Fréquences 5G en Allemagne et réseaux privés : un exemple à suivre

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L’Allemagne vient quasiment coup sur coup d’adopter deux décisions importantes en matière d’attributions de fréquences, qui assurent aux réseaux radio privés indépendants et aux réseaux mobiles ouverts au public un égal accès à la ressource spectrale. Un exemple dont la France doit nécessairement s’inspirer pour la 4G LTE et la 5G.

Début Mars, le régulateur allemand annonçait qu’il attribuerait des fréquences dans la bande 3,7 GHz – 3,8 GHz pour des réseaux locaux 5G lors du second semestre 2019.

La Bundesnetzagentur, l’équivalent de l’ARCEP, précisait que ces licences locales seraient attribuées aux besoins professionnels industriels, pour des petites et moyennes entreprises, en fonction de leurs demandes.

Le 19 mars a été lancée la procédure d’attribution des fréquences nationales 5G. A l’inverse des fréquences locales précitées, ces attributions auront lieu à l’issue d’une procédure de mise aux enchères, pour lesquelles les 3 grands opérateurs de réseaux ouverts au public déployés dans la République fédérale se sont d’ores et déjà porté candidats.

Quelques jours auparavant, le tribunal de Cologne avait rejeté les recours intentés par les principaux opérateurs de réseaux ouverts au public, rappelant notamment « la Bundesnetzagentur a le pouvoir discrétionnaire de réglementer les conditions d’attribution des fréquences, qui ne peuvent être examinées que de manière limitée par le Tribunal. Ses limites n’ont pas été dépassées ici. »

Ainsi, l’Allemagne distingue deux types de réseaux et d’acteurs, chacun disposant de ses spécificités propres.

Les réseaux ouverts au public ont vocation à couvrir l’ensemble du territoire. Ils proposent des offres voix – données – images à l’ensemble de la population, sous forme d’un package rassemblé dans un abonnement. Chacun peut donc choisir l’abonnement lui convenant le mieux.

Avec des millions d’abonnés, les opérateurs de ces réseaux disposent d’une très forte capacité financière pour acquérir des fréquences, déployer les infrastructures du réseau, élaborer des offres, assurer leur promotion, etc.

Et le succès est au rendez-vous, quel que soit le nombre d’opérateurs présents (3 , 4, …), ou, in fine, le prix des fréquences acquises souvent de haute lutte à l’issue des enchères.

Les réseaux privés indépendants ont vocation à couvrir une zone affectée à un besoin précis (le besoin crée la zone de couverture) : installation industrielle (port, aéroport, gare, …) ou correspondant à un usage précis (l’usage crée la zone), lié souvent à des impératifs de sécurité (municipalité pour ses services de Police, département pour les services départementaux d’incendie et de secours, région, tronçon d’autoroute ou de voie ferrée, …).

Les services qui sont proposés aux utilisateurs professionnels sur ces réseaux ont toujours été conçus sur mesure par rapport à leurs besoins. Ils sont donc multiples et le plus souvent sur mesure.

Avec un faible nombre d’utilisateurs – de quelques dizaines à quelques milliers seulement pour les plus importants d’entre eux – les opérateurs de ces réseaux – entreprises, services de secours, collectivités locales, … – disposent de capacités d’investissement étroitement corrélées avec les résultats de leur activité, le réseau radio constituant un moyen d’exploitation et non un centre de profit.

Malgré ces contraintes, il existe plus de 12 000 de ces réseaux privés indépendants. A tel point que s’il était possible de tous les couper au même moment, c’est l’ensemble de l’activité économique qui serait paralysée dans l’hexagone : aéroports, gares et trains à l’arrêt, usines et ports au ralenti, forces de sécurité sans communication, etc.

Avec les deux décisions de son régulateur, l’Allemagne réussit à concilier les intérêts et les spécificités de ces deux types de réseaux aux vocations et aux spécificités bien différentes en affectant à chacun des fréquences au lieu de les laisser s’affronter à armes – inégales – lors d’enchères.

Un pas majeur vers la réalisation d’une des promesses de la 5G, le décuplement des possibilités de services offerts au secteur industriel – les fameux verticaux – et à leurs installations (usines connectées et donc reconfigurables, IoT, etc.).

Car avant ces deux annonces, nombreux étaient ceux qui commençaient à douter des possibilités de voir un jour ce type de réseaux industriels prospérer, en utilisant les fréquences mises à leurs dispositions par les réseaux ouverts au public. Un non-sens pour beaucoup, certains que ces derniers réseaux préféreraient soit développer leur offre propre destinées aux industriels, soit ne rien proposer du tout plutôt que de laisser des tiers utiliser des fréquences à prix d’or aux enchères.

Il reste à la France de faire de même.

D’abord en respectant bien les spécificités propres de ces deux types de réseaux et de ceux qui les opèrent.

Pour ce faire en prévoyant deux types d’affectation de fréquences, nationales pour les réseaux ouverts au public, à la demande sinon locales pour les réseaux professionnels indépendants.

A moyen terme, il faudra également rééquilibré le code des postes et des communications électroniques, hypertrophié pour ce qui concerne les réseaux ouverts au public et réduit à la portion congrue pour les autres, la prise en compte des seuls intérêts des premiers devenant ainsi petit à petit la règle en matière de procédures d’attribution de fréquences, de modalités de calcul des redevances de mise à disposition, etc.

Une clé préalable pour atteindre ces objectifs : la volonté politique de réussir ce qui a été si bien réussi en Allemagne, malgré les recours intentés en justice heureusement sans succès.

La volonté ensuite de revenir à une régulation du secteur concerné dans une stricte approche de neutralité économique, technologique, …, sans s’attacher exclusivement à la qualité des acteurs ou à leurs capacités financières lors d’enchères.


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Délégué Général
Syndicat National des Installateurs de Radiocommunications (SNIR)
Guy Tetu est Délégué Général du Syndicat National des Installateurs de Radiocommunications (SNIR)
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