Autolib : un système d’information qui dépasse de 450 % son budget

Alors qu’il devait coûter 11 millions d’euros, le système d’information d’Autolib en engloutira au final plus de 60. Le lancement du système d’autopartage peut expliquer, en partie, ce dérapage.

Comme le révèle Le Canard Enchaîné du 4 janvier, le projet Autolib, lancé fin 2011 à l’initiative de la mairie de Paris, va se solder par un déficit coquet : près de 180 millions d’ici la fin du contrat en 2023. Dont les deux tiers seront à la charge du contribuable, le groupe Bolloré – qui avait remporté la délégation de service public – ayant une clause limitant ses pertes à 60 millions d’euros sur les 10 ans du contrat.

Dans ce trou que va créer le système d’autopartage, l’informatique joue un rôle non négligeable puisque, comme l’explique l’hebdomadaire satirique, le coût de construction du système d’information d’Autolib (gestion des véhicules, des bornes de recharge et emplacements de parking, gestion des abonnés) a explosé par rapport aux prévisions budgétaires, passant de 11 à plus de 60 millions d’euros. Soit un dépassement de près de 450 %.

« 10 mois de sprint »

autolib2Comme pour la partie communications et bornes de recharges (confiée à IER), le développement de ce système d’information s’est appuyé sur une filiale du groupe Bolloré, Polyconseil. Une société ayant réalisé environ 24 millions d’euros en 2015, pour près de 7 millions de bénéfices. C’est cette société de services qui, en 2011, a pris en charge le développement d’un SI entièrement nouveau, destiné à couvrir un service lui aussi inédit à l’époque. Dans un billet paru dans la Paris Tech Review en mars 2016, Sylvain Géron, ancien dirigeant de Polyconseil, raconte cette expérience qui a vu une petite équipe projet de 5 personnes mettre sur pied un premier proof of concept en 4 mois et demi. Pour une inauguration officielle environ 10 mois seulement après le lancement du projet au sein de Polyconseil.

Un calendrier que Sylvain Géron décrit comme « dix mois de sprint très éprouvant » et qui peut expliquer certaines dérives de coûts, des pans de l’application ayant probablement dû être repris pour passer à l’échelle industrielle. Autrement dit pour assurer la transition entre un prototype à vocation très politique, impliquant 250 véhicules seulement, à un déploiement à l’échelle de l’agglomération parisienne, avec désormais 4 000 voitures électriques, 1 100 stations et 6 300 bornes de recharge.

150 à 200 années/homme de développement

« Avec Autolib, un nouveau métier est né et il nous a fallu développer ex nihilo un système capable de le gérer. Lorsque nous avons lancé ce service, fin 2011, une quinzaine de développeurs y avaient travaillé pendant dix mois. Aujourd’hui, le système est environ vingt fois plus gros parce que nous avons changé d’échelle entre ce qui était indispensable pour démarrer le service et ce qui est aujourd’hui nécessaire pour l’opérer, avec toute sa maintenance, la gestion de ses équipes, l’équilibrage de sa flotte et la modélisation de ses offres, comparables dans leur diversité à celles d’un opérateur de télécommunication », écrivait, en mars 2016, Sylvain Géron. Et d’estimer que le développement d’un tel logiciel capable de gérer un système d’autopartage comme Autolib demanderait, en repartant de zéro, entre 150 et 200 années/homme de travail. Une simple multiplication suffit pour retrouver les ordres de grandeur donnés par le Canard.

Au passage, notons que le développement de ce système d’information a servi les ambitions de Bolloré, puisque que le principe d’Autolib s’est exporté à Lyon (Bluely), à Bordeaux (Bluecub), mais aussi à l’international avec Indianapolis (Etats-Unis), Turin (Italie) et, dernièrement, Singapour.

Autolib jamais rentable ?

frequenceautolibSi on en croit une note du bureau d’études 6t, au-delà de ces dérapages budgétaires, le problème de la rentabilité d’Autolib pourrait bien être structurel. Comme en témoignent les annonces successives de Vincent Bolloré sur le nombre d’abonnés à atteindre pour parvenir à l’équilibre financier (l’homme d’affaires annonçait un objectif de 50 000 en 2013 ; fin 2016, le service en comptait plus de 130 000 et restait déficitaire). Car, si les abonnements progressent, le nombre de trajets effectués, lui, recule. De 8 % entre 2015 et 2016. Or, les trajets génèrent environ les trois-quarts des recettes d’Autolib. « A deux ans d’écart et à période comparable (entre 2014 et 2016, NDLR), les usagers ont en moyenne quasiment divisé par deux leur fréquence d’usage du service », écrit 6t dans son enquête. Et d’ajouter : « si le modèle économique d’Autolib est problématique à Paris, ses déclinaisons dans des villes moins denses le sont encore plus ». A l’heure où le service d’autopartage ne semble avoir pour issue que d’augmenter ses tarifs – ce qu’il a commencé à faire -, sa pertinence économique vis-à-vis de services de VTC comme Uber est plus que jamais posée.

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