CITE DES SITES: Jean Giraudoux dans le cyber-siècle

Jean Giraudoux occupe dans les lettres du 20ème siècle une place de tout premier plan. Le média Internet le propulse déjà dans le 21è siècle

A la fois poète, quoique évitant le vers comme moyen d’expression («

Dieu me préserve de faire des vers, d’écrire ce que je pense en lignes, de passer à leur laminoir ma vie»), romancier, le plus brillant sinon le plus profond, dramaturge – sans doute le premier du siècle, avec Paul Claudel -, auteur de cinéma ? quel chef-d’?uvre que ces Anges du Péché ! ? il est encore esthéticien, essayiste littéraire, politique et urbaniste. Jean Cocteau – qui dessina le masque mortuaire de Giraudoux – classait ses titres en poésie, poésie de roman, poésie critique, poésie de théâtre, etc. Cette classification serait plus juste encore pour Jean Giraudoux s’il fallait avec ce génie du verbe et de l’image se soucier de mettre un ordre. Son ?uvre est une. Elle est le reflet d’une personnalité hors de pair où la fantaisie dompte en s’en accommodant le bon sens français, l’élégance oxonienne et la grandiose poésie rhénane. Qui a dit « précieux »? On a dit que Giraudoux était précieux . Le général de Gaulle a fait justice de cette affirmation. Il prétendait reconnaître «immédiatement un imbécile à trois clichés : la douce France, le réalisme de Balzac… et la préciosité de Giraudoux.» Disons que Giraudoux est un précieux écrivain et non pas un écrivain précieux. Comme Crébillon et Alexandre Dumas, Jean Giraudoux eut un fils, Jean-Pierre, qui écrivit une Électre, comme papa. En 1940, de Lisbonne, il aurait télégraphié à de Gaulle : «Me rallie à vous. Prière envoyer avion. Giraudoux» (je ne garantis pas le mot à mot). Déception à Londres quand on vit que c’était le fils. Car Jean Giraudoux avait une haute stature politique. «Nommé Commissaire général à l’information par Daladier en juillet 1939, Jean Giraudoux prononça à la radio jusqu’en 1940 ses « Messages du Continental » pour dénoncer la guerre hitlérienne. Klaus Mann écrivait dans le journal américain The Nation du 16 décembre 1939 : « L’idée de donner ‘Pleins pouvoirs’ à un écrivain et à un ami déclaré des Allemands, dans une heure si critique est proprement française : intelligente, un peu capricieuse, au demeurant très sage. Car il est sage de ne pas se mettre au niveau d’un ennemi dont on ne pourrait ni ne voudrait surpasser l’inventive vilenie ni la stridente rhétorique du mensonge. »» Ces extraits des Cahiers Jean Giraudoux sont repris dans Europe-revue.info. Grand ami de l’âme allemande, Jean Giraudoux eut sous l’Occupation une attitude sans équivoque. Il mourut brusquement le 31 janvier 1944. Au lendemain des obsèques, le perfide « Je suis partout » insinua que tous ces messieurs de la famille gaulliste étaient là. Louis Aragon avança sur Radio-Brazzaville qu’il avait été assassiné par les Nazis. L’affaire ne fut jamais éclaircie. Je peux toutefois témoigner, certes à la manière de La Palisse, que trois semaines avant sa mort, il me semblait en parfaite santé quand il me dit «Voulez-vous que je vous offre Sodome et Gomorrhe ?», ce qu’il fit en m’emmenant chez lui. J’étais très très jeune mais je rencontrais souvent Jean Giraudoux qui me dit un jour où je le voyais sortir de chez Valery Larbaud «Qui attendez-vous, Claudel ou Valéry ?» «J’attends Giraudoux.» Femmes, femmes -parmi quelques souvenirs… Une autre fois, en 1943, je l’accompagnai dans un lointain bureau des Affaires étrangères où il avait la possibilité de téléphoner à Louis Jouvet qui poursuivait ses tournées en Amérique du Sud et qui, peut-être, se penchait déjà sur La Folle de Chaillot. Jouvet m’avait dit un jour «Pour faire parler Giraudoux il faut l’éventrer.». Eh bien, je n’ai jamais eu besoin de le faire ! J’aurais beaucoup d’autres souvenirs à raconter. La femme, les femmes ont toujours inspiré Giraudoux. Au théâtre, il y eut d’abord une femme de chair, Valentine Tessier puis, ensuite, une fille de ciel, Madeleine Ozeray, diaphane, éclairée du dedans, pour qui le mot ingénue semblait avoir été inventé. Valentine fut Geneviève, l’héroïne de Siegfried, Alcmène d’Amphytrion 38, et Isabelle d’Intermezzo. Madeleine devint Agathe d’Électre, Tessa, la nymphe au c?ur fidèle et surtout, avant d’être une incarnation définitive d’Agnès de l’École des femmes, elle fut Ondine, inexprimable, inhumaine et plus qu’humaine. Et voici qu’on reprend Ondine avec comme interprète Laetitia Casta, très beau mannequin qui débute ainsi au théâtre. L’accueil est entre deux eaux : «Mais on est surtout là pour Ondine-Laetitia Casta. Une évidence : le rôle ne semble pas fait pour elle. Trop terrienne, trop charnelle, trop sensuelle. Belle bien sûr, mais manquant de cette grâce élégiaque, de cette légèreté, de cette transparence qui ferait d’elle un elfe des lacs et des montagnes. On est loin de la lumineuse innocence d’Isabelle Adjani, très loin. Et cela malgré l’énergie dépensée, la fougue un peu brouillonne. «Le jeu de Lætitia Casta est souvent désordonné comme l’est sa diction, surtout lorsqu’elle pousse vers l’excès. Contrairement au cinéma et à la publicité, l’image n’est plus là pour masquer les apparences. Elle manque de vérité théâtrale. Autour d’elle une troupe aux talents disparates qui semblent croire à ce qu’ils jouent. Ce sont bien les seuls.», estime Figaroscope.fr. Quant à Michel Cournot (lemonde.fr) il trouve que Lætitia semble «rendre la poésie d’Ondine. Elle est légère, elle vole presque, elle parle vite, un peu en l’air aussi. Elle est touchante. » La Folle de Chaillot, ses mythiques interprètes Le pli étant pris, j’espère qu’on reprendra aussi les autres pièces de Giraudoux, en particulier « Siegfried », qui pose les rapports entre France et Allemagne, et « La Guerre de Troie » n’aura pas lieu, puisque la guerre a toujours lieu dans quelque partie du monde. Et puis il faudrait bien redonner vie et donner succès à « Judith » ou encore à « Intermezzo », que Giraudoux peaufina deux ans durant. Quant à la pièce posthume, créée le 19 décembre 1945, « La Folle de Chaillot », elle est prophétique puisqu’on on y parle entre autre pétrole ? un gisement place de l’Alma! Dans un des très nombreux sites universitaires consacrés à Giraudoux, on trouve cette indication relative à la Folle : « Thèmes abordés : amitié, bonheur, chanson, chute, criminel, cupidité, devoir, eau, égoïsme, enfer, exorcisme, folie, homme, jeunesse, justice, liberté, mal, mensonge, miroir, misère, muse, nature, noblesse, nostalgie, occupation, orgueil, pardon, presse, suicide, utopie.» Raisons de plus pour que les plus grandes comédiennes veuillent reprendre après l’inoubliable Marguerite Moreno le rôle d’Aurélie : Annie Ducaux, Edwige Feuillère, Judith Magre, Katherine Hepburn à New York. J’en oublie sans doute. Je forme le v?u que Jeanne Moreau incarne à son tour la Folle ? et, pour la première fois, à Chaillot ! Biographie sur sites Un site très sympathique quoique d’accès un peu compliqué, Terre des Ecrivains énumère quelques-unes des demeures de Giraudoux. « À Bellac, entrez je vous en prie dans la maison où je suis né… Et du second étage, vous devrez reconnaître bon gré mal gré, que c’est bien la plus belle ville du monde.» Jean Giraudoux. Comme quoi, l’enfance, ça marque. « Le seul lieu qui garde la mémoire de Giraudoux est un de ceux où il a le moins vécu… et celui qu’il a le plus évoqué dans son oeuvre : la maison de son grand-père, vétérinaire de Bellac en Haute-Vienne, où il naît en 1882. Bellac et le Limousin apparaissent dans « Les Provinciales », « Suzanne » et « Le Pacifique », « Siefried » et « Le Limousin », « Intermezzo », « Les Cinq tentations de La Fontaine », « Pleins pouvoirs », « Littérature », « La Folle de Chaillot », « L’Apollon de Bellac ». Bellac, c’est le paradis perdu de l’enfance, la beauté du Limousin… et l’Hostellerie de la Pyramide, où La Fontaine aurait écrit Le coche et la mouche. « Giraudoux n’y vit que ses sept-huit premières années, avant d’habiter Pellevoisin (où il croise certainement, sans le savoir, Georges Bernanos) à partir de 1890, d’être interne au lycée de Châteauroux -devenu lycée Jean Giraudoux- entre 1893 et 1900, et de gagner Sceaux et Paris ensuite. C’est au lycée que la compagnie des livres lui devient indispensable. « A Cérilly, où ses parents s’installent en 1895, il fait connaissance de Charles-Louis Philippe. Jusqu’à la mort de sa grand-mère en 1897, Jean fait encore quelques séjours à Bellac, mais guère ensuite. Si sa carrière diplomatique ne le mène pas dans des pays aussi lointains que Paul Claudel ou Saint-John Perse, elle lui permet d’assurer une sécurité financière favorable à l’écriture. Fin 1926, il obtient même de siéger (jusqu’en 1933) dans la « Commission d’évaluation des dommages alliés en Russie »… dont il finit par être l’unique membre ! Le gouvernement pense certainement que la beauté de sa langue sert davantage la nation que la diplomatie de ces années-là… « Voici ses principales étapes géographiques : en 1900, il devient interne au lycée Lakanal à Sceaux, puis à l’Ecole normale rue d’Ulm à Paris en 1903 ; après un service militaire à Roanne, en 1908, entre quelques voyages en Allemagne (il est grand germanophile) et ailleurs en Europe, il est secrétaire du directeur du Matin, Bunau-Varilla, et loue un appartement 16 rue de Condé. Il collabore à des revues littéraires (est en particulier « recruté » par Gide dans la Nouvelle Revue Française, dans son n°2 de mars 1909), tout en se détachant peu à peu de l’enseignement pour s’orienter vers une carrière diplomatique qu’il débute officiellement en 1910, en devenant élève vice-consul au Quai d’Orsay. « Sa pratique du football et du rugby (il a été champion universitaire de 400 mètres en 1900 !) lui fait rencontrer -sur le terrain- d’autres passionnés, anciens de Lakanal et jeunes écrivains : Alain-Fournier, Jacques Rivière, Pierre Mac Orlan, Gaston Gallimard,… « En 1921, jeune marié, il s’installe 8 rue du Pré-aux-Clercs. Ses récits de guerre lui ont déjà gagné quelques succès littéraires. Mais c’est à la fin des années 20 que, poussé par Louis Jouvet, il s’embarque pour une carrière théâtrale qui fera sa renommée, avec en particulier Siefried en 1928 et Amphitryon 38 en 1929 (écrit en trois semaines de grippe). En 1934, les Giraudoux emménagent 89 quai d’Orsay. C’est là qu’il décède le 31 janvier 1944 d’un empoisonnement du sang.» « Quand je me souviens de l’homme, je réentends sa voix – une voix assez extraordinaire, écrit Edwige Feuillère, qui lui inspira une autre pièce posthume, Pour Lucrèce, après avoir joué La Duchesse de Langeais et Sodome et Gomorrhe. « Il était d’une courtoisie et d’une élégance, aussi bien dans ses manières que dans ses sentiments, que j’ai rarement trouvées chez un être humain. Il y a des personnes qui sont réservées avec distance. Au contraire, lui, il savait marier sa réserve avec infiniment de grâce, de tendresse et de curiosité. Il était toujours extrêmement narquois, mais avec beaucoup d’indulgence, et son ironie était teintée de tendresse. Sa conversation était aussi brillante que son style écrit. Bien qu’il ne parlât jamais de son oeuvre, il s’exprimait sur les petites choses de la vie, avec beaucoup d’humour, de drôlerie ? » ( Magazine Littéraire, octobre 69) Une belle biographie de Jean Giraudoux due à Jacques Body vient de paraître chez Gallimard. Il y a déjà trois Pléiades consacrées à notre auteur et bientôt une quatrième recueillera ses écrits disons politiques – on pourrait dire prophétiques. Trop peu présent à la fin du 20ème siècle, Jean Giraudoux ne sera pas absent du 21ème siècle. Nous en sommes sûrs, les prémices sont là. Louis Fournier