Projets numériques internationaux : des enjeux interculturels trop souvent sous-estimés

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Peut-on dire que l’interculturalité est la réponse universelle aux problèmes que rencontrent les filiales qui souhaitent étendre un core-modèle ERP ? Il est indispensable d’examiner les pratiques en vigueur avant de lancer un projet numérique international.

Le baromètre de l’exportation d’Euler Hermès publié en mai 2021 démontre l’attrait des entreprises françaises pour l’export. Après s’être adaptées aux contraintes liées à la pandémie et au ralentissement de l’économie mondiale, 8 entreprises interrogées sur 10 se disent prêtes à tenter l’aventure d’accroitre leurs exportations. En ligne de mire, les 106 milliards € de CA additionnels anticipés pour 2021-22 à l’export, avec de réelles opportunités notamment auprès de nos voisins européens.

Toutefois, qui dit export, dit différences culturelles, qu’elles soient organisationnelles ou régionales. Tout projet de transformation, aussi bien préparé soit-il, n’est pas exempt de particularités liées à l’interculturalité. Une prise en compte évidente lorsque l’on parle de relations internationales entre pays de deux continents différents, mais qui parait plus accessoire lorsque l’on traite avec ses voisins. Surtout s’il s’agit de projets numériques souvent considérés à tort comme culturellement neutres. L’altérité culturelle regorge de pièges et de trésors qu’il est utile de repérer pour viser le succès.

Parachuter des outils et une stratégie globale ne suffit pas

Une étude du Boston Consulting Group sur 40 projets de transformation numérique en entreprise illustre cette importance de la prise en compte des différences culturelles. 90 % des entreprises ayant intégré ce volet dans leurs projets ont obtenu de très bons résultats financiers. Celles qui ne l’ont pas pris en compte ont été seulement 17% à atteindre leurs objectifs. Bien que la causalité n’ait pas été directement établie, il fait peu de doutes que l’intégration des questions d’altérité a participé au succès des premières.

Le management interculturel est un levier important. De nombreuses multinationales l’activent pour optimiser les expatriations ou les fusions-acquisitions. Une approche plus rarement utilisée dans le digital, malgré l’impact sur l’usage des solutions numériques.

C’est la difficulté à laquelle un groupe européen d’assurance pour particuliers et professionnels a été confronté en voulant déployer des outils bureautiques et de gestion au sein de l’une de ses filiales ouest-africaines. Pensés pour une stratégie globale, ceux-ci n’ont pas été utilisés de la manière attendue malgré leur excellence technique avérée et le support de la direction régionale en charge du continent.

Des réalités qui varient d’un continent à un autre

Les outils numériques imposés étaient-ils mal perçus ou mal compris ? Loin des pratiques occidentales, la filiale faisait face à une clientèle spécifique évoluant dans le contexte de l’économie informelle. Avec pour corollaire, une primauté donnée au contact direct en agence mais également une méconnaissance et une méfiance tant envers les produits que le métier d’assureur. Les salariés, loin d’être technophobes, préféraient des outils qu’ils avaient eux-mêmes choisis ou développés en interne plus adaptés à la réalité locale.

L’élaboration d’une vision avec une partie du comité exécutif, basée sur leur connaissance du terrain, de la culture locale et organisationnelle ainsi que des ambitions de la filiale, et le dialogue permanent entre les différentes parties prenantes a permis d’élaborer quelques mois plus tard un plan de transformation compatible avec la culture d’entreprise emportant l’adhésion des salariés.

Des différences culturelles amplifiées en temps de crise

Si les différences culturelles sont établies d’un continent à un autre, on pourrait imaginer un moindre écart entre pays voisins séparés par une seule frontière. Mais entre pays latins et germaniques par exemple, les modes de fonctionnement divergent. Une entreprise française fondée et dirigée par des Allemands en a fait récemment les frais lorsqu’elle a voulu intégrer un progiciel de gestion d’entreprise.

L’entité de production française devait le déployer sur son périmètre afin de paver la voie à une généralisation à l’ensemble du groupe. Un cahier des charges clair et simple qu’il suffisait de suivre. L’optimisme était tel, que la conduite du changement paraissait inutile du point du vue des pilotes français du projet.

Le projet de transformation numérique s’est pourtant rapidement enlisé sur fond de crise sanitaire. Le pic de consommation de produits locaux fabriqués par le site français a généré une augmentation des ventes et une mutation forcée des circuits de distribution. La cadence a dû être augmentée pour répondre à la demande et à la situation pandémique gérée concomitamment au déploiement du projet numérique. Ce qui a mené à de nombreux départs.

Un effet de la crise ? Pas seulement. Alors que les Français attendaient des directives opérationnelles claires pour faire face à cette période, la direction allemande a continué à superviser le projet selon ses modalités habituelles de management basées sur l’auto-gestion et provoqué l’incompréhension.

Des travaux en psychologie interculturelle (1) ont en effet montré que les Français accordent une importance capitale à la distance hiérarchique et au contrôle de l’incertitude. Alors que les Allemands y sont moins attachés et misent davantage sur la responsabilité individuelle.

L’interculturalité pour dépasser les clivages

Peut-on dire que l’interculturalité est la réponse universelle aux problèmes que rencontrent les filiales qui souhaitent étendre un core-modèle ERP ? A l’aune de ces exemples, il est indispensable d’examiner les pratiques en vigueur avant de lancer un projet numérique international.

L’observation directe, lorsqu’elle est possible, complète généralement les informations sur le fonctionnement de l’entreprise recueillies lors d’entretiens ou consultation de documents. S’appuyer sur un ou des « ambassadeurs » maitrisant les deux cultures peut aussi s’avérer indispensable. Une alternative intéressante à des audits de prise de connaissance longs et coûteux.

Aujourd’hui des formations à l’interculturalité existent. Certaines décryptent des modes de pensée selon les zones géographiques dans le monde. D’autres s’attachent à davantage travailler une posture basée sur les soft-skills, à savoir la capacité d’écoute, l’ouverture et l’empathie.
L’idée est de comprendre au lieu de juger à partir d’a priori pour éviter les catégorisations hâtives.

(1) Hofstede, G. (2001). Culture’s consequences: comparing values, behaviors, institutions, and organizations across nations. Thousand Oaks: Sage Publications.


Auteur
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Fabien Silone est PhD en psychologie sociale et consultant en innovation & gestion du changement chez Isatech
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