Sobriété numérique : comment repenser le développement logiciel ?

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Mettre en place la sobriété numérique dans son organisation nécessite avant tout de bien comprendre l’impact écologique du numérique, pour savoir mieux le piloter et l’infléchir.

Aujourd’hui, la prise de conscience de l’impact environnemental est par exemple beaucoup plus forte dans le secteur aérien, que dans celui du numérique. Son aspect intangible donne en effet l’impression qu’il est neutre pour l’environnement. Or, dans les faits, son impact carbone représente quasiment le double de celui du secteur aérien, et est en augmentation constante comme le relève la feuille de route du Conseil National du Numérique.
Le second trompe-l’oeil se trouve dans sa démarche de progrès continu. En étant toujours plus efficace, le numérique provoque un effet rebond : l’amélioration d’un rendement qui aboutit non pas à une diminution de la consommation, mais à l’augmentation de son usage.
En 2020, pour arriver au premier résultat d’une recherche sur Airbnb, le site va échanger des données, l’équivalent de Windows 95 (30 Mo).

Quel est donc l’impact réel de son service numérique ? S’il reste complexe et coûteux de l’évaluer précisément, être conscient de la contribution des différents maillons de la chaîne numérique (terminaux, équipement réseaux et serveurs) aide déjà à mieux identifier les principaux points d’amélioration. Reste alors à inscrire son service dans ce cadre global.
Pendant trop longtemps, dans la conception de nos produits et services numériques, on a privilégié la centricité utilisateur avant tout. Des produits user-friendly, dynamiques, réactifs… sans vraiment regarder ce qui se passait autour. Mais une nouvelle approche est possible, et c’est la raison pour laquelle, nous devons considérer le Design comme un processus intégré à une vision systémique : une réflexion élargie à l’humain, la société et la planète.

Concevoir avec une approche plus sobre

Cette prise en compte de l’impact dès la conception est clé dans une démarche de sobriété numérique. La meilleure optimisation d’un calcul, d’une requête réseau ou d’un stockage de données, c’est de s’en affranchir. Penser un service sobre, et ne pas seulement contenir son impact à posteriori, c’est se donner réellement les moyens d’être acteur de ce facteur 4 par lequel nous nous sommes engagés à diviser nos émissions d’ici 2050.

Ainsi, pour évaluer l’impact global d’un nouveau produit ou service et le concevoir avec une approche plus sobre, il est intéressant d’utiliser un modèle d’analyse articulé autour de trois dimensions dès la conception, puis tout au long du projet :

1/ Utilité : s’assurer de répondre avec justesse aux besoins humains réels. Les designers, comme créateurs de services, ont la responsabilité active de se questionner sur les problèmes/besoins auxquels ils répondent et évaluer leur pertinence, nouveauté ou encore faisabilité. En pratique cela passe par exemple par un avis technique dès la conception. L’expérience finale vécue n’est en effet pour l’instant pas celle imaginée par le designer, mais celle que l’équipe technique a réussi à construire sur la base de la conception. Intégrer un regarde technique dès la conception, c’est prévenir dès le départ le potentiel écart entre l’intention et le résultat.
Autre exemple, offrir un contrôle fin des notifications : les notifications sont souvent pensées de manière exhaustive, mais il est rare qu’une même personne ait réellement besoin de l’intégralité des notifications d’un produit. Lui donner le contrôle sur ces notifications, c’est lui permettre de se construire un service au plus près de ses attentes.

2/ Durabilité : une solution pérenne, robuste, efficiente. C’est sûrement la dimension la plus naturelle de la sobriété numérique, celle qui nous invite à contenir la consommation des ressources de notre service. Cela passe par la réalisation d’un service intrinsèquement plus efficace, mais qui maîtrise aussi ses effets de bord. Par exemple, le support des anciennes versions d’OS mobiles ou de navigateurs ne réduit pas la consommation directe du service, mais elle permet aux utilisateurs de conserver leurs terminaux plus longtemps.

3/ Accessibilité : sans barrière d’entrée à l’usage. L’accessibilité a longtemps été pensée comme une manière de rendre son service disponible aux personnes en situation de handicap. Mais de nombreuses autres barrières existent : l’équipement nécessaire pour accéder au service ou la maturité numérique requise pour manipuler le service correctement. Ces barrières si elles ne sont levées, en plus d’être un frein au service, peuvent aussi engendrer une surconsommation de ressources. Un exemple de pratique à systématiser dans les services numérique est l’utilisation de texte avec taille adaptative, fonctionnalité qui permet d’adapter le service au terminal, plutôt que le terminal au service.

Comme illustré plus haut, ces principes se transcrivent par des pratiques concrètes mais différentes d’un métier ou d’un secteur à l’autre. Il est nécessaire d’accompagner les équipes dans la déclinaison de ces dimensions à leur métier.
Par exemple, dans l’entreprise Fabernovel cela s’illustre avec la construction d’une boîte à outils adaptée à nos besoins, organisée par métier, plateforme, phase du projet, dans laquelle chacun peut venir piocher. Cette base de connaissance collaborative permet à chacun de participer à l’enrichissement de notre expertise sur le sujet, ce qui est crucial au regard de la diversité et de la vitesse d’évolution du numérique.

La sobriété numérique, ce n’est pas un sprint, c’est une course de fond. Le meilleur moyen de tenir la longueur, c’est de se donner des métriques pertinentes et mesurables pour son projet, et d’y associer un objectif long terme : ne pas dépasser une certaine limite (en temps de calcul, transfert de données par exemple), voire se contraindre à réduire une métrique à chaque nouvelle version. Tout comme pour le passage des tests ou le suivi de qualité du code, il est alors possible d’automatiser cette mesure dans ce qu’on appelle la brique d’intégration continue.

Comprendre, imaginer, réaliser, mesurer, puis recommencer. Ce cycle n’a rien de novateur. Ce qui l’est plus, c’est le sujet auquel on l’applique, la sobriété numérique. Un sujet resté longtemps confidentiel, sur lequel nous devons tous rattraper notre retard. Nul doute qu’avec une mobilisation suffisante, nous serons en mesure de rassembler les connaissances et les outils nécessaires à sa réalisation. Il s’agit maintenant d’accorder à la sobriété numérique la place qu’elle mérite.


Auteur
Hugo Hache est Directeur Technique chez Fabernovel Claudia del Prado est Senior Strategist chez Fabernovel
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