CITE DES SITES : la Bibliothèque Nationale sauvegarde passé et avenir

La Bibliothèque Nationale de France pourrait s’ouvrir au dépôt légal de la Toile. Internet est en première ligne et la BNF veut jouer un rôle essentiel dans l’avenir ? et le passé ! ? de ce moyen idéal de communication

Il y a vingt ou trente ans, le nec plus ultra pour les Rastignac en herbe arrivant de leur province et désireux de conquérir Paris, c’était d’abord avoir une carte d’entrée à la Bibliothèque Nationale. La salle des catalogues en sous-sol était immense et il fallait aller de proche en proche, des fichiers manuscrits à ceux dactylographiés puis à ceux imprimés, pour trouver les références chiffrés du livre que vous souhaitiez, remplir un bulletin, le glisser dans une boîte et attendre trois quarts d’heure qu’on vous l’apportât à votre place de lecteur. Le rite était apprécié et on savourait le calme, le silence. Mais finalement tout cela était quelque peu plan-plan? François Mitterrand, qui avait été un rastignac, décida de créer un nouveau site, sur les anciennes embrasses de la gare d’Austerlitz. Il y eut quelques difficultés de rodage au début mais je crois que maintenant tout est résolu pour le bien-être du personnel, des chercheurs et des lecteurs (il paraît qu’il y a les deux.) La B.N. est actuellement présidée par Jean-Noël Jeanneney qui est l’illustration même de l’adage «

bon sang ne saurait mentir ». Ancien ministre de François Mitterrand, il est en effet le fils de Jean-Marcel Jeanneney qui le fut de de Gaulle et le petit-fils de Jules Jeanneney, dont la barbichette faisait la joie des caricaturistes, qui appartint aux cabinets de Clemenceau et du général de Gaulle tout en ayant été présent à Vichy le triste 11 juillet 1940. Avec Jean-Noël Jeanneney, Internet est en première ligne et la Bibliothèque nationale va jouer un rôle essentiel dans l’avenir ? et le passé ! ? de ce moyen idéal de communication. Liberation.fr fait parler Jean-Noël Jeanneney du grand projet : «Le web français face au défi de l’archivage « La Bibliothèque nationale de France lance mardi le chantier du «dépôt légal» du domaine «.fr». Une tâche immense que, grâce à Frédérique Roussel, nous dévoile en exclusivité le président de la BNF Jean-Noël Jeanneney. «Vous avez décidé de lancer le chantier du dépôt légal de la Toile…« Depuis François 1er, le dépôt légal s’est toujours adapté à la nature du support: livres, périodiques, estampes, photographie, sons… J’appartiens à une génération d’historiens qui s’est souciée, dès les années 1970, de voir créer un dépôt légal de la radio et la télévision. Quand j’étais secrétaire d’Etat à la Communication, celui-ci a été instauré par la loi du 20 juin 1992. L’enjeu n’est pas seulement d’ordre scientifique, mais aussi civique. Il est indispensable qu’une démocratie soit capable, pour hiérarchiser les objectifs et les émotions, de fonder sa réflexion sur la connaissance du passé. Aujourd’hui, nous abordons une étape nouvelle. En tant qu’historien et responsable de la BNF, il m’a semblé que ce devait être pour nous un grand chantier. Nous disposons d’atouts solides à cet égard: une maison toute entière tournée vers le recueil, la conservation et la diffusion des supports de la culture et une excellente équipe de spécialistes. «Comment procédez-vous concrètement ? En 2003, nous avons suscité un consortium de bibliothèques, le Consortium international pour la préservation de la Toile (IIPC) dans lequel la France joue un rôle de leader. C’est un lieu d’échange des différentes expériences sur les techniques, les moyens d’inventaire, la pérennité. De plus, l’obstacle juridique est en passe d’être levé en France. Le projet de loi relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information définit notamment le dépôt légal des contenus diffusés sur l’Internet: la discussion aura vraisemblablement lieu à l’automne. «Comment moissonner l’Internet français ? On est face à une course de vitesse entre la multiplication du nombre d’émissions et les moyens d’en sauvegarder le plus possible. Il faut définir des critères sélectifs. L’Australie a choisi de saisir des extraits de contenus sur les sites. La Suède « photographie » l’ensemble des sites à intervalles réguliers depuis 1997. D’autres privilégient le dépôt volontaire. Notre démarche sera mixte. Nous allons expérimenter une collecte thématique, en allant chercher des sites qui correspondent à tel ou tel sujet: ainsi procède la Bibliothèque du Congrès à Washington. Nous expérimentons également le robot suédois en enregistrant tout le domaine « .fr » à un instant donné. Nous aurons enfin le dépôt de sites avec lesquels nous passerons un accord (cent pionniers ont accepté de collaborer). J’ajoute que nous nous préoccupons aussi des « incunables de la Toile » depuis l’origine: un accord est en cours de négociation avec Internet Archive, une fondation américaine qui enregistre depuis 1996 une grosse partie de l’Internet mondial mais qui n’a pas vocation à le conserver durablement. . «Le dépôt légal des sites sera-t-il obligatoire, comme pour les autres supports ? Nous n’aurons pas les moyens de dire à 250.000 sites (le chiffre enregistré aujourd’hui) « on vous aspire! ». On proposera à un certain nombre de se déposer spontanément. On en saisira d’autres. Leur nombre sera précisé dans les prochains mois. Il faudra ensuite que la loi nous autorise, non pas à les communiquer sur la Toile, mais dans nos propres emprises. C’est-à-dire en seule consultation sur des postes en « rez-de-jardin ». «A combien estimez-vous la mémoire de stockage nécessaire ? Le seul domaine « .fr » compte environ 100 millions de pages. On peut estimer entre cinq et dix teraoctets (un million de millons) annuels les quantités de données à archiver.» La B.N. est déjà le lieu sacré de la conservation de tous les périodiques. Du temps de la seule rue de Richelieu, on les consultait dans une grande salle plus froide et moins fréquentée que la légendaire salle de lecture ; ils étaient en grande partie stockés à Versailles, d’où perte de temps. À la Libération, et pour de longs mois, l’ouverture aux journaux parus sous l’Occupation fut interdite. Il est vrai que cette presse était peu ragoûtante. Elle était, on ne le sait pas assez, interdite dans la zone sud. Ce qui veut dire qu’elle n’était pas vendue à Vichy. Au propre comme au figuré ! Par exemple, l’hebdomadaire Révolution nationale, où Drieu La Rochelle publia en 1944 des articles qui ressemblaient fort à des reniements, ne portait guère dans son c?ur les initiateurs de cette « Révolution », Pétain et Laval. Une savoureuse anecdote au sujet de ce dernier. Les Alliés avançant vers Paris avaient pris le chef-lieu de la Mayenne, ce qui donna pour Je suis Partout : « Les Américains ont pris Laval, qu’ils le gardent ! » Les occupants qui ne comprirent pas l’astuce morigénèrent le journal? Que la B.N. numérise un maximum de titres de la presse d’occupation participera à un indispensable devoir de mémoire. Conserver un hebdomadaire particulièrement infâme est plus que souhaitable afin qu’on puisse mesurer jusqu’où peut aller la bassesse humaine. Il s’intitulait Au Pilori et était l’horreur dans un papier qui n’était même pas de soie ! Lemonde.fr, sous la signature de Bertrand d’Armagnac, précise le programme de Jean-Noël Jeanneney : « La BNF va mettre en ligne des archives de la presse « La bibliothèque nationale de France (BNF) lance un programme de numérisation de la presse française et de mise en ligne gratuite des archives obtenues. Le but est de « rendre mieux accessibles les médias traditionnels« , a souligné Jean-Noël Jeanneney, président de la BNF, lors de la présentation de ce plan, mercredi 16 février. Il s’agit aussi de faire en sorte que « la mémoire collective » ne soit pas laissée aux seules initiatives américaines, à l’image du projet du moteur de recherche Google qui veut numériser et mettre en ligne une quinzaine de millions d’ouvrages. « Le programme quinquennal (2005-2009) de la BNF prévoit la numérisation des titres allant du XIXe siècle à la fin de la seconde guerre mondiale. Dès 2006, seront mis en ligne sur le site Gallica quatre quotidiens : Le Figaro (de sa naissance en 1826 jusqu’à la seconde guerre mondiale), La Croix (dès 1883), L’Humanité (dès 1904) et Le Temps (dès 1861). Ce dernier titre a disparu en 1942. Le Monde, créé en 1944, a hérité de son imprimerie et de son immeuble. « Dix-huit autres quotidiens seront ensuite numérisés, dont Le Journal des débats, Le Siècle, Le Petit Journal, Le Petit Parisien ou Le Matin. M. Jeanneney ajoute que la presse régionale ne sera pas oubliée puisque des discussions sont conduites avec Ouest-France, afin de numériser son « ancêtre » Ouest-Eclair. « Ce programme de mise en ligne suppose de triompher de plusieurs défis. Technique, d’abord, puisque les journaux anciens sont imprimés sur un papier difficile à numériser, car fragile. Financier, ensuite. Le coût total de l’opération se monte à 3,5 millions d’euros sur les cinq prochaines années, somme qui sera prise sur le budget de la BNF. Le Sénat devrait apporter une aide de 450 000 euros sur les trois prochaines années. La BNF cherche d’autres partenaires afin de partager les frais de développement des outils de navigation dans cette future base d’archives.» Nous pouvons nous interroger sur le choix des titres. Le Figaro, avant la guerre, n’était pas un journal très important. Le Petit Journal était devenu le quotidien un peu trop politique du colonel de La Rocque. Le Journal qu’on appelait le journal Le Journal est oublié dans la liste. En revanche Le Temps et les Débats s’imposent comme L’Huma – et La Croix dont on pourra suivre l’évolution, en particulier sous l’Occupation où elle fut particulièrement frondeuse. Gallica tient le livre de bord de la numérisation qui est magnifique. Un bémol toutefois : « On trouvera dans Gallica majoritairement des imprimés numérisés en mode image (1). Néanmoins, une collaboration avec l’Institut National de la Langue Française du CNRS et avec les éditeurs multimédias Bibliopolis, Acamédia et Champion a permis de mettre en ligne 1250 ouvrages en mode texte (2). « Note 1: Le mode image, fac-similé de l’original, conserve l’aspect visuel du document original. Le mode texte est le résultat d’une saisie du document et permet une recherche par mot dans le texte. « Note 2: Nous attirons l’attention des usagers sur le fait que les ouvrages en mode texte mis à la disposition par la BnF n’offrent pas toujours l’intégralité du texte du titre proposé. Nous rappelons qu’à l’origine cette base a été créée pour des usages lexicographiques. Nous conseillons à nos lecteurs de se reporter aussi aux mêmes ressources en mode image.» Mais nous ne nous plaindrons pas que la mariée soit trop belle !