CITE DES SITES : Jean Négroni, hommages sur Internet

Les étoiles aussi sont mortelles mais, sic transit gloria mundi, toutes ne sont pas honorées de la même façon quand elles nous quittent.

En février, disparut Simone Simon qui fut une immense vedette, tant en France qu’à Hollywood, commençant par être l’adorable Puck de Lac aux Dames et terminant en beauté dans La Ronde, chef-d’?uvre de Max Ophuls. Eh bien sa mort est passée pratiquement inaperçue, comme celle, peu de temps après, de Blanchette Brunoy, qui débuta, adolescente, dans Claudine à l’école, et tournait encore peu de temps avant de disparaître. Et Gaby Basset qui vient de mourir à plus de 90 ans ! Elle avait été grande vedette dans les années 30, et avait épousé Jean Gabin ; quand ils eurent divorcé, il continua de l’imposer dans la distribution de tous ses films. Personne n’a parlé de sa disparition? Le 10 octobre 1963, je me promenais dans Paris. Aux Ternes, je lis la manchette de France-soir : «

Jean Cocteau est mort ». J’arrive à l’Étoile, autre manchette du même France-soir : « Disparition d’Édith Piaf ». On fut abasourdi de la disparition simultanée de ces deux grandes personnalités, qui se connaissaient bien : elle avait créé Le bel indifférent. Autre double mort, encore liée à Cocteau : celle de Jean Marais le 8 novembre 1998 et d’Edwige Feuillère le 13 novembre. Ils avaient créé ensemble l’Aigle à deux têtes et maintenant ils étaient dans la mort bicéphale? Je pensai à ces problèmes nécrologiques quand s’éteignit, samedi dernier, mon ami Jean Négroni qui ne fut jamais une grande vedette mais souvent une tête d’affiche et, en tout cas, un des plus grands hommes de théâtre du XXème siècle. Je craignais que cette disparition fût traitée comme une simple information. Il n’en fut rien et on retrouve dans lemonde.fr cet article de Brigitte Salino : « Une belle voix grave s’est éteinte : le comédien Jean Négroni est mort, dans la nuit du vendredi 27 au samedi 28 mai, à L’Ile-Rousse, en Corse, où il s’était retiré. Il était âgé de 84 ans. Il avait joué pour la dernière fois en 2001 à Paris, au Théâtre 14, dans Marie Hasparren, de Jean-Marie Besset, mis en scène par Jacques Rosner. « Né le 4 décembre 1920, à Constantine, en Algérie, Jean Négroni rencontre le théâtre à travers Albert Camus qui, à la fin des années 1930, l’incite à jouer dans Le Retour de l’enfant prodigue. Ainsi naît une vocation. En 1944, à Paris, le jeune homme rencontre son deuxième « père » de scène, Jean Vilar. Vilar, qui n’est pas encore patron du Théâtre national populaire (TNP), mais directeur de la Compagnie des 7, engage Jean Négroni comme comédien et assistant metteur en scène. Ils travailleront ensemble jusqu’en 1953. Le temps de signer parmi les plus belles pages de l’histoire du théâtre : la création du Festival d’Avignon, en 1947, et la fondation du TNP, au Palais de Chaillot, à Paris, en 1951. PREMIER VOYAGE VERS AVIGNON « Avec Bernard Noël, Michel Bouquet, Alain Cuny, Silvia Monfort ou Jeanne Moreau – appelée « la môme » par Vilar ; elle n’a pas 20 ans -, Jean Négroni est de ceux qui font le premier voyage vers Avignon. Pendant sept ans, à Avignon et à Paris, il jouera dans Richard II, Le Prince de Hombourg et Lorenzaccio (avec Gérard Philipe), La Mort de Danton… Puis il partira pour une autre aventure de troupe : celle de la compagnie Renaud-Barrault. Comme ce fut le cas avec Vilar, Jean Négroni n’est pas nécessairement en tête de distribution, mais il impose un physique et une voix qui font merveille dans ce que l’on appelle le corps de troupe. « En 1968, son engagement et sa haute idée d’un théâtre populaire le mènent à prendre la direction de la maison de la culture de Créteil. Là, il se bat pour faire vivre l’héritage politique et artistique de Jean Vilar. En 1976, il jette l’éponge, faute d’obtenir l’argent garant de l’idée qu’il se fait de sa mission. « Ces grandes étapes de la carrière de Jean Négroni s’accompagnent d’autres aventures, certaines admirables, au cinéma ou à la télévision. En 1952, Alain Resnais et Chris Marker font appel au comédien pour ‘Les statues meurent aussi’, court-métrage d’anthologie sur l’Afrique à travers l’art. En 1961, il tourne avec Armand Gatti qui, avec ‘L’Enclos’, signe son premier film : un face-à-face imposé par un officier SS dans un camp de concentration, entre un communiste allemand et un juif français. « Le réalisateur Stellio Lorenzi le dirige dans ‘La Croisade et L’Inquisition’, en 1964, puis dans ‘La Terreur’, la même année. Dans ce film tourné pour l’émission « La caméra explore le temps », à la télévision, Jean Négroni joue Robespierre. Il rejouera ce rôle deux autres fois : dans ‘1989 et nous…’, un spectacle de Maurice Béjart pour le bicentenaire de la Révolution française, et dans ‘Je m’appelais Marie-Antoinette’, mis en scène par Robert Hossein, en 1993. « Le comédien, amoureux de poésie, prêtera sa voix à des émissions de radio. Et il répond « oui » quand, en 2000, le compositeur Pierre Henry lui demande d’accompagner sa musique dans Mix. Ainsi restera la voix d’une belle vie.» Cette dépèche nous retransmet cet éloge : « Hommage du ministre de la Culture et de la Communication Renaud Donnedieu de Vabres à Jean Négroni, « grande figure du monde du théâtre » « Avec Jean Négroni, le monde du spectacle perd un des plus ardents et des plus rigoureux serviteurs de la création et de la diffusion culturelles », a estimée le ministre samedi dans un communiqué. « Disciple de Camus, compagnon de théâtre de Jean Vilar qu’il a accompagné dans l’aventure du TNP et du Festival d’Avignon, il a prêté son visage et sa voix aux interprétations les plus marquantes des pièces du répertoire (?) « Il fut surtout le directeur et le créateur de la Maison de la culture André Malraux de Créteil, participant ainsi directement à la grande ambition de la démocratisation du théâtre et de la culture. C’est dans le même esprit que Jean Négroni a rendu familières aux Français, par ses interprétations à la télévision, de nombreuses figures de notre histoire ou de notre littérature. « Nous sommes nombreux à nous souvenir de son interprétation de Robespierre pour ‘La caméra explore le temps’ qui sut rendre toutes les nuances et la complexité d’un personnage révolutionnaire controversé» www.festival-avignon.com évoque avec précision ce qui fut la naissance d’une formidable réussite dans laquelle Jean Négroni était en tête de ligne : « 1947-1963 « Vilar, « régisseur » au Palais des papes « Pendant 17 ans, le Festival reste l’affaire d’un seul homme, d’une seule équipe, d’un seul lieu, et donc d’une seule âme. La volonté de Jean Vilar est de toucher un public jeune, attentif, nouveau, avec un théâtre différent de celui qui se pratiquait à l’époque à Paris : « Redonner au théâtre, à l’art collectif, un lieu autre que le huis clos (?) ; faire respirer un art qui s’étiole dans des antichambres, dans des caves, dans des salons ; réconcilier enfin, architecture et poésie dramatique« . « Jean Vilar s’attache une troupe d’acteurs qui viendra chaque mois de juillet réunir un public de plus en plus nombreux et de plus en plus fidèle. Ces jeunes talents, ce sont Jean Négroni, Germaine Montero, Alain Cuny, Michel Bouquet, Jean-Pierre Jorris, Silvia Montfort, Jeanne Moreau, Daniel Sorano, Maria Casarès. Gérard Philipe, déjà célèbre à l’écran, les a rejoints en 1951 ; il en est resté le symbole, avec ses rôles fameux du Cid (Corneille) et du Prince de Hombourg (Kleist). « Le Festival devient le fer de lance du renouveau théâtral français. Il éclaire et conforte d’autres expériences d’animation théâtrale conduites alors par les pionniers de « la décentralisation » (Jean Dasté à Saint-Étienne, Maurice Sarrazin à Toulouse, Hubert Gignoux à Rennes, André Clavé à Colmar). C’est en province que l’art théâtral se renouvelle par l’action de metteurs en scène, chefs de troupe, envoyés par l’État en mission dans ce qui était tenu, à l’époque, pour un désert culturel. Et Avignon devient autant le rendez-vous de ces pionniers que l’événement culturel de l’été. « L’expérience d’Avignon doit donc se pérenniser ; il convient de donner une scène permanente à Vilar. En 1951, Jeanne Laurent, directrice des Spectacles au secrétariat d’Etat aux Beaux-Arts, qui avait encouragé Vilar avant 1947 et soutenu financièrement la « Semaine d’Art », sait qu’Avignon a réussi, que la politique de décentralisation a conquis un nouveau public. Un comité interministériel voulait un rapport sur le théâtre national ; elle propose qu’il soit consacré au théâtre populaire ; ce qui était possible en province devait l’être pour Paris et sa banlieue. « Le comité, sensible à la détermination de Jeanne Laurent, lui donne son accord. C’était le 17 juillet 1951. Elle prend immédiatement le train pour Avignon et propose l’aventure à Vilar. Il hésite, consulte la troupe, finit par accepter. La veille de l’enterrement de Jouvet, il est nommé officiellement directeur du Théâtre national de Chaillot qu’il rebaptise du nom donné par Gémier : Théâtre national populaire. L’équipe d’Avignon sera le noyau du TNP.» Nous nous sommes toujours vus, Jean Négroni et moi, tout au long de sa carrière dans la mesure où il dirigea de nombreux disques que je produisais. C’était une joie de travailler avec cet homme si disert, si cultivé. Je le mis beaucoup à contribution avec Claudel : trois disques de poèmes dont le Magnificat, La Vierge au pied de la croix, Thérèse de Lisieux et L’Annonce faite à Marie. Je lui avais demandé d’extraire les passages essentiels de l’Annonce montée par Pierre Franck et de les relier ; il sut si bien le faire qu’on me demanda ; « Qu’avez-vous donc coupé ?» Claudel lui était familier. En 1989, il monta L’Échange, à Avignon puis chez Barrault, avec Maïa Simon et Michaël Lonsdale ; Jacques Julliard consacra à l’événement une page entière du Nouvel Observateur. D’un Claudel à l’autre, il réalisa aussi avec Marie-Rose Carlié un spectacle consacré à Camille Claudel qu’on vit aussi bien à Martigny, à Dusseldorf, à Saint-Germain en Laye qu’à Paris. Il voulait monter à son tour l’Annonce faite à Marie mais il n’eut pas le temps de réaliser cette mise en scène de laquelle il s’était approché toute sa vie. À Dieu, Jean.