CITE DES SITES : Histoire sur Internet, le devoir de mémoire

La chaîne Histoire entretient, sans grands moyens financiers semble-t-il, un devoir aussi nécessaire que noble, celui de la mémoire. Pas étonnant donc qu’elle donne une telle place à Internet

Abonné au câble, je peux choisir entre plus de cent chaînes de télévision. Malheureusement, certains soirs, comme aucun des programmes n’est tentant, je suis obligé de me rabattre sur un DVD si je veux laisser mon écran allumé. Il y a tous les genres, tous les styles, toutes les langues sur le câble. Je fréquente assez souvent une « petite » chaîne,

Histoire, qui m’apporte la plupart du temps satisfaction. Cette chaîne, dirigé par Gérard Carrayrou – vous souvenez-vous de lui ? – a un site Internet, tout fait remarquable : Histoire.fr, qui ne se borne pas à transcrire les programmes. Ils sont commentés et illustrés, et cela pour plusieurs semaines successives dans des ensembles au format pdf remarquablement mis en page. Une bonne part semble due à Amélie Bourdoiseau, véritable deus ex machina ? ça veut dire, en l’occurrence, déesse des machines ? qui s’active en différentes tâches et assure en plus les contacts avec les auditeurs. Ainsi nous apprenons qu’à la fin de l’année on pourra découvrir un film sur les Grands Hôtels de Vienne : « Au XIXe siècle, l’empereur François-Joseph 1er fit de la capitale des Habsbourg le centre culturel de l’Europe. En 1857, les anciens murs d’enceintes de la ville sont détruits et remplacés par la «Ringstrasse», une magnifique avenue circulaire, appréciée par les promeneurs. On retrouve tout au long de cet anneau les lieux à la mode, comme le grand théâtre de l’Opéra construit en 1869. A deux pas de l’Opéra, l’hôtel Sacher devient le lieu de réjouissances non officiel de la bonne société en quête de plaisirs. Desservi par un important réseau ferroviaire, la cité danubienne est une destination idéale pour les riches voyageurs et leurs imposantes suites. Mais la ville manque d’hôtels prestigieux pour les accueillir. En 1873, lors de l’Exposition universelle de Vienne, l’empereur François-Joseph 1er inaugure l’Impérial, le plus grand et le plus magnifique hôtel de la ville… » Autres palaces, ceux de Saint-Moritz : « Dans les hauteurs des majestueuses Alpes suisses se trouve un lieu légendaire de la vie alpine. A l’ombre des crêtes enneigées d’une des plus spectaculaires chaînes de montagnes du monde, ce minuscule village semble figé dans le passé. Destination hivernale la plus huppée du monde, Saint-Moritz est un terrain de jeux pour les têtes couronnées, reines de beauté et autres stars de Hollywood. Perchée à 1800 mètres d’altitude, avec une population permanente de 3000 âmes, la ville se situe près de la frontière italienne, à quelques dizaines de kilomètres de l’Autriche. Ce n’est pas en tant que lieu de vacances à la mode que Saint-Moritz a acquis sa réputation internationale mais en tant que retraite pour les grands malades. C’est en 1537 que Paracelse fit connaître les effets bénéfiques des multiples sources de la région. Les eaux ferrugineuses du pays ne tardent pas à attirer de nombreux voyageurs. Au XIXè siècle, une maison de bains reçoit les malades. Assez rapidement naît l’idée de bâtir un lieu de prestige capable d’accueillir une clientèle avide des bienfaits de la région et de la magnifique vue sur le lac… » Dans Histoire, on ne s’intéresse pas seulement à l’hôtellerie, fût-elle prestigieuse. Au moment du bicentenaire du sacre de Napoléon, on s’intéresse au maximum à l’Empire et on découvre ce texte qui fait presque frémir : « Le statut de la femme à l’époque napoléonienne. En 1804, le code Napoléon affirme l’incapacité juridique totale de la femme mariée : – interdiction d’accès aux lycées et aux universités, – interdiction de signer un contrat, de gérer ses biens, – exclusion totale des droits politiques, – interdiction de travailler sans l’autorisation du mari, – interdiction de toucher elle-même son salaire, – contrôle du mari sur la correspondance et les relations, – interdiction de voyager a l’étranger sans autorisation, – répression très dure de l’adultère pour les femmes, – les filles-mères et les enfants naturels n’ont aucun droit.» Une des vedettes d’Histoire aurait aujourd’hui plus de cent ans. C’est Henri Guillemin, mort en 1992. Imaginez un Alain Decaux ayant trop de choses à dire, parlant plus vite et même trop vite, mais qu’on suit facilement tellement ses propos sont passionnants. Mâcon où il est né lui a consacré un musée. « L’écrivain et historien a néanmoins vécu la majeure partie de son existence à Neuchâtel, jusqu’à son décès en 1992. «Mon père était resté très attaché à Mâcon, il se rendait tous les étés au ?Terrier’, sa maison de campagne. J’y partageais sa passion pour la pêche à l’écrevisse et la cueillette des champignons!», se souvient Françoise Guillemin, la fille de l’écrivain, aujourd’hui encore installée dans le modeste appartement qui jouxtait celui de ses parents. «J’avais 9 ans quand nous sommes arrivés à Neuchâtel, en 1942, pour fuir la Gestapo. J’ai effectué ma scolarité ici et j’y suis revenue à 51 ans, après mon divorce. Mon père a beaucoup aimé cette ville, où le professeur Charly Guyot l’avait accueilli, et qu’il avait choisie en raison du fonds Jean-Jacques Rousseau déposé à la Bibliothèque de la Ville». « Jean-Jacques Rousseau? Au même titre que Zola, Bernanos ou Hugo, il avait trouvé grâce aux yeux de Guillemin, pourfendeur des grandes figures de l’Histoire et de la littérature (?) « Napoléon? Un truand qui s’est fait empereur. Vigny? Un indicateur de police. Déboulonnées aussi les statues de Gide, Benjamin Constant, Voltaire… Réhabilités, en revanche, Lamartine, Rousseau, Robespierre («Au fond, il était pur»). Ses détracteurs traitèrent Guillemin de «Fouquier-Tinville de la critique», ses partisans virent en lui un «empêcheur de mystifier en rond». « Antipapiste, trop aigu dans ses vues, mon père n’a guère été apprécié par les dirigeants français, Mitterrand excepté. Il a nagé à contre-courant, c’était courageux, mais il y avait aussi, peut-être, une petite part de provocation dans sa démarche. Il aimait bien susciter la controverse. En revanche, il détestait les disputes et fuyait les confrontations avec ceux qui ne partageaient pas son avis. ?Ils ne comprennent rien’, se contentait-il de dire, en ennemi du prosélytisme». « Au fil des confidences de Françoise Guillemin, les contours de l’intellectuel s’estompent quelque peu, et laissent apparaître un homme taillé, comme beaucoup d’autres, dans des blocs contrastés. Ami de François Mauriac, de Claudel et de Sartre, Guillemin n’en prenait pas moins plaisir à recevoir Piaf, Bourvil ou Fernandel. Professeur, attaché culturel à l’ambassade de France à Berne, il dévorait les romans policiers de Simenon et préférait l’accordéon ou le yodel à la musique classique, qui l’ennuyait ferme. Au terme de l’entretien, on se prend à imaginer l’écrivain quittant son bureau, revêtu de sa robe de chambre, pour rejoindre son poste télé où l’attend l’inspecteur Derrick, un homme certes très laid, mais «un merveilleux être humain». Dominique Bosshard »,lit-on sur le site de l’ Express (de Neuchatel ) Histoire précise : « Henri Guillemin présente Napoléon : l’iconoclaste historien retrace avec une précision qui touche parfois à la cruauté la carrière du petit caporal devenu empereur des Français. » «Histoire, lancée en juillet 1997, est devenue la chaîne de référence dans le domaine de l’histoire. La diffusion à l’automne 2000, à la fois sur l’antenne et le site Internet de la chaîne, d’une série de trente-sept émissions consacrées au procès Barbie, a été unanimement saluée par le public et la presse comme un programme exceptionnel à double titre : la diffusion du procès Barbie a constitué un événement audiovisuel qui a déjà fait date dans la courte histoire de la télévision et cette diffusion a participé au nécessaire travail de mémoire sur cette période tragique, en apportant à un large public un éclairage nouveau sur la Seconde Guerre mondiale.» La performance a été renouvelée avec le procès Touvier, ce « troisième couteau » qui s’était efforcé de convaincre de son innocence des ecclésiastiques et des hommes politiques, non des moindres. Et bientôt ce sera le tour de Papon. « La chaîne Histoire va diffuser prochainement le procès de Maurice Papon, condamné le 2 avril 1998 par la cour d’assises de Gironde à dix ans de réclusion criminelle pour « complicité de crimes contre l’humanité ». En décembre 2002, à la demande de Papon, le tribunal de grande instance de Paris avait suspendu la diffusion du procès par Histoire car la condamnation n’était pas encore définitive. En juin dernier, la cour d’appel a rejeté l’ultime pourvoi de Papon et donc entériné sa condamnation. Histoire devrait donc diffuser le procès le premier trimestre de 2005, en quarante émissions de deux heures.» lit-on sur Col.fr Ainsi pourra-t-on voir et entendre le procès controversé d’un homme qui fut préfet de police sous le général de Gaulle, responsable du massacre de Charonne, ministre du Budget de Raymond Barre, trésorier du grand parti de droite bien après avoir été décisionnaire à la préfecture de Bordeaux. Qu’une chaîne de télévision puisse ainsi se diversifier au point, en s’appelant Histoire, de participer à l’Histoire de la France et du monde, est une gageure qu’elle remplit pleinement. En particulier, elle conduit, dans son chapitre dédié aux sites concernant les programmes de Terminale, à traiter d’un problème plutôt oublié, celui des déportés du travail : « S.T.O… derrière ces trois initiales l’histoire dissimule l’un de ses chapitres les plus douloureux de la dernière guerre. Cinq millions d’Européens des pays occupés ou annexés par les nazis – dont plus de 600.000 Français – furent les victimes contraintes et forcées de ce service du Travail Obligatoire organisé par Hitler dans sa folie hégémonique. S.T.O… à ce vocable aux résonances anodines la Résistance, les Accords de Londres de 1945, le Tribunal International Militaire de Nuremberg lors du procès des grands criminels de guerre et le gouvernement du Général de Gaulle à la Libération ont donné son véritable nom, celui de « Déportation des populations civiles pour le Travail Obligatoire« . En le qualifiant de « Crime de guerre, Crime contre l’humanité« , les alliés et la plus haute juridiction internationale ont stigmatisé à jamais, suivant l’expression du juge américain Jackson à Nuremberg « l’Entreprise d’Esclavage la plus étendue et la plus terrible qui se soit jamais vue dans l’histoire« . Pour ces 600.000 Français livrés à l’ennemi par le pseudo-gouvernement de Vichy, pour l’honneur des 60.000 qui y périrent, (dont 15.000 furent fusillés, pendus ou décapités) et auxquels la République a attribué la mention « Mort pour la France« , la Fédération Nationale des Victimes et rescapés des Camps Nazis du Travail Forcé s’est toujours refusé à laisser tomber le voile noir de l’oubli.» La chaîne Histoire entretient, sans grands moyens financiers j’imagine, un devoir aussi nécessaire que noble, celui de la mémoire. Pas étonnant donc qu’elle donne une telle place à Internet.