Alain Fiocco (Cisco) : « Les terminaux mobiles sont moteur de l’IPv6 »

L'adoption de l'IPv6 viendra des contenus

En charge de la migration IPv6 (programme High Impact Project) pour Cisco, Alain Fiocco revient sur la volonté d’impulser le basculement à l’IPv6 à l’échelle mondiale.

Et les entreprises ?

Pour la plupart des entreprises, la priorité est leur présence Internet via leurs sites et services. Une présence Internet est une zone démilitarisée via un routeur connecté chez les opérateurs, un firewall, un mécanisme de prévention d’intrusion, un load balancing (équilibrage des charges, NDLR), et différentes couches de serveurs (web, backend…). Il est nécessaire de migrer au minimum jusqu’au load balancer, qui a la capacité de basculer ensuite la session IPv6 en IPv4. Mais de nombreux acteurs estiment qu’il vaut mieux pousser la mise à jour sur le frontend web. Activer l’IPv6 est une configuration. Soit trois commandes pour un petit site, c’est plus compliqué pour celui de la SNCF ou les centres de données de Google.

Quel va être le rythme d’adoption de l’IPv6 ?

Rien que pour le résidentiel, mais il sera du même ordre de grandeur pour les entreprises, le rythme de basculement sera équivalent à celui du rythme de croissance et de renouvellement des clients. Par exemple, il est de 250 000 utilisateurs par mois environ chez AT&T aux États-Unis. Soit 5 à 6 millions en fin d’année sur leur 16 ou 17 millions de clients DSL. Cela ira plus vite que ce qu’on croit. On peut compter aussi sur les 10 % à 15 % des déménagements annuels, événement où les foyers en profitent pour changer de box ou de fournisseur.

Selon notre étude prévisionnelle Visual Networking Index, dans laquelle nous venons d’ajouter le support de l’IPv6, d’ici 2016, 50 % des appareils installés dans le réseau (PC, set top box, console de jeux) seront compatibles IPv6. Soit une croissance de 60 % par an. Et 90 % des terminaux mobiles dont le renouvellement est encore plus rapide, tous les deux ans environ.

La multiplication des terminaux mobiles sera-t-elle moteur de l’adoption de l’IPv6 ?

Ils sont moteurs à double titre. La 4G, qui vient se greffer dans l’équation, inclut l’IPv6 par défaut (norme 3GPP) dans le terminal et dans l’infrastructure derrière. Et la Voix sur LTE (VoLTE), qui arrivera dans la foulée, a besoin de l’IPv6. Donc, la migration des smartphones sera un facteur d’adoption de la v6. De plus, le phénomène d’épuisement des adresses IPv4 est encore plus important dans le mobile que le fixe.

Justement, où en est-on de la disponibilité des adresses IPv4 ?

Depuis février 2011, le réservoir central de l’IANA (Internet Assigned Numbers Authority, qui gère l’adressage aux entités régionales) est épuisé. Il n’y a plus d’essence dans le réservoir. Au niveau régional, c’est aussi le cas en Asie-Pacifique depuis avril 2011. Et cela devrait l’être en Europe cet été ou à l’automne prochain. Le réseau continuera évidemment de fonctionner en IPv4, mais il n’y a plus de croissance ou alors il faut des adresses partagées ce qui en compliquera la gestion.

Le réseau mondial est-il prêt pour l’IPv6 ?

Selon nos statistiques, les 200 plus gros réseaux de la planète, soit 5 % de l’Internet, sont « IPv6 ready » à 90 %. Et 100 % le seront avant la fin de l’année. Le cœur du Net, qui concentre l’essentiel du trafic, est compatible IPv6 à 80 %.

Alors que, sur le papier, l’IPv6 est formulé depuis 20 ans, avec les premiers déploiements pilotes à la fin des années 90, pourquoi ce peu d’empressement de l’industrie à basculer ?

Jusqu’à présent personne n’avait intérêt à bouger. Il n’y avait pas de contenu donc pas de clients. Aujourd’hui, on est en train de casser ça par le contenu et tout le monde va suivre. Ce sont les gens du web (Google, Bing…) qui ont insufflé cette initiative, modérée par l’Internet Society, avec la collaboration de l’industrie. Quand les gros acteurs se mobilisent, on peut espérer un effet boule de neige.