Comment Cisco a détruit (discrètement) 500 emplois en France

A coups d’externalisations et de plans de départ, Cisco a réduit la surface de son activité vidéo en France. Et vient d’annoncer aux 190 salariés restants la fermeture pure et simple de l’activité.

Exclusif. Côté pile, il y a les yeux doux que Cisco fait à la French Tech, une histoire d’amour matérialisée par la décision du géant américain d’investir 200 M$ dans les start-ups de l’Hexagone et par la proximité affichée entre son président John Chambers et le président de la République Emmanuel Macron. Côté face, on trouve une histoire plus sombre, celle de Cisco Video Technologies France, une filiale de Cisco Systems installée à Issy-les-Moulineaux (en photo ci-dessus).

John Chambers et Emmanuel Macron lors de Vivatech, la semaine dernière.
John Chambers et Emmanuel Macron lors de Vivatech, la semaine dernière.

Issue du rachat de NDS pour lequel Cisco a mis 5 Md$ sur la table en 2012, la filiale, officiellement absorbée par l’Américain en 2013, est passée d’environ 500 personnes il y a quatre ans à… rien du tout à brève échéance, le groupe américain venant d’annoncer ce lundi aux salariés la fermeture de cette activité de R&D. Une décision qui doit être confirmée par un comité d’entreprise exceptionnel prévu ce jeudi. « C’est la dernière lame ; 190 personnes sont concernées par cette cessation d’activité », explique un délégué syndical joint par la rédaction.

Externalisation chez Cognizant

La décision de fermeture du site suit en effet d’autres plans de réduction des effectifs : environ 90 personnes ont été licenciées en 2015 ; 36 autres ont été rapatriées vers la maison mère Cisco Systems ; et quelque 85 salariés supplémentaires ont été externalisés en 2016 à la SSII américaine Cognizant (dont le centre de gravité est largement indien). Le solde s’expliquant par des démissions ou des ruptures conventionnelles.

L’histoire de cette descente aux enfers débute dans le giron de Canal +, où cette filière technologique du groupe de télévision sur abonnement développe des solutions de contrôle d’accès et des middlewares dédiés à cet univers très particulier. Au début des années 2000, alors que le groupe Vivendi est restructuré sous la férule de Jean-René Fourtou après le départ de Jean-Marie Messier, l’activité est vendue d’abord à Thomson, puis revendue par appartements, Nagravision s’empare des activités de contrôle d’accès, tandis que NDS, le bras armé technologique de News Corporation, le groupe du magnat australien Rupert Murdoch, récupère la partie middleware. Selon le délégué syndical que nous avons interrogé, cette partie de feu – Canal + Technologies s’installe alors à Issy-les-Moulineaux. D’abord réduite à environ 250 personnes, la société grossit peu à peu pour atteindre un demi-millier de salariés. 480 par exemple en moyenne sur l’exercice annuel clôturé le 31 juillet 2014.

Virage raté vers le Cloud

Le rachat par Cisco, en 2012 marque une inflexion nette ; « la stratégie a été de s’écarter des solutions sur mesure pour se focaliser sur les opérateurs over-the-top avec une offre Cloud », reprend notre interlocuteur. Une inflexion confirmée par la communication de Cisco à l’époque : lors des commentaires entourant les résultats du second trimestre de l’année fiscale 2013, John Chambers parle d’une « transition » depuis le métier des set-top-box, vu comme un marché à faible marge, vers le Cloud, activité présentée comme « plus profitable et stratégique ».

Ce virage se concrétise en R&D par un projet baptisé Infinite Video Platform. Problème : le barycentre de ce développement est localisé en Israël et, dans une moindre mesure, aux Etats-Unis et en Inde. Bref, la France ne fait pas partie des plans. De plus, selon notre source en interne, le produit né de ce projet pluri-annuel ne se vend pas bien, faute de donner totale satisfaction dans des architectures Cloud. Les chiffres que Cisco livre aux marchés financiers témoignent d’ailleurs de ces difficultés. Entre 2013 et 2016, le chiffre d’affaires généré par l’activité vidéo a été divisé par deux.

« Orgueil déplacé et exécution ratée »

Selon le délégué syndical de Cisco Video Technologies France, si le groupe poursuit aujourd’hui les développements autour des solutions Cloud, la priorité est désormais de couper dans les coûts de fonctionnement de l’activité. Ce qui conduit la firme à sacrifier la filiale française. Même si, paradoxalement, cette dernière se porte plutôt bien, selon les derniers chiffres connus. En 2015, la filiale emploie encore 457 salariés et réalise 109,5 millions d’euros de chiffre d’affaires (+18 % par rapport à l’année précédente), pour un bénéfice net de 12,7 millions. Mais ces chiffres doivent avant tout à la refacturation interne, l’entité française étant un centre de R&D travaillant pour des clients internes.

« La cessation d’activité est le résultat d’un orgueil déplacé – pourquoi se couper de nos clients traditionnels ? – et de l’exécution ratée du projet de développement de solutions Cloud », analyse le délégué syndical. La mise en œuvre du nouveau plan social, qui soldera l’histoire torturée de Cisco Video Technologies France, doit intervenir en fin d’année.

Contacté par deux voies différentes, Cisco n’avait pas répondu à nos sollicitations à l’heure où nous mettions en ligne cet article.

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