dans l'impasse" : il n'y a pas eu de "négociations commerciales libres".
D'après le juge, le RWS affirme à juste titre que Broadcom ne lui a pas fait d'offre appropriée. Le groupe américain n'a effectivement pas démontré que ses offres étaient raisonnables compte tenu des licences perpétuelles du RWS, de la politique de cycle de vie précédemment appliquée et de la forte dépendance de l'organisme gouvernemental à ses produits. Quant à l'argument selon lequel l'évolution du portefeuille porte un potentiel de création de valeur future, il est "peu informatif et insuffisant".
Ainsi, en ne s'assurant pas que le RWS bénéficie d'un soutien de support, Broadcom contrevient aux règles de diligence. Le fait que le RWS a pendant un temps déclaré reconnaître et accepter le risque lié à l'expiration du support n'y change rien.
Une mesure provisoire est donc ordonnée, selon laquelle Broadcom doit fournir, passé le 22 juillet 2025, jusqu'à 2 ans de support de sortie. La proposition d'une indemnisation annuelle de 1,765 M€ n'ayant pas été contestée, elle est accordée.
Une procédure de fond devra clarifier la situation si les parties ne parviennent pas à un accord après ce jugement. En attendant, Broadcom est condamné à payer 250 000 € pour chaque jour où il ne se conforme pas à l'ordonnace - jusqu'à un maximum de 25 M€.
Illustration © Annika - Adobe Stock
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