Salon Odébit: la grogne des collectivités en mal de très haut débit

Le salon Odébit, ces 20 et 21 septembre, a montré le décalage persistant entre administrations centrales et collectivités en région à propos du très haut débit

Face à l’ARCEP, face à Robert Stakowski, MAPPP (Mission d’Aménagement Partenariats Publics Privés, ministère l’Economie), Marc Laget, responsable à la DATAR et à Laurent David, de l’Aménagement Numérique du Territoire (Développement durable), les questions n’ont pas manqué.

Les limites de la coercition…
Ainsi, un cadre représentant le conseil général du Cher, interroge : pourquoi ne pas avoir imposé à France Télécom de faire le point sur ses plans et investissements dans la modernisation de son réseau (notamment pour les régions défavorisées)?

Réponse : la régulation, coercitive, ne s’applique que sur la boucle locale et non pas sur le réseau de collecte de France Télécom… Et demander une «neutralisation» des gros nœuds multiplexeurs (‘mux’) de France Télécom n’est pas dans les pouvoirs juridiques de l’ARCEP… Coté de la Mission MAPPP, le dossier des partenariats avance, dit-on.

Le montant global de financement est estimé à environ 40 milliards d’euros. Des priorités d’investissement se profilent : domaine social, santé. Premier constat : «les acteurs publics apparaissent très atomisés». Et cela, en outre, dans un contexte de crise boursière et financière…

Mais l’intérêt des contrats de partenariats publics-privés n’est pas contesté (cf. loi du 28 juillet 2008). Pour rappel, cette proposition «PPP» est l’application d’un livre vert de l’Union européenne. C’est un mode hybride entre délégation de services publics et marchés codifiés (cf. code des marchés publics). On confie à un acteur privé la conception, la réalisation, la prestation d’exploitation.
Cet acteur privé facture l’entité «publique» qui elle-même va refacturer le service fourni.

«Ce mode se plie bien aux projets industriels car il repose sur un partage du risque et est bien adapté aux montages mutualisés» (regroupement de communes, département, région…). Et ultérieurement un tel montage PPP peut évoluer vers un mode DSP (délégation de service public).

Mais là encore, rien n’est facile, semble-t-il. Et les intervenants de répéter de concert: ce n’est pas un problème réglementaire; il manque une autorité qui serait investie du règlement des dossiers, qui serait le moteur des stratégies applicables. Autre constat répété: c’est au moins au niveau régional qu’il faut remonter.

Côté DATAR, on se défend de faire de la politique. Le plan PNTHD (plan national très hauts débits) a été institué. Un appel à projets a été lancé. Une première tranche de financement a été trouvée à hauteur de 900 millions d’euros, mais ceci en attendant les fonds promis… La participation de  l’Etat variera en fonction de la « ruralité » des territoires concernés. Elle pourrait représenter environ 20 à 30% de subvention dans la majorité des projets publiques, mais une étude détaillée sera nécessaire au cas par cas  (le prix par prise serait estimé à 1200 euros, dont 400 pris en charge par l’Etat). Autre affirmation: toutes les régions françaises font l’objet d’un schéma directeur d’intention.

Les collectivités haussent le ton
Bref, il ne resterait plus qu’à exécuter, lancer la machine. Or c’est là que commence à se mesurer l’écart entre ces grands dispositifs et la réalité du terrain vécue par les collectivités.

A l’écoute des «récriminants» de la France des régions, nous avons pu entendre, outre celui du département du Cher, les témoignages du Conseil Général de la Nièvre, le Pays de Morlaix (programme Bretagne Très Haut Débit, représenté par Vincent Feru, chargé de mission numérique), ou encore la Savoie : la mise en musique ne se fait pas bien. Les dossiers traînent au delà des six mois, et certains se découragent déjà que leur dossier pourtant bien étayé, travaillé, risquent de prendre encore deux ans !

Certains évoquaient concrètement l’accès, par exemple, aux données SIG (cartes graphiques des infrastructures en place) que l’on est en droit d’attendre des opérateurs (dont France Télécom, notamment) – avec une mauvaise foi souvent patente.

D’autres évoquent le lobbying très actif auprès des plus hautes instances pour que les dossiers prennent une autre voie. «Nous travaillons, nous avançons avec les grandes entités, les grandes communautés de communes ou grandes agglomérations, la région», -ou que sais-je… – voilà comment certains opérateurs, historiques ou pas, répondent aux collectivités qui ne peuvent que constater un fait: beaucoup de dossiers n’avancent pas.

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(*) Le modèle remis en cause…

Pour de nombreux élus, le gouvernement a privilégié le modèle suivant, qu’ils résument ainsi:
– priorité impérative aux opérateurs privés.
– « responsabilité » des collectivités locales pour « boucher » les trous (et ils sont très nombreux en zone rurale !) qui ne sont vraiment pas intéressants pour le privé
D’autres modèles étaient envisageables :
– un projet public national avec péréquation (cas de l’Australie)
– un projet privé/public national, poussé par la régulation, crédible à condition de « séparer » fonctionnellement l’activité de réseaux et l’activité de services (de la même manière que dans le domaine ferroviaire ou le domaine électricité)
– des projets publics concessifs régionaux (modèle autoroutier)…

On reproche souvent au modèle retenu de revenir à « privatiser les bénéfices » et « nationaliser les pertes »…
« Le plus ennuyeux, c’est qu’en laissant aux opérateurs privés la responsabilité de migrer du cuivre vers la fibre optique, le gouvernement :
– se prive d’une ressource financière importante (les bénéfices générés par le réseau cuivre)
– retarde la migration du pays vers le très haut débit (tant qu’il n’y a pas de concurrence, les opérateurs privés, notamment France Télécom, n’ont aucun intérêt à investir dans la fibre optique alors que le réseau cuivre, entièrement amorti, leur rapporte quasiment autant que ce que rapportera la fibre optique !) », expliquent les élus locaux.
Si l’on fait un peu de comparaison historique, c’est la première fois que le déploiement à partir de zéro d’un réseau national qui sera bientôt vu comme une « commodité » va être laissé à l’initiative d’une myriade de projets locaux non coordonnés…
Quant à la prospective, entre la possibilité laissée à l’ARCEP d’imposer la séparation fonctionnelle (ou a minima une régulation sur des offres activées) d’ici 18 mois et les prochaines échéances électorales, il est facile de jouer au devin… sans grand risque de se tromper.