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Alexandre Zapolsky (Linagora) fait le bilan et trace les perspectives des États Généraux de l’Open Source

Dans cet entretien, Alexandre Zapolsky, PDG de Linagora, membre du conseil d’administration de la chambre professionnelle Syntec Numérique et coprésident de son comité open source, met en lumière les thématiques abordées lors des États Généraux de l’Open Source.

L’évènement destiné a lancé une concertation étendue sur la situation de la filière, ses atouts, faiblesses et perspectives, s’est déroulé lundi 21 janvier 2013 dans les locaux du ministère de l’Économie et des Finances, sous le haut patronage de Fleur Pellerin, ministre déléguée en charge des PME, de l’Innovation et de l’Économie numérique.

Silicon.fr – Quelles ont été les motivations à l’origine des premiers États Généraux de l’Open Source ?

Alexandre Zapolsky – Le marché de l’open source et du Logiciel libre a connu au cours des 10 dernières années un formidable développement. Cette croissance a été rendue possible grâce au dynamisme et à la vitalité des acteurs de l’écosystème, mais aussi à la maturité et à la robustesse des propositions technologiques du secteur.

Cela a permis à la France et à ses entreprises de figurer dans le peloton de tête des pays performants dans le domaine de l’open source. Mais aujourd’hui ce leadership est remis en cause par des initiatives prises dans d’autres pays, en Europe notamment, tels que l’Italie et le Royaume-Uni.

Par ailleurs, en France, l’écosystème de l’open source et du logiciel libre est très éparpillé avec un nombre très important d’acteurs de taille limitée. Il est aussi insuffisamment structuré pour répondre aux défis actuels et pour constituer un interlocuteur crédible des pouvoirs publics.

C’est fort de ce constat, que j’ai pris l’initiative de proposer au Syntec Numérique d’organiser ces États Généraux. Pour tout vous dire, j’en avais fait le point clé de ma candidature au conseil d’administration du Syntec Numérique. Et je n’ai eu de cesse que de porter ce projet parce que j’étais, et je reste convaincu, que toute la filière doit prendre le temps de la réflexion pour analyser ses atouts, mais aussi ses marges de progrès.

Ces États Généraux doivent nous aider à établir un diagnostic partagé, mais aussi à proposer des mesures pour améliorer la compétitivité de notre secteur d’activité. C’est très important, car notre écosystème est en réalité au service d’autres écosystèmes. Il est ainsi au service de l’amélioration de la performance publique et au service de la compétitivité de l’ensemble du tissu économique de notre pays.

Quelles ont été les thématiques clés abordées durant cette concertation entre acteurs de l’écosystème ?

Quatre grandes thématiques ont pu être développées lors de la journée de lancement des États Généraux.

On a tout d’abord pu faire un benchmark très instructif de ce qui se passe à l’étranger. Cela a été l’occasion de constater, comme je vous le disais, que l’Italie et le Royaume-Uni étaient devenus des pays extrêmement « Open Source Friendly » au risque même de nous passer devant. Cela doit nous inciter à ne pas nous reposer sur nos lauriers. J’ai été aussi très impressionné par tout ce qui se passe en Chine et en Asie du Sud-Est. Reste peut-être un combat collectif à mener auprès de la Commission européenne.

Nous avons aussi consacré une séance de plénière au modèle de valeur de l’open source. C’est à mon sens un des enjeux principaux pour notre filière, surtout pour les éditeurs de logiciels.

Je crois primordial de clarifier les différents « business models ». Open source, freemium et propriétaire, tous ces types de logiciels ont leur place sur le marché. Mais je suis persuadé qu’il faut bien clarifier les différences entre les trois et permettre à l’utilisateur et au client de faire un choix éclairé. Par ailleurs, pour les éditeurs de logiciels qui jouent le jeu du « vrai libre », l’un des enjeux c’est de réussir à financer durablement l’innovation et la création.

Nous avons également abordé la thématique de la construction d’un partenariat gagnant-gagnant entre la filière open source et le secteur public. J’ai été notamment très impressionné par l’intervention de Jacques Marzin, le nouveau DSI de l’État français. Pour sa première prise de parole publique depuis sa nomination, il a dit des choses très fortes :

Premièrement, un État qui dépense chaque année 3,8 milliards d’euros pour son système d’information et 300 millions d’euros pour l’achat de licences, ne peut être indifférent à l’offre de services du logiciel libre. Deuxièmement, le choix du logiciel libre par l’administration n’est en aucun cas un choix dogmatique.

C’est un choix pragmatique qui repose sur l’expérience de l’utilisation de ces logiciels et l’évaluation des services qu’ils rendent. Troisièmement, l’administration est très réservée par rapport aux logiciels freemium qu’elle apparente aux logiciels propriétaires.

Quatrièmement, il a dressé des pistes de mise en œuvre de la circulaire du Premier ministre du 19 septembre 2012 très encourageantes, d’abord parce que l’offre de logiciels libres peut-être un des leviers pour la modernisation de l’action publique, d’où ce partenariat gagnant-gagnant.

Enfin, nous avons abordé le sujet central du renforcement de la filière open source en France et de son organisation. Les États Généraux ont au moins permis une avancée dans la mesure où tous les intervenants se sont accordés pour dire qu’il y avait de vrais enjeux et défis à relever dans ce domaine.

Je crois aussi qu’il n’a pas été anodin que le Syntec Numérique réussisse à mettre sur l’estrade, pour parler de ce sujet, les représentants de certaines des grandes organisations de l’open source et du logiciel libre. À cette occasion, le Syntec Numérique a démontré qu’il était bien la maison de tous les entrepreneurs du numérique.

Qu’avez-vous pensé de l’intervention de la ministre Fleur Pellerin lors de l’évènement ?

Je crois tout d’abord qu’on ne peut que se féliciter du fait que la ministre ait non seulement accepté de placer ces États généraux de l’open source sous son haut patronage, mais aussi qu’elle y soit intervenue en ouverture. C’est un signe très fort pour la filière open source et un signe très fort pour le Syntec Numérique qui porte cet évènement.

J’ai retenu en fait deux idées fortes de son intervention :

La ministre a réaffirmé sa volonté, et celle du gouvernement, d’accompagner le renforcement de la filière open source dans notre pays, car c’est une chance pour la compétitivité de notre économie et pour l’amélioration de la performance publique. Mais elle nous a aussi adressé un message : « structurez-vous mieux pour que le gouvernement puisse mieux vous aider ». Je crois que nous devons vraiment entendre ce message et le traduire en actions concrètes.

Pour finir sur ce point, je dirai que j’ai aussi été très sensible à sa volonté de faire émerger des champions nationaux dans le domaine du logiciel libre pour que, notamment, ils puissent se projeter sur les marchés internationaux et être compétitifs avec leurs grands concurrents étrangers. De ce point de vue, j’ai trouvé que l’intervention de la DGCIS (Direction générale compétitivité, industrie et services) était dans la droite ligne de celle de Fleur Pellerin.

Et pour avoir été cité comme un de ces champions nationaux du logiciel libre par la ministre, je dois avouer que j’attends avec impatience les nouveaux appels à projets pour les investissements disruptifs.

Les débats autour de la valeur et du renforcement de la filière open source vont-ils se traduire par des actions concrètes ?

De l’action et encore de l’action, c’est bien tout l’objectif des États Généraux de l’Open Source. La journée de lancement du 21 janvier avait pour but de mettre à plat les grands sujets. Mais maintenant, nous devons tous nous mettre collectivement au boulot. Des groupes de travail thématiques vont être rapidement mis en place et nous allons lancer une grande consultation publique sur le site des États Généraux.

Nous souhaitons, dans les deux cas, poursuivre la démarche ouverte et participative que nous avons initiée avec la journée de lancement. Je fais confiance à tous les acteurs de l’écosystème pour contribuer dans cet état d’esprit. Notre but est de pouvoir déboucher sur des propositions d’action très concrètes lors de notre grande convention de restitution à l’automne prochain.

À titre personnel, je propose trois pistes d’action possibles :

Il s’agit tout d’abord de la mise en place d’une labellisation des logiciels par un observatoire national du logiciel libre. En fonction des expertises qu’il mènerait en toute indépendance, cet observatoire pourrait attribuer une vignette verte pour les logiciels 100 % free, une vignette rouge pour les logiciels 100 % propriétaires et une vignette orange pour les logiciels freemium.

Je propose ensuite que nous demandions aux pouvoirs publics l’adoption de mesures de soutien au logiciel libre. Il y en aurait une qui serait assez simple à mettre en place. Il s’agit de la modulation du taux du Crédit impôt recherche (CIR) en fonction de l’accessibilité des résultats de la R&D. Les secteurs, comme celui du logiciel libre, dont les résultats de la R&D seraient « open », pourraient par exemple bénéficier d’un taux bonifié de CIR de 40 %.

Je plaide, enfin, pour la constitution d’une grande fédération nationale du logiciel libre qui rassemblerait non seulement les clusters régionaux, mais aussi les entreprises, notamment les éditeurs, qui pourraient y adhérer directement.

Cette fédération pourrait s’ouvrir également aux utilisateurs. Je pense que notre écosystème a tout intérêt à la constitution de cette fédération et je rappelle au passage que c’est une demande que nous a faite la ministre en ouverture des États Généraux.


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