CITE DES SITES: Alphonse Allais ou rire à satiété sur Internet

Alphonse Allais, l’humour à Honfleur, les bons mots qui fleurissent Internet et le préservent de l’oubli !

La première blague qu’ait faite Alphonse Allais, c’est au moment de sa naissance car il est né, le 20 octobre 1854, le même jour (lui c’était la nuit, à Honfleur) qu’Arthur Rimbaud. Certes les deux auteurs ne jouaient pas dans la même division et ils ne se sont jamais rencontrés, l’immense poète du Bateau ivre ayant choisi d’abandonner vers et prose pour aller vivre l’aventure dans la corne de l’Afrique. Et Alphonse Allais ne fut que fantaisie et humour. Fils de pharmacien et tout désigné pour devenir pharmacien lui-même, il préférait mettre la pharmacie au service de ses fantaisies. Les suspensoirs devenaient des lance-pierres, il fabriquait et offrait à ses camarades de classe des bonbons à base de laxatif : que ne peut-on faire en disposant d’une pharmacopée ! La pharmacie paternelle existe toujours et le préparateur actuel n’est autre que le deus ex machina de sa gloire posthume. Honfleur est une petite ville merveilleuse. Tout y est beauté. La ville d’Alphonse Allais est aussi celle d’Eugène Boudin. «

C’est à Honfleur que le peintre débutant rencontre d’autres personnalités qui marqueront sa carrière : Baudelaire (qui le surnommera « Le Roi des ciels ») et Courbet. « C’est Boudin qui, au Havre, initiera le jeune Monet à l’art du paysage sur nature. Jamais il ne délaisse la Normandie. Chaque été, Boudin séjourne à Trouville et la représentation des citadins s’adonnant aux plaisirs des bains de mer fera la réputation du peintre. » Je tire ces lignes du site Communes 76 qui recense les « Sequano-maritimiens » célèbres. Un mot qui aurait ravi Allais mais, de son temps, le département s’appelait Seine-inférieure et je me demande bien comment les linguistes du tourisme pouvaient alors tenter d’appeler ses habitants. Honfleur est encore la ville de Satie, l’illustre compositeur des Gymnopédies. Ce site nous raconte comment Allais et Satie se retrouvèrent : «L’année 1887 fut marquée par la composition de sa première ?uvre de quelque importance, les Trois Sarabandes. Il commença aussi, en cette même année, à travailler comme pianiste au Chat noir, où il fit la connaissance d’Alphonse Allais, écrivain subtil et corrosif qui aura une grande influence sur sa musique. « Son engagement au Chat noir fut important pour lui: il gagnera sa vie, pendant de nombreuses années, comme pianiste de cabaret. En outre, ce travail aura une incidence sur la partie de sa production musicale. Il est assez curieux d’observer que cette période de sa vie soit aussi celle que l’on qualifie de mystique et gothique, en vérité si lointaine de l’esprit du cabaret, alors que l’influence de ce dernier ne devait se faire sentir que dans la désinvolture apparente de ses oeuvres futures. « Satie, à cause de son caractère difficile, ne resta pas longtemps au Chat noir, qu’il quitta brusquement. Il continua pourtant ce genre d’activité. Il trouva peu de temps après une place de pianiste dans un autre cabaret, L’Auberge du Clou, où il resta plusieurs années et où il fit, en 1891, la connaissance de Debussy.» Naquirent aussi à Honfleur Lucie Delarue-Mardrus, dont le mari traduisit le premier les Mille et une nuits, et Henri de Régnier, dont la femme fut, entre autres, célèbre pour sa liaison avec Pierre Louÿs. Il y a à Honfleur un musée Boudin et une Maison Satie. Il y aura bientôt si l’on n’y prend pas garde un bâtiment à mon sens importun. Des gens bien intentionnés envisage d’ancrer à demeure le Norway, qui s’appellera de nouveau France, dans le port d’Honfleur, tout près de l’admirable pont de Normandie. L’idée est aberrante dans la mesure où Honfleur n’a pas besoin d’une attraction supplémentaire. C’est le coup de la grande roue qui a été placée trop longtemps à l’entrée des Tuileries, brisant la perspective qui va de l’arc du Carrousel à l’Arc de Triomphe ? Il y a tant d’endroits en France où on pourrait amarrer le navire éponyme et qui seraient ainsi valorisés comme Marne-la-Vallée bénéficie d’Eurodisney. Imaginez-vous ce même Eurodisney à la place du Jardin du Luxembourg ? Il n’y a pas à proprement parler un Musée Alphonse Allais à Honfleur mais sa pharmacie natale en tient lieu. Passocean est un site qui, d’une part, s’ouvre largement sur Honfleur et, d’autre part, commente, comme le dit un des articles du Quotidien du Pharmacien reproduit en fac-similé, le préparatoire-musée installé dans la pharmacie où exerça Alphonse Allais, ensemble d’objets rassemblés par Jean-Yves Loriot, préparateur depuis plus de trente ans à la pharmacie du Passocéan. Avec la complicité du pharmacien en titre, M.Loriot a rassemblé divers objets nés de l’imagination d’Alphonse Allais : le crâne de Voltaire enfant, la tasse avec l’anse gauche fabriquée spécialement pour un empereur chinois gaucher et ces fameux tableaux unicolores : un blanc, ?Première communion de jeunes filles chlorotiques par temps de neige?; un rouge, ?Récolte de la tomate par des cardinaux apoplectiques le long de la mer Rouge?, etc. Il y a quelques mois, cette exposition avait été transférée au Musée de Montmartre, charmante bâtisse, pas loin de la place du Tertre, qui mérite le déplacement, avec vue imprenable sur les dernières vignes de Paris. Jean-Yves Loriot a analysé les 3500 contes d’Alphonse Allais et en cite quelques aphorismes : «– J’ai connu bien des filles de joie qui avaient pour père un homme de peine. – Quand on ne travaillera plus le lendemain des jours de repos, la fatigue sera vaincue. – Il est toujours avantageux de porter un titre nobiliaire. Etre de quelque chose, ça pose un homme, comme être de garenne, ça pose un lapin. – Les pommes de terre cuites sont plus faciles à digérer que les pommes en terre cuite. – Entendu de mes propres yeux: – C’est étonnant comme les frères Lyonnet se ressemblent ! Oui, surtout Anatole. – La mer est salée parce qu’il y a des morues dedans. Et si elle ne déborde pas, c’est parce que la Providence, dans sa sagesse, y a placé aussi des éponges. – Shakespeare n’a jamais existé. Toutes ses pièces ont été écrites par un inconnu qui portait le même nom que lui. – C’est probablement parce que les ardoises viennent d’Angers que le métier de couvreur est dangereux. – On sait que les cheveux, considérés au microscope, sont creux, ce qui explique l’expression: tuyau de poil.» Et les inventions. Elles sont presque aussi nombreuses que celles de Léonard de Vinci. Entre autres : «le recyclage des vieux confetti, les obus chargés de poil à gratter, la récupération des énergies perdues, tel le mouvement oscillatoire du bras gauche chez les troupes en marche, le coton noir pour les oreilles des personnes en deuil, la casserole carrée pour empêcher le lait de tourner, les balayeuses municipales à papier buvard pour assécher les rues après la pluie » «A 17 ans reçu bachelier ès sciences, Allais devient stagiaire à la pharmacie paternelle. C’est d’ailleurs dans le laboratoire paternel qu’il fit ses premiers essais de photographies en couleurs. Plus tard Allais rencontra Charles Cros et travailla avec lui. « Mais ses expériences de stagiaire étaient nombreuses et peu du goût de son père : « essais de nouvelles teintures » sur les torchons de la pharmacie et surtout sur les cheveux des clients, dispensassions de faux médicaments ou conseils farfelus. Son père fut obligé de se séparer de lui et l’envoya comme stagiaire dans une pharmacie à Paris. « Là il rencontra des chansonniers, des artistes et commença à écrire ses nouvelles dans la presse et les cabarets Monmartrois. Il « oublia » de se présenter à son cinquième examen de pharmacien. « Adulte, il revenait souvent à Honfleur où il écrivait à la terrasse du « café de Paris », prés de la pharmacie paternelle. Honfleur qu’il aimait beaucoup et « pourtant il y fait bien chaud en été, pour une aussi petite ville ».» poursuit Jean-Yves Loriot qui cite encore Alphonse Allais : «La blague est la seule arme à employer contre la solennité imbécile d’un tas de messieurs qui voudraient nous faire prendre leurs baudruches soufflées pour des blocs de marbres. Quant aux graves patauds qui n’aiment pas la blague, ils me rappellent un cul de jatte que j’ai rencontré l’autre jour. Ce pauvre bout d’homme haussait les épaules en voyant des cyclistes.» L’encyclopédie de l’ Agora a eu le bon goût de retrouver dans L’Esprit, ouvrage de Sacha Guitry, ce texte sur Alphonse Allais plutôt mélancolique : «Sa vie n’a pas été heureuse. Peut-être, un jour – plus tard – on la racontera. Sa femme était jolie, séduisante et fine. Elle lui donna une petite fille qu’il adora – et je l’ai vu, pendant des heures et des heures, penché sur son berceau, la regardant dormir. Il était, dans l’intimité, silencieux, réfléchi, parfois mélancolique et tendre avec une extrême pudeur – tout cela sans cependant jamais cesser d’être en un état constant d’humour, et n’abdiquant en aucune circonstance cette manière de s’exprimer qui n’était véritablement qu’à lui seul. C’était l’esprit le plus indépendant qui fût. Aucune considération ne pouvait intervenir entre le monde et lui. Il était libre, absolument. Sa situation d’écrivain était à peu près nulle. Il n’avait pas de passé, se savait sans avenir, vivait au jour le jour – ou, plus exactement, mourait au jour le jour! – ne désirait rien et pouvait hardiment plaisanter les travers de chacun sans qu’il eût à redouter qu’on lui rendît la pareille. Je dois ajouter qu’une délicatesse infinie le préservait de tout excès dans cette voie. Était-il donc invulnérable? Non, et ses amis auraient pu le taquiner sur la boisson – car hélas! il buvait. Mais tous ils savaient bien qu’il en mourrait un jour. Il n’en est pas mort tout à fait involontairement, car il lui restait pour toute fortune 17 francs ce jour-là. Je le sais bien, hélas! puisqu’il m’a été donné d’entrer dans sa chambre une heure ou deux après sa mort.» Une part de l’oeuvre d’Alphonse Allais se retrouve sur Internet grâce en particulier à la Bibliothèque virtuell et à l’exceptionnelle bibliothèque de Lisieux. C’est une joie sans pareil de lire sur son écran ces contes si drôles et si renouvelés. On peut aussi lire, c’est plus long mais aussi agréable, L’affaire Blaireau, roman qu’Yves Robert adapta à l’écran sous le titre Ni vu ni connu, avec Louis de Funès dans son premier grand rôle. On fêtera peut-être ce mois-ci le cent cinquantième anniversaire de la naissance d’Alphonse Allais mais on célébrera sûrement l’année prochaine le centenaire de sa mort. On rira beaucoup. Louis FOURNIER