Capgemini : un modèle offshore de plus en plus rentable… jusqu’à quand ?

Paul Hermelin © Capgemini

Boosté par le rachat d’iGate, Capgemini atteint un chiffre d’affaires record et voit sa rentabilité s’envoler. Mais le modèle de la SSII, reposant sur des centres de services en Inde, est-il encore pertinent avec les cycles de développement courts du digital ?

La première SSII française, Capgemini, termine l’année 2015 sur une dynamique positive. Dopée par le rachat du prestataire américain iGate, le chiffre d’affaires atteint un nouveau record et tutoie les 12 milliards d’euros (11,9 précisément), soit une croissance de 12,7 % en un an. Le bénéfice net du groupe, lui, s’envole, progressant de 94 % en un an. Il atteint 1,12 milliard d’euros.

La croissance provient toutefois presque entièrement du rachat de la SSII nord-américaine, intégrée dans les comptes du groupe depuis le milieu de l’année ; à périmètre constant, la croissance de Capgemini se limite à 1 %. Une moyenne il est vrai plombée par la contraction sévère de l’activité en Grande-Bretagne, que le groupe explique par l’arrêt programmé de certains contrats en sous-traitance, qui étaient peu rentables.

Confortée par un bon quatrième trimestre, la SSII prévoit qu’en 2016, son activité progressera, à taux de change constants, dans une fourchette comprise entre 7,5 et 9,5 %, sachant que 5 points sont mécaniquement acquis du fait de l’apport d’iGate au premier semestre. Et, malgré les récentes alertes sur l’économie mondiale, Paul Hermelin, le Pdg du groupe, ne voit pas vraiment de raison de s’inquiéter : « certes, le Brésil et le secteur du pétrole et de l’énergie aux Etats-Unis connaissent un ralentissement économique, ce qui pèse sur notre croissance, mais ce sont là les seuls points d’attention identifiés à ce jour », souligne le dirigeant.

Reprise de l’investissement en France

Avec le renfort d’iGate, Capgemini réalise désormais plus de 30 % de son chiffre d’affaires en Amérique du Nord, qui devient la principale région pour la société en termes de chiffre d’affaires. « Sur le marché mondial, l’Amérique du Nord pèse 40 % des dépenses IT. Nous y sommes donc encore un peu sous-représentés », estime Paul Hermelin. S’il a écarté toute nouvelle acquisition massive aux Etats-Unis – il a ainsi décliné tout intérêt pour un rachat global de Perot à Dell -, le Pdg de Capgemini n’a pas fait mystère de sa volonté de renforcer l’activité conseil, encore assez limitée (270 personnes en tout et pour tout). C’est d’ailleurs le sens du rachat annoncé ce matin de Fahrenheit212, une société de conseil américaine de 70 personnes. Il n’en reste pas moins que la croissance organique tend à décliner aux Etats-Unis pour la SSII française : elle est passée de 10,3 % en 2014 à 7,8 % en 2015. Capgemini prévoit qu’elle sera ramenée à environ 5 % en 2016.

Derrière le porte-avion nord-américain, la France reste l’autre point fort du groupe, avec un chiffre d’affaires annuel dépassant les 2,4 milliards d’euros (+ 1,2 % en organique). « La tendance positive qui s’est dessinée au quatrième trimestre (+2,7 % de croissance) se confirme en ce début d’année dans l’Hexagone, assure Paul Hermelin. On assiste à une reprise de l’investissement même si la France n’est pas la zone la plus dynamique d’Europe. »

L’offshore de Capgemini… sauf en France

L’autre indicateur majeur, la marge opérationnelle, est lui aussi bien orientée. En un an, elle passe ainsi de 9,2 à 10,6 %. C’est mieux que l’objectif que s’était fixé la société. La SSII prévoit désormais entre 11,1 et 11,3 % de marge en 2016, Paul Hermelin évoquant l’effet bénéfique d’iGate. Rappelons que le modèle de cette SSII repose sur un recours massif à l’offshore : sur les 33 500 salariés d’iGate, 27 300 étaient basés dans un pays à bas coût, très majoritairement en Inde. A moyen terme, Capgemini maintient son objectif de marge compris entre 12,5 et 13 % sur l’exercice 2018 ou 2019. « Nous sommes en route », assure Paul Hermelin.

capgeminiSauf que la France peine à suivre le rythme. A 8,1 % en 2015, la marge opérationnelle y recule de 0,3 point par rapport à 2014. « En Europe, c’est la marge la plus basse, commente le Pdg. Nous avons connu des difficultés dans l’ingénierie, avec Airbus notamment, travaillons sur deux ou trois contrats compliqués et les projets français ont peu recours à l’offshore », dit Paul Hermelin.

600 000 CV par an en Inde

Car le modèle Capgemini est avant tout tourné vers l’utilisation de ses centres de services dans les pays à bas coûts. Une tendance que n’a fait qu’amplifier le rachat d’iGate. 54 % des effectifs de Cap sont ainsi logés dans ces pays, à commencer par l’Inde qui totalise 87 000 personnes (sur un total de 180 600 salariés). Pour Paul Hermelin, ce choix s’explique avant tout par un accès aux compétences sans équivalent ailleurs dans le monde : « chaque année, nous analysons 600 000 CV en Inde ! ».

Reste à savoir si ce modèle, dont l’efficacité actuelle se confirme dans les chiffres de la SSII, est bien le modèle de demain. Avec la montée en puissance du Devops et de l’automatisation des architectures, les métiers de l’IT changent et les grands centres de services, particulièrement offshore, semble bien mal adaptés à ces projets d’un nouveau genre, où l’agilité prime sur l’optimisation des coûts. « C’est vrai que l’automatisation va nous poser un défi, reconnaît Paul Hermelin, interrogé sur ce point par Silicon.fr. Car ce sont d’abord les tâches les plus simples qui vont être automatisées, celles que l’on confie habituellement aux jeunes diplômés. Je m’attends à ce que ce phénomène transforme notre pyramide des compétences. »

« Plus de grand projet livré à deux ans »

Dans le chiffre d’affaires du groupe, le digital (que Capgemini définit comme l’IT achetée directement par les métiers) et le Cloud pèse 22 % du chiffre d’affaires en 2015 (+ 23 %). A titre de comparaison, Gartner estime à environ 30 % la part de la dépense IT échappant à la DSI (pour IDC, c’est même davantage). Cap est donc plutôt en retard dans l’accompagnement de ce virage. « Les gens issus des métiers n’acceptent pas l’idée du grand projet livré à horizon deux ans, reconnaît le dirigeant. Ils veulent une première mouture dans trois mois, quitte à enclencher des cycles de développement itératifs ensuite pour améliorer la solution. » Capgemini a ainsi ouvert 3 centres d’innovation en France, permettant à ses clients de travailler avec ses équipes sur des cycles de développement de 8 semaines.

Dans le Cloud, si Paul Hermelin n’entend pas s’aventurer directement dans la fourniture de services Iaas – « un métier trop consommateur de capitaux » -, il estime son groupe bien positionnée comme acteur complémentaire des leaders de ce marché, que sont AWS, Microsoft et Google. Et d’assurer : « ces acteurs ne sont pas du tout organisés pour le dernier kilomètre », autrement dit pour accompagner les entreprises sur l’ensemble de leurs besoins autour du Cloud. En plus de ses partenariats avec les grands noms du secteur (comme Azure ou IBM Bluemix), Capgemini prévoit d’ouvrir 3 centres de services en Inde dédiés à la migration des applications vers le Cloud.

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