Analyse: Pourquoi Dell et HP s'obstinent-ils à tant miser sur 3PAR?

La folle surenchère à laquelle se livrent Dell et HP autour de 3PAR a surpris tous les analystes: on en est à 10 fois le chiffre d’affaires…

La question se pose dans cette course au rachat de 3PAR. Pourquoi cette compétition si soudaine entre Dell et HP ? Pourquoi surévaluer à ce point un fabricant de solutions de stockage connu seulement des spécialistes il y a encore 15 jours?

Cet emballement a été jugé déraisonnable par les milieux boursiers, qui se sont interrogés sur le triplement du prix de l’action en moins de 8 jours.

Dans le meilleur des cas, on accepte généralement de payer 2 à 3 fois le chiffre d’affaires mais pas 10 ou 11 fois! (cf. article: ‘ HP surénchérit encore à 30 dollars, soit 2 milliards ‘)

« On est en droit de se demander ce qui relève de l’émotionnel versus par opposition à une démarche « business«  », observe un analyste du cabinet Bender.

Pour rappel, la première offre de Dell était à 1,15 milliard de dollars. HP a d’emblée, une première fois, mis la barre très haut à 1,6 milliard avec une offre à 24 dollars par action. Dell a surenchéri à 24,30 puis HP a encore remonté la barre très haut à 27 dollars; Dell a suivi et HP a surenchéri encore très fort à 30 dollars ce qui fait un quasi doublement de la mise ‘cash’. Les 2 milliards de dollars sont quasiment atteints – un montant incroyable, digne des plus belles heures de la bulle Internet. L’action de 3PAR ces dernières semaines plafonnait à environ 9,50 dollars!

ll est vrai que Dell et HP ne sont pas les seuls à vouloir user de leur trésor de guerre et à accélérer la croissance externe. Intel vient de débourser 9 milliards en un mois dans une série d’acquisitions.

Les deux titans – Dell et HP – auraient-ils les mêmes mobiles? En partie et en partie seulement. Tous deux disposent d’un trésor de guerre estimé à 13 et 15 milliards de dollars respectivement. Tous deux ont de bonnes raisons, face à la pression de la Bourse, d’investir pour ‘booster’ leur croissance externe afin d’assurer des chiffres en progression constante sur les prochains trimestres.

Les motivations de Dell

Pour Dell, les raisons sont diverses:

– étoffer le portefeuille de sa propre offre de stockage; et continuer, ainsi, de prendre ses distances vis à vis d’EMC – un fournisseur OEM (gamme CLARiiON, par exemple) sur lequel la marge, liée à seule valeur ajoutée de la distribution et des services, est forcément limitée pour Dell.

Dell, depuis 3 ans, a su fortement développer son portefeuille, avec le rachat de EqualLogic, notamment mais aussi d’une serie d’acquisitions très ciblées.

– faire pièce à NetApp, IBM mais surtout à HP qui, avec le partenariat de HDS (Hitachi Data Systems), a solidemment conforté sa part de marché dans les solutions de stockage.

A ces concurrents, Dell pourrait opposer la plate-forme de 3PAR, positionnée moyen et haut de gamme, avec une forte capacité d’extension en capacité (‘highly scalable« ). 3PAR fait figure de dernier fabricant indépendant sur le marché du stockage de données de niveau « enterprise-class« .

– rassurer les actionnaires: fin juillet, Michael Dell s’est fait tancer par des membres de son conseil d’administration (cf. notre article). Certains gros actionnaires ont déploré que la cote boursière de Dell n’ait que peu progressé depuis deux ans, en dépit des grandes réformes lancées, en particulier son virage vers la distribution indirecte.

Les motivations de HP

Là aussi, les analystes ne retiennent pas une bonne raison majeure, mais plusieurs pour expliquer l’étonnante montée aux créneaux de HP dans ce dossier:

– assurer et consolider la croissance ; user de sa capacité d’autofinancement (ou ‘cash flow’) considérable afin de pousser la croissance externe;

le ‘board’ de HP vient d’approuver un nouveau plan de rachat d’actions propres d’un montant de 10 milliards de dollars, dont 3 milliards rien que sur le dernier trimestre fiscal (lire notre article par ailleurs). Après le plan de novembre 2009 à hauteur de 8 milliards de dollars, HP disposerait encore de près de 5 milliards à dépenser. Ces rachats d’actions compensent la dilution de l’actionnariat, due aux stocks-options distribuées aux salariés.

HP disposerait de modèles économiques très solides et éprouvés permettant à ses décideurs de déterminer jusqu’où aller, avant de décider de déveloper en interne sa propre technologie plutôt que de l’acquérir;

– montrer qu’il y a toujours un pilote à bord et que la situation financière est saine. Car le départ brutal de Mark Hurd dans un contexte rocambolesque a fait vaciller l’image de marque durant quelques jours et fait chuter l’action HP de -18 à -20% en un mois;

– renforcer l’offre tandis qu’est attendue la nouvelle génération des baies EVA – prévue pour ce 2è semestre 2010; et en profiter pour prendre un peu de distance vis à vis de HDS (Hitachi) fournisseur OEM (comme EMC pour Dell), donc à valeur ajoutée là aussi toute relative, même si HP défend, à juste titre, son environnement logiciel ;

– ne pas laisser le champ libre à Dell qui, avec EqualLogic et 3PAR, commencerait à devenir une menace, faisant plus encore figure de deuxième source.

L’avis du board et des actionnaires

Il reste à attendre la réaction de Dell. Jusqu’où le groupe de Michael Dell ira-t-il pour tenter de faire pièce à HP? Les déclarations favorables et amicales du conseil d’administration suffiront-elles à faire pencher la balance de son côté? Certains en doutent. Les clauses de dédommagement à hauteur de quelques dizaines de millions de dollars (si 3PAR ne signe pas avec Dell) ont été balayées par la surenchère de HP. Dès l’annonce de la nouvelle offre de HP à 30 dollars, la direction de 3PAR n’a pu que déclarer que cette proposition était supérieure. Les actionnaires savent toujours où sont leurs intérêts…