ACTA : la Commission européenne persiste et signe

Karel De Gucht

Les commissaires européens confirment vouloir saisir la Cour de Justice de l’UE afin que celle-ci se prononce sur la conformité de l’Accord commercial anti-contrefaçon avec les droits fondamentaux. S’agit-il de clarifier la légalité de l’accord ou de désamorcer la critique ?

Prenant le contre-pied du Parlement européen, la Commission européenne a confirmé mercredi son intention de saisir la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Celle-ci est appelée à se prononcer sur la conformité de l’Accord commercial anti-contrefaçon (ACTA – Anti-Counterfeiting Trade Agreement) avec les droits fondamentaux et les libertés d’expression, d’information et de protection des données. Les termes de la saisine, approuvés à l’unanimité, ont été précisés mercredi par le collège des commissaires européens : « L’ACTA est-il compatible avec les traités européens, en particulier avec la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ? »

Accord controversé, l’ACTA vise à harmoniser la législation en matière de protection des droits d’auteur (musiques, films, jeux…) de propriété intellectuelle (logiciels…) et industrielle (médicaments, vêtements…). Multilatéral, il concerne l’UE et ses 27 États membres, ainsi que l’Australie, le Canada, la Corée, le Japon, le Maroc, la Nouvelle-Zélande, Singapour, la Suisse et les États-Unis.

Liberté, propriété, sécurité ?

Rappelons que l’ACTA, accord soutenu par l’exécutif européen (la Commission et le Conseil) et une majorité d’États membres de l’UE, est loin de faire l’unanimité au sein du Parlement européen. La semaine dernière, la commission parlementaire du commerce international a rejeté la proposition de renvoi du texte en justice, malgré l’avis favorable de David Martin, rapporteur de l’ACTA à l’EuroParl. De son côté, Françoise Castex, eurodéputée de l’Alliance progressiste qui milite pour le rejet de l’accord en l’état, estime qu’il est « important de ne pas entrer dans le jeu de la Commission européenne qui tente de désamorcer le débat en le ramenant sur le terrain purement juridique et technocratique. » Le Parlement européen aurait, quant à lui, « entendu l’hostilité des citoyens contre l’ACTA. »

En réponse à l’accord jugé liberticide, le collectif de hackers Anonymous a revendiqué en février le piratage de plusieurs sites web, dont celui de la Commission fédérale américaine du commerce (FTC – Federal Trade Commission). Quant à La Quadrature du Net, organisation de défense des droits et libertés des citoyens sur internet, elle insiste sur la dangerosité de l’accord. ACTA « cherche à contourner la démocratie […], son texte peut donner lieu à des interprétations ultra-répressives par les pays signataires et les juges », estime Jérémie Zimmermann, cofondateur de l’organisation. Celui-ci appelle « les eurodéputés à faire toute la lumière sur les problèmes démocratiques et politiques soulevés par l’ACTA, tels que les mesures extra-judiciaires visant à accroître la répression contre le partage de la culture en ligne. »

Du côté de l’exécutif de l’Union, Karel De Gucht, commissaire européen en charge du commerce, tente d’apaiser la critique. « L’ACTA n’entravera pas la liberté sur internet ou la liberté d’expression […]. Une saisine permettra à la plus haute Cour de justice européenne de clarifier en toute indépendance la légalité de cet accord. » M. De Gucht estime en outre que l’économie européenne ne peut rester compétitive sans s’appuyer sur « l’innovation, la créativité, la qualité et l’exclusivité de la marque. » À ses yeux, la protection des emplois au sein de l’UE ainsi que la protection des consommateurs et la sécurité des produits de consommation, exigent le respect des droits de propriété intellectuelle.