Alcatel-Lucent: Philippe Camus et Ben Verwaayen, deux dirigeants complémentaires

Le président non-exécutif et le directeur général qui viennent d’être nommés auront des missions mieux distinctes que celles de Serge Tchuruk et Pat Russo

Officiellement, Serge Tchuruk est en poste jusqu’au 1er octobre,date à laquelle il aura cédé sa place à Philippe Camus, ex-patron du groupe médias Lagardère (où il conserve un siège de co-directeur), et ex co-directeur général d’EADS. Le nouveau président a un rôle « non-exécutif’ – pour bien marquer le changement ou la rupture avec les divergences entre Serge Tchuruk et Pat Russo. Il a la fonction de président du conseil d’administration et non pas directeur opérationnel. Il a 60 ans et jouit d’une expérience dans plusieurs secteurs industriels. Il est également partenaire d’un établissement d’investissement et de conseil, Evercore Partners, basé à New York.

A défaut d’être américain, c’est de là qu’il exercera ses responsabilités.

Ben Verwaayen, 56 ans, de nationalité néerlandaise, a une grande expérience des télécoms et des technologies de l’information. Il a été directeur général de BT (British Telecom) entre février 2002 et le 1er juin 2008 – période clé où l’opérateur britannique au sortir de la crise 2001-2002 a réussi un repositionnement stratégique spectaculaire vers les services et l’international.

Mais il a un autre atout : c’est également un ancien de Lucent Technologies : il y était entré en 1997 comme vice-président du comité de direction. Auparavant, il avait été p-dg de la filiale télécoms de KPN aux Pays-Bas, PTT Telecom, pendant neuf ans. Et antérieurement, il avait été dirigeant chez ITT, groupe qui, plus tard, a été racheté par… Alcatel.

Juriste de formation, Ben Verwaayen a suivi une formation sur les relations internationales. Bien que directeur général, il aura un siège au conseil d’administration.

Si la date de départ de Serge Tchuruk est fixée au 1er octobre, en réalité, les deux nouveaux dirigeants ont déjà pris leurs fonctions – c’est ce qu’ils ont déclaré lors d’une conférence téléphonique avec la presse, ce 1er septembre…

Dans une déclaration écrite, le conseil d’administration s’explique:

« Philippe Camus a l’expérience de nombreuses industries mondiales de haute technologie, y compris dans le secteur en forte croissance des médias, et des environnements multiculturels. Les années qu’a passées Ben Verwaayen dans l’industrie des télécoms lui ont donné une grande connaissance d’Alcatel-Lucent. Il a également une compréhension profonde des tendances de ce secteur et de ses clients, et est totalement tourné vers l’innovation, l’excellence technologique et le service aux clients« .

Philippe Camus a déclaré: « (…) « J’entends contribuer au positionnement stratégique du groupe dans un contexte industriel qui connaît des défis mais aussi de grandes opportunités. »

Ben Verwaayen ajoute: « Alcatel-Lucent a de nombreux atouts : l’excellence technologique, des positions de marché de premier plan dans toutes les régions du monde, pays développés comme émergents, et est complètement tourné vers ses clients. Le groupe évolue sur un marché qui change rapidement. Je suis très heureux de devenir directeur général d’Alcatel-Lucent et de diriger un Groupe avec de tels atouts, de grands talents, tout en reconnaissant les difficultés et les défis. Je suis décidé à créer de la valeur durablement pour ses actionnaires, ses clients et ses salariés.  »

M. Ben Verwaayen exercera au siège du groupe, rue de la Boétie, à Paris, où il va devoir se constituer un réseau de connaissances…

A l’agence AFP, il a déclaré: « Je ne veux pas sous-estimer le défi qui nous attend, mais je pense que nous pouvons réussir (…) « Alcatel-Lucent, par sa position dans le monde, ses compétences, (…) dispose de magnifiques atouts« .

Rémunérations, indemnités, stock-options: la transparence

Côté rémunération et indemnités, la transparence est de mise. Ben Verwaayen touchera une rémunération fixe annuelle de 1,2 million d’euros, identique à celle de Pat Russo. Il s’y ajoute un bonus annuel de 1,8 million, qui s’échelonne entre 0% et 200% selon les performances – et des stock-options.

En revanche, il ne percevra aucune indemnité de départ en cas de cessation de ses fonctions (Mme Russo va recevoir un « maximum de 6 millions » d’euros », malgré les chiffres médiocres du groupe; cf. ci-après; et Serge Tchuruk avait déjà reçu 5,6 millions d’indemnités au moment de la fusion).

Ecarts culturels, tensions et piètres résultats…

Les tensions entre Serge Tchuruk et Pat Russo alimentaient-elles ou ne faisaient-elles qu’exacerber celles des équipes de management dont on a tenté de mixer les responsabilités, alors que les différences culturelles subsistent entre les cultures américaine et européenne au sein du groupe? Il faudra encore un peu de recul pour circonscrire la réalité de cette situation de contre-synergie…Il est clair que Lucent Technologies (émanation du tout puissant AT&T) était surtout ancré sur les Etats-Unis, alors qu’inversement, le groupe Alcatel a viré à la globalisation depuis longtemps, la France ne représentant plus que 9% des revenus… Le défi du groupe est de se maintenir parmi les tout premiers fournisseurs d’équipements et de services pour les opérateurs télécoms et les grands comptes qui opèrent leur propre réseau. Depuis la crise de 2001-2002, Alcatel et Lucent ont été directement attaqués par les nouveaux constructeurs asiatiques, par exemple les géants chinois Huawei ou ZTE: prix tirés à la baisse, marché soufflés pour des intérêts nationaux, etc.La fusion intervenue en 2006 n’a pas réussi à endiguer l’érosion de la part de marché. En parallèle, tandis que les pertes se sont accumulées (six trimestres fiscaux consécutifs dans le rouge…), malgré de sévères plans de restructuration (16.500 suppressions d’emplois dans le monde d’ici 2009, dont plus de 1.800 en France) , la cotation en bourse a continué de baisser: -60% en deux ans. Le groupe prévoit une baisse de son chiffre d’affaires comprise « entre 2 et 5% » pour 2008,Mais il est vrai que BT, par exemple, connaît également une déconfiture boursière (cote de – 36 % à Londres depuis le début 2008).