Brevets des logiciels (2): L’appel du 15 mars 2005 !

TRIBUNE – L’approbation de la directive sur la brevetabilité des logiciels, par le Conseil des ministres européen, continue de susciter un tollé. Rien n’est encore joué: le Parlement peut encore voter des amendements, mais à la majorité absolue. Mobilisons-nous!

Le texte de la directive approuvé par le Conseil des Ministres de l’Union Européenne pose un réel problème: il dit tout et son contraire. A y regarder de près, ce document consensuel évoque les messages de la Wehrmacht codés par Enigma en 1940 – sauf qu’ici le déchiffrage paraît mission impossible!

D’un côté, on nous explique que: «pour être brevetable, une invention mise en oeuvre par ordinateur doit être nouvelle, susceptible d’application industrielle et impliquer une activité inventive. Pour impliquer une activité inventive, une invention mise en oeuvre par ordinateur doit apporter une contribution technique à l’état de la technique.» A la limite de la légalité Avec une telle disposition, on peut breveter ce qu’on veut! Car chacun sait que l’état de la « technique » dans le domaine des ordinateurs est plutôt sujet à caution. Les 30.000 brevets déposés à l’Office Européen des Brevets ces dernières années, dans un cadre à la limite de la légalité, vont pouvoir faire la fortune des multinationales qui en ont rempli leur portefeuille ; ces brevets des plus riches laisseront de nombreuses PME-PMI innovantes sur le carreau: c’est le pot de terre contre le pot de fer ! (un exemple: Microsoft a déposé 3.000 brevets à l’USPTO aux Etats-Unis en 2004…) De l’autre côté, la position « commune » formulée par le Conseil des Ministres déclare: «Conformément à la Convention européenne des brevets, un programme d’ordinateur en tant que tel ne peut constituer une invention brevetable. [en 1973, la Commission avait défini que les logiciels, au même titre que les livres, bénéficiaient du droit d’auteur mais ne pouvaient en aucun cas être l’objet d’un brevet]. Le même texte « charabia » continue: «Ne sont pas brevetables les inventions consistant en des programmes d’ordinateur, qu’ils soient exprimés en code source, en code objet ou sous tout autre forme, qui mettent en oeuvre des méthodes pour l’exercice d’activités économiques, des méthodes mathématiques ou d’autres et ne produisent pas d’effets techniques au delà des interactions physiques normales entre un programme et l’ordinateur, le réseau ou tout autre appareil programmable sur lequel celui-ci est exécuté. » Ici, il est clair qu’un programme d’ordinateur, quel qu’il soit, du moment qu’il ne pilote aucun process industriel (contre-exemple: logiciel pilotant un ABS de voiture), n’est aucunement brevetable ! L’intérêt des grands éditeurs C’est alors que le dernier paragraphe, qui peut annuler et remplacer le deuxième, stipule: «Le Conseil a introduit une nouvelle disposition afin de préciser que, dans certaines circonstances et à des conditions très strictes, un brevet peut correspondre à une revendication pour un programme d’ordinateur, seul ou sur support. Le Conseil estime que cette disposition alignerait la directive sur ce qui est actuellement pratique courante, tant à l’Office Européen des Brevets (OEB) que dans les Etats membres. ». C’est là une véritable autoroute toute tracée pour l’OEB et ses partisans ou acolytes – à savoir la BSA (Business Software Alliance), d’origine américaine, et l’EICTA (European Information & Communications Technology Industry Association) qui représentent les intérêts des grands éditeurs, soutenus par des cabinets d’avocats influents. On peut aisément supposer que ces lobbies ont exercé une très forte pression sur le Conseil des ministres afin qu’il valide un vote où les participants n’étaient pas unanimes, loin s’en faut. C’est la démocratie européenne, dont on pouvait être fiers, qui est ainsi bafouée. A titre indicatif, Microsoft dépense chaque année 100 millions de dollars pour se défendre contre des attaques diverses et variées de sociétés détentrices de brevets dont l’activité se résume à poursuivre les «Rich and Famous Editors» afin de leur extorquer des fonds par millions. Comme il n’existe pas de Cour fédérale chargée de l’application des brevets, ce sont des tribunaux de chaque Etat qui statuent en faveur des uns ou des autres suivant les arguments avancés. Voilà l’activité productive validée par cette directive commune. Où sont la protection et l’innovation promises ? Ne baissons pas les bras. Le Parlement Européen peut encore invalider cette directive sous trois mois et avec la majorité absolue. Nous tous, et particulièrement ceux qui connaissent des Députés européens, devons agir pour contrer ce texte inique sur les brevets logiciels, sous peine de voir les PME-PMI de l’industrie du logiciel européen disparaître à plus ou moins brève échéance ! Les amendements, défendus notamment par le député européen Michel Rocard et votés au premier passage, doivent absolument être rétablis ! (*) Chargé de cours, directeur d’Intellique Sites de référence: www.nosoftwarepatents.com www.ffii.fr