L’amendement anti-Apple rejeté par l’Assemblée… de justesse

L’amendement Ciotti, qui prévoyait d’interdire la commercialisation de produits ou services dont les concepteurs refusent de coopérer avec la justice, a été repoussé… d’une voix. Apple peut souffler. Pour l’instant.

Mise à jour le 4/03 à 23h

12 voix pour, 11 voix contre. C’est un hémicycle quasi-désert qui a repoussé hier l’amendement déposé par le député Les Républicains Eric Ciotti, baptisé amendement anti-Apple. Ce greffon législatif (n°221) au projet de loi de réforme pénale contre le crime organisé, actuellement en première lecture, prévoyait de poursuivre les industriels n’apportant pas leur concours aux réquisitions de l’autorité judiciaire dans le cadre des affaires de terrorisme. Rappelons qu’aux Etats-Unis, une affaire oppose en ce moment Apple au FBI au sujet du déblocage d’un iPhone ayant appartenu à un des auteurs de la tuerie de San Bernardino.

« Lorsqu’un juge engagé dans une information judiciaire contre un acte de terrorisme requiert la collaboration d’un opérateur de téléphonie mobile, d’un fournisseur d’accès à Internet, d’un fabricant d’un outil de téléphonie mobile ou d’informatique et que [celui-ci] refuse de coopérer, il faut que le code pénal permette d’entrer en condamnation de façon plus dissuasive », a expliqué Éric Ciotti dans son allocution que l’on peut revisionner ici (à partir de 46:20).

« Des dizaines d’enquêtes bloquées »

En la matière, l’amendement proposait que les tribunaux puissent aller jusqu’à interdire temporairement la commercialisation des produits et services incriminés (par exemple l’iPhone dans le cas d’Apple). Sans pour autant « mettre en place des logiciels d’intrusion dans tous les téléphones portables : il s’agit qu’un magistrat puisse disposer d’un moyen pour quelquefois sauver des vies », a martelé Éric Ciotti. Le député des Alpes-Maritimes souhaitait également que tout refus de coopérer de la part d’un industriel puisse être sanctionné d’une amende de 2 millions d’euros maximum.

Le député LR, qui voit là un débat essentiel portant sur « la suprématie des Etats démocratiques face à des entreprises qui se considèrent comme au-dessus des lois », a été rejoint dans son combat par un élu socialiste, Yann Galut. Ce dernier, lui aussi auteur d’un amendement prévoyant de sanctionner les industriels refusant d’apporter leur aide à la justice, a expliqué sur les bancs de l’Assemblée : « Actuellement, dans les enquêtes liées à la lutte contre le terrorisme, vous avez des dizaines d’enquêtes qui sont bloquées parce que les constructeurs de smartphones ont décidé non seulement de verrouiller totalement l’accès aux smartphones, mais de ne plus avoir la clé de déverrouillage ». Face à l’avis défavorable de la Commission des lois et du gouvernement, le député Yann Galut a toutefois retiré son amendement avant le vote.

Malgré cet échec des deux amendements les plus répressifs, les sanctions contre les entreprises refusant d’apporter leur concours à la justice dans le déchiffrement ont été alourdies, via un greffon proposé par un groupe de députés Les Républicains. Voté par l’Assemblée contre l’avis du gouvernement, ce texte stipule : « le fait, pour un organisme privé, de refuser de communiquer à l’autorité judiciaire requérante enquêtant sur des crimes ou délits terroristes (…) des données protégées par un moyen de cryptologie dont il est le constructeur, est puni de cinq ans d’emprisonnement et 350 000 euros d’amende ». L’amendement alourdit aussi les peines pour les opérateurs qui refuseraient de coopérer, en la portant de 3 750 euros à 15 000 euros d’amende et à deux ans d’emprisonnement.

Pour le ministre de la Justice, Jean-Jacques Urvoas, ce que le défenseur de ce greffon législatif, le député LR Philippe Goujon, présente comme une solution de compromis risque de créer des problèmes de cohérence dans le code pénal, l’aggravation des peines étant limitée aux affaires de terrorisme. Pour le ministre, la réponse à la question de la coopération de l’industrie avec la justice sur le déchiffrement des communications réside davantage « [sinon] dans la coopération internationale […] du moins européenne ». Il assure que des démarches sont déjà engagées dans ce sens auprès de Bruxelles.

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