Brevet sur les logiciels: les chercheurs montent au créneau

Le projet de directive européenne visant à breveter les logiciels continue de soulever un tollé, notamment chez les chercheurs

« Ce serait une erreur économique! » scandent à l’unisson deux représentants de la communauté des chercheurs et universitaires, Dominique Foray, directeur de recherche au CNRS, et Jacques Mairesse, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales.

Dans Le Monde de l’Economie de ce 23 septembre, ils s’en prennent frontalement à qui constitue, à leurs yeux, un « changement de régime » et non une simple clarification administrative destinée à délimiter et améliorer les pratiques des offices de brevet nationaux et européens« .

Ils admettent que ce projet de directive est un « document important, car l’innovation et la concurrence dans le développement des logiciels sont au coeur de la croissance et de la compétivité futures de nos économies ». Mais, selon eux, les législations sur la propriété intellectuelle, et sur les brevets en particulier, n’agissent pas nécessairement pour le meilleur dans tous les domaines.

Des effets néfastes à l’innovation

« Si elle était adoptée, la directive inciterait vraisemblablement certaines grandes entreprises à se doter de vastes portefeuilles de brevets européens en logiciels« . Or, relèvent les deux chercheurs, « les économistes savent que l’exploitation stratégique de tels portefeuilles de brevets peut engendrer des effets fortement néfastes à l’innovation (…) »

Ils ajoutent: « Un code de logiciel bien conçu est hautement modulaire, et les logiciels innovants sont le plus souvent créés de manière efficiente par recombinaison et réutilisation de modules existants. Les enchevêtrements » et « maquis de brevets » qui pourraient résulter de cette directive constitueraient autant d’obstacles à l’innovation »

En clair, « le développpement des logiciels offre de nombreuses opportunités d’action aux petites entreprises, voire aux inventeurs isolés »

Ne pas reproduire la politique américaine et ses erreurs

A l’inverse, « les brevets logiciels, en élevant les coûts ainsi que l’incertitude juridique, associés à l’assemblage de nombreux composants, seraient donc particulièrement désavantageux pour les stratégies d’innovation des PME, et pourraient compromettre le rôle central d’innovation qu’elles jouent en Europe dans ce secteur »

Bref, « l’Europe doit construire une industrie des logiciels innovante et compétitive, sans nécessairement reproduire les erreurs de la politique américaine des brevets »

Source: Le Monde de l’Economie, 23/09/03. Cette position est exprimée simultanément dans le Financial Times, sous les signatures des professeurs Paul David (Université d’Oxford) et E.Steinmueller (Sussex), dans le quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung, sous la plume du professeur Diemar Harhoff (Münich) et dans le Corriere delle Serra, sous celles des professeurs Alfonso Gambardella et Bronwyn Hall (Pise).