Souveraineté numérique : vers une reconquête française ?
Les Assises de la souveraineté numérique ont été l'occasion pour les intervenants d'écarter le spectre du protectionnisme au nom de l'innovation et de l'audace, mais avec un rééquilibrage fiscal entre acteurs européens et géants du web américains.
Pilotée par l'agence Aromates, la première édition des Assises de la souveraineté numérique vient de se dérouler. Ses intervenants, de Corinne Erhel, députée des Côtes-d'Armor, à Didier Renard, récemment nommé président de Cloudwatt, se sont exprimés sur la vision française de la souveraineté « 2.0 » et sur ses implications fiscales.
« Une politique industrielle forte »
« La souveraineté numérique, c'est être conscient des enjeux tout en étant capable de susciter des innovations », déclare la députée socialiste Corinne Erhel, qui s'apprête, avec Laure de La Raudière (UMP, Eure-et-Loire), à rendre public le rapport de la mission d'information sur le développement de l'économie numérique française. En matière de souveraineté, il n'est pas question d'ériger des remparts pour protéger le pays d'acteurs américains dominants, à savoir les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), mais de se positionner pour « conquérir » des marchés.
« Gagner la bataille numérique c'est faire des champions, pas par le protectionnisme, mais par l'excellence », estime la députée. La souveraineté, autrement-dit l'autorité et l'indépendance d'un État, implique de définir « une stratégie lisible et de mettre en ouvre une politique industrielle forte ». Pour Corinne Erhel, les 34 plans industriels et les travaux de la Commission innovation pilotée par Anne Lauvergeon peuvent y contribuer.
La prime au Cloud souverain ?
La président de Cloudwatt, Didier Renard, va plus loin encore en déclarant que l'enjeu de la souveraineté numérique est à la fois celui de « la reconquête, la sécurité nationale et la création nette d'emploi et de valeur ». Pour le dirigeant, qui prêche pour sa paroisse, « seuls les Cloud souverains, donc liés à l'État actionnaire (ndlr : Cloudwatt et Numergy), pourront faire bon usage des données personnelles collectées massivement ». Thierry Breton (Atos) et Octave Klaba (OVH), co-pilotes du plan Cloud français, apprécieront. Et la notion de « bon usage » des données reste floue. En témoigne la coopération de grands groupes high-tech avec la NSA, Agence nationale de sécurité américaine discréditée à l'international par le scandale des écoutes.
« Protégeons moins, innovons plus », a souligné de son côté, la députée Laure de La Raudière, après avoir rappelé que la capitalisation boursière des entreprises du numérique est captée à plus de 80% par des sociétés américaines, tandis que leurs concurrentes européennes doivent se contenter de 3%. « Nous devons encourager l'innovation et l'audace, être conscients des enjeux et proposer une offre de qualité », a insisté sa collègue Corinne Erhel. Pour y parvenir, des obstacles doivent être levés. Aujourd'hui, les conditions d'une « concurrence juste », en matière fiscale tout particulièrement, ne sont pas réunies. Les ambitions des industriels français sont donc freinées.
De l'équité juridique et fiscale
Lors des Assises, Pascal Thomas, Pdg de Mappy et directeur New Media de Solocal Group, a rappelé la nécessité d'un rééquilibrage fiscal entre acteurs français du numérique, qui paient l'impôt sur les sociétés (IS) en France, et acteurs américains. Ces derniers usent de techniques d'optimisation fiscale, plus familièrement nommées « double irlandais » ou « sandwich hollandais », pour transférer une large partie de leurs profits à l'étranger et ne payer en France qu'un faible pourcentage de taxes. Ainsi, les impôts payés par Google en France se sont élevés à 6,5 millions d'euros sur l'exercice 2012, alors que Solocal assure avoir payé près de 130 millions d'euros d'impôts au niveau national sur la période.
« Nous pouvons pratiquer la conquête, si nous disposons d'un système fiscal et juridique équitable - même écosystème, même fiscalité -, qui permette des financements, car l'innovation se finance », a souligné Pascal Thomas. Avant d'ajouter : « En France, on est plutôt dans une logique défensive. Aux États-Unis, la question des acteurs du capital risque aux porteurs de projets est la suivante : 'comment allez-vous devenir un leader mondial ?' C'est une idée de conquête large, qui manque ici ».
Les politiques d'incitation françaises existent (CIR, JEI.), mais elles manquent d'audace, d'après Olivier Babeau, professeur de stratégie d'entreprise à l'université Paris 8. Pour l'universitaire, il serait plus judicieux de lever les contraintes qui pèsent sur les entreprises françaises et limitent leur compétitivité, plutôt que d'imposer à tous le niveau d'IS actuellement pratiqué en France.
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