Bernard Duverneuil, président du Cigref : « Nous cherchons à éliminer la non-prévisibilité »

Président du Cigref depuis 2016, Bernard Duverneuil évoque ses missions pour faire entrer les usages de l’IT dans l’âge de raison et accompagner les révolutions technologiques.

Il y a 50 ans, Pierre Lhermite créait le Cigref pour « faire réfléchir les grandes entreprises françaises aux enjeux de la réussite du pari informatique ». Que reste-t-il de cet ADN ?
Bernard Duverneuil – Si on remplace le terme informatique par numérique, on peut appliquer la vision de Pierre Lhermite à l’action du Cigref d’aujourd’hui. Il y a 50 ans, nous rencontrions des problématiques liées à l’introduction de l’informatique dans les entreprises comme leviers de changement, de créativité et de création de valeur. Mais il y avait aussi le sujet de la relation avec les fournisseurs, notamment le plus important qui était IBM.

Aujourd’hui, nous avons conservé les mêmes problématiques. Si on regarde les acteurs du cloud, nous avons affaire aux GAFAM… avec Amazon, Google et Microsoft. Ce qui a énormément changé aujourd’hui, c’est le développement des cybermenaces.

Vos préconisations vont bien au-delà de l’intérêt des seules grandes entreprises…
Bernard Duverneuil – C’est une réflexion que l’on a eue dans notre dernier plan stratégique. Nous conservons l’accès gratuit à l’ensemble de nos productions – études, référentiels —, car nous pensons que les préoccupations, les centres d’intérêt et le partage des bonnes pratiques de nos adhérents peuvent profiter aux PME qui souhaitent s’en inspirer. C’est particulièrement vrai dans les domaines de la cybersécurité et de la relation avec les fournisseurs.

Justement, restons sur le sujet de la relation avec les fournisseurs. La servicisation du SI, comme vous l’appelez au Cigref, a-t-elle changé les pratiques ?
Bernard Duverneuil – La nature de l’offre a changé, mais il y a toujours des discussions sur un certain nombre de conditions dans les contrats, celles qui peuvent enfermer les entreprises sur le long terme et aussi sur la tarification qui reste fluctuante. Nous cherchons à éliminer la non-prévisibilité. On peut dire que nous avons une relation « je t’aime moi non plus » avec les fournisseurs. On se dit des choses, mais nous avons besoin d’avancer ensemble.

Cela fonctionne par cycle. En ce moment, nous sommes dans une phase où nous avons besoin d’obtenir plus de choses sur les marchés du cloud, de la donnée et des services informatiques.
Il faut mieux définir les règles, mais de nombreux sujets pourraient être traités facilement par une réglementation européenne. Il faut que les autorités comprennent que c’est extrêmement dommageable. J’explique souvent qu’il s’agit davantage de pratiques illégitimes que de pratiques illégales, ce qui constitue une taxation sur les entreprises européennes.

Cloud, cybersécurité… les enjeux du DSI ont changé. Et qu’en est-il de son profil ?
Bernard Duverneuil – Le vrai rôle du DSI consiste bien à identifier les solutions qui vont apporter de la valeur à l’entreprise et de parler un langage adapté avec les métiers, tout en maîtrisant, avec son équipe, les composantes techniques. Il est une fonction pivot dans l’entreprise et son profil reste technique, même si le métier recourt davantage à l’assemblage de différentes technologies.

Cela reste une tâche extrêmement complexe, n’en déplaise aux offreurs qui communiquent beaucoup pour dire que tout est devenu facile. La mission régalienne de l’IT, aujourd’hui, c’est être garant de la cohérence de l’architecture du système d’information, et d’assurer la sécurité de l’ensemble.

Le Cigref a introduit la notion de  » valeur d’usage  » de l’IT…
Bernard Duverneuil – Oui, nous avons beaucoup insisté sur cette notion dans la décennie 2000-2010, avec Jean-Pierre Corniou, l’un de mes prédécesseurs, qui était DSI de Renault.
L’idée consistait à défendre  l’idée, auprès des directions générales, que les technologies ont intrinsèquement de la valeur, mais que c’est la qualité de leur déploiement et de leur utilisation qui sont déterminante pour créer de la valeur.

Une bonne illustration est le développement des solutions de travail collaboratif. Leur adoption a permis de développer des échanges plus transverses et en réseau. C’est un des principaux apports du numérique dans le changement de l’entreprise ces dix dernières années.
L’autre point d’évolution majeur reste la valeur des données qui devient évidemment stratégique. On parle du capital immatériel qui s’ajoute à la valeur d’usage.

Vous préconisez le recours à l’open source pour  » garder le contrôle  » …
Bernard Duverneuil – Pour l’infrastructure, les alternatives de solutions open source sont nombreuses et performantes. Cela n’est pas le cas avec l’applicatif, sans doute parce qu’il y a moins de standardisation et beaucoup plus de personnalisation, mais cela reste une approche à soutenir.

Le cloud peut-il être une opportunité pour développer l’industrie du logiciel en Europe ?
Bernard Duverneuil – Les grandes entreprises cherchent des solutions qui sont globales, ce qui favorise le dé­ve­lop­pement de grands acteurs qui sont principalement américains. Mais pour les ETI et les plus petites entreprises, il y a une offre d’éditeurs français et européens qui s’est développée avec le SaaS, notamment dans le domaine des RH.

On voit aussi, maintenant, des start-up qui sont accompagnées par des grands groupes pour développer leurs solutions à l’international dans leurs filiales. Chez ces jeunes éditeurs, je vois d’abord  l’ambition de se développer à l’international, et je vois moins de volonté d’être européens.

Quels sont les grands axes de travail du Cigref pour les prochaines années ?
Bernard Duverneuil – Notre axe de travail principal reste de nous interroger en permanence sur le bon usage des technologies pour créer de la valeur. Pour prendre deux exemples concrets, nous allons beaucoup nous pencher sur les applications de l’intelligence artificielle et de la 5G.

Quel est le rôle du DSI dans la recherche d’une plus grande sobriété numérique des systèmes d’information ?
Bernard Duverneuil – Nous avons pris conscience de l’empreinte environnementale de nos activités numériques il n’y a pas si longtemps. La notion de valeur d’usage reste un bon indicateur pour décider de développer ou pas ces activités. Dans le passé, nous avons déployé, un grand nombre de solutions qui n’avaient pas rempli cette mission. Donc on peut considérer leur impact environnemental comme négatif. Mais la démarche doit englober aussi la dimension  » green IT  » , qui implique de choisir des solutions qui consomment moins.

C’est vertueux, car on constate que les grands fournisseurs, y compris les GAFA, développent de bonnes pratiques, par exemple avec des datacenters moins énergivores. A nous d’être plus incisifs sur nos choix. C’est une tendance forte que l’on ne peut pas négliger, parce qu’il existe une attente sociale. Mais aujourd’hui, dans les entreprises, je constate que l’on est encore davantage dans des mesures défensives plutôt que des politiques offensives sur le sujet.

On a beaucoup remis en cause l’utilité de la 5G dans le débat public. Maintenez-vous que cette technologie reste un atout pour les entreprises ?
Bernard Duverneuil – On sait qu’il va y avoir des conséquences dans plusieurs industries, dont l’automobile, avec la voiture connectée. La principale inconnue reste le calendrier de la disponibilité. Il va y avoir des tests pendant des mois, voire des années, avant de trouver des applications qui changent vraiment l’existant. Mais je ne pense pas que ce soit une  » révolution  » du même ordre que celles provoquées par l’arrivée d’Internet et du téléphone mobile, qui ont profondément changé le fonctionnement des systèmes d’information des entreprises.