CITÉ DES SITES : Mme la Marquise de Sévigné

Reine des épistolières, la marquise de Sévigné écrivait des lettres parce que, bien sûr, Internet n’existait pas encore ? et ses ‘mails’ étaient joliment bien écrits?

«

Le rideau de ma voisine Se soulève lentement. Elle va, je l’imagine, Prendre l’air un moment. On entrouvre la fenêtre : Je sens mon coeur palpiter. Elle veut savoir peut-être Si je suis à guetter. Mais, hélas ! ce n’est qu’un rêve ; Ma voisine aime un lourdaud, Et c’est le vent qui soulève Le coin de son rideau.» Ces vers d’Alfred de Musset me reviennent à l’esprit. À travers les siècles, je suis amoureux de ma voisine. Elle est splendide, porte, certes, un corset comme toute femme bien née et sa gorge s’épanouit, triomphante. Son mari est ou plutôt était un lourdaud, qui la trompait abominablement et ne voilà-t-il pas qu’il s’est battu en duel l’autre matin pour les beaux yeux de sa belle du moment, et qu’il a été tué. Il n’y a pas de plaque sur la maison, rue des Lions, où elle a vécu et où habite maintenant Michel Piccoli ? il est vrai que s’il fallait récapituler dans cette rue du Marais les noms de tous les gens célèbres qui y vécurent, les murs seraient couverts de marbre. Ses deux enfants naquirent là. Elle, au pavillon de Coulanges, place Royale aujourd’hui Place des Vosges. La maison est en travaux depuis des lustres. Marie de Sévigné allait entendre les sermons de Bourdaloue dans une stalle en hauteur de la chapelle Saint-Louis des Jésuites, qui devint Saint-Paul par la grâce de Bonaparte. Les sermons étaient admirables mais interminables, si bien que ces dames ne se séparaient pas d’un vase de nécessité qui prit le sobriquet de bourdaloue. À quelques pas de Saint-Louis, une autre église fut construite. Marais.evous.com nous en parle : «Ce temple protestant est l’ancienne église du couvent des filles de la Visitation Sainte Marie, ordre fondé en 1610 à Annecy par Saint François de Sales et Sainte Jeanne de Chantal dans le but de visiter et de soulager les pauvres. « Construite de 1632 à 1634 et consacrée à Notre Dame des Anges, cette église est la première ?uvre marquante de l’architecte François Mansart. Pillée à la Révolution puis transformée en club républicain, elle est affectée en 1802 au culte réformé. Dans la crypte de cette église sont enterrées de nombreuses personnes célèbres dont madame de Sévigné. » Jeanne de Chantal ? «Jeanne-Françoise Frémyot est née à Dijon en 1572 et morte à Moulins en 1641. Son père, président à mortier du parlement de Bourgogne, la marie en 1592 à Christophe de Rabutin, baron de Chantal. De leurs six enfants, quatre survivront dont l’aîné sera le père de la marquise de Sévigné. « En 1601, le baron de Chantal est victime d’un accident de chasse. Se sentant appelée par Dieu et désireuse d’être guidée, la jeune veuve ne trouve d’abord qu’un directeur tyrannique et maladroit. Mais en 1604, l’évêque de Genève, François de Sales, vient prêcher le Carême à Dijon : elle s’ouvre à lui, il accepte de la diriger. Libérée en 1610 de ses obligations familiales, c’est sous son impulsion qu’elle fonde à Annecy une congrégation nouvelle, la Visitation. » ( Editions du Cerf ) Mme de Sévigné est donc la petite-fille de cette sainte dont le nom devint le prénom de quantité de petites filles ; accolé à Marie, ce prénom devint même un archétype, Marie-Chantal, dont Jacques Chazot fut l’hagiographe. Le Marais, quartier illustre mais plutôt petit, fut donc l’univers personnel de Mme de Sévigné ; elle y naquit, y vécut et y est inhumée, dans une magnifique église construite par Mansart, à l’instigation de sa grand-mère? Lorsque Schomberg fut fait maréchal de France par Henri IV, le baron de Chantal lui adressa cette missive laconique : «Monseigneur, qualité, barbe noire, familiarité », ce qui voulait dire que le nouveau dignitaire devait sa promotion à sa qualité, à la barbe noire qu’il portait comme son roi et à la familiarité qui était de mise entre eux. C’était là un modèle de style télégraphique mais, à père avare, fille prodigue : Marie de Rabutin-Chantal laissa, elle, non pas cinq mots mais des centaines de lettres. Dans la rue qui lui est dédiée, au Marais, on peut lire sur la plaque qu’elle était écrivain donc, selon le Robert, une « personne qui compose des ouvrages littéraires» et, pourtant, son ?uvre est faite uniquement de missives personnelles, de lettres privées. Pourtant, on le sait peu, des lettres de Mme de Sévigné furent copiées et même polycopiées de son vivant, Louis XIV en étant le premier lecteur. Marie eut pour maître le docte Ménage que ses contemporains illustres comme Molière n’ont pas?ménagé, mais qui n’était pas ridicule du tout, son pédantisme étant bien porté. Plus ses élèves étaient nobles, plus il les aimait, et non pas de l’amour d’un professeur pour ses disciples. Successivement, ou en même temps, il brûla pour Marie de Chantal et pour Marie de La Vergne, future Madame de Lafayette. Il mit à leur disposition toutes les richesses de son savoir, pour les éduquer certes mais surtout pour les chanter, en français, en latin, en grec. Pour tout dire, le maître aurait voulu que ses élèves devinssent ses maîtresses et son amour dura avant, pendant leurs mariages et après, quand elles devinrent veuves. Marie de Chantal acceptait les hommages mais le pauvre n’était pas payé de retour. Elle l?appelait «l’ami, de tous les amis, le meilleur», c’est tout. Un jour, pourtant, elle l’embrassa quelque peu galamment et, d’aucun s’en étonnant, « c’est ainsi, dit-elle, qu’on baisait dans la primitive église.» Bien plus tard, Ménage, vieilli, mais encore ardent, lui disait : «J’ai été votre martyr, je suis, à cette heure, votre confesseur» «Et moi, votre vierge !» répartit l’aimable et cynique marquise. Ce site d’Etat est très loquace et très libre sur Mme de Sévigné : «Armée d’une « triomphante santé », la marquise ne se sentit rappelée à sa condition de mortelle qu’en 1676 (à l’âge de cinquante ans) par une atteinte de rhumatisme à la main droite, qu’elle soigna par une cure à Vichy, où elle but à la source et subit l’épreuve douloureuse de la douche, tout en s’amusant au spectacle de la vie mondaine et galante d’un thermalisme à ses débuts. La correspondance fourmille d’informations sur les remèdes : or potable, émétique, eau de la reine de Hongrie, poudre Delorme, etc., sur les pratiques mêlées de la saignée et de la purgation ! « Molière n’est pas loin. Mme de Sévigné consulte beaucoup (Pecquet, Fagon) dès qu’il s’agit de la santé de ceux qu’elle aime (« J’ai mal à votre poitrine »), se préoccupant de trouver les meilleures nourrices pour ses petits-enfants, s’inquiétant continuellement des « coliques » (règles) de Mme de Grignan, du danger que lui font craindre ses grossesses successives, de sa maigreur, de ses maux de gorge… « En ce XVIIe siècle chrétien du corps mortifié, en une société de cour où l’individu, corseté, emperruqué, rituellement maquillé et paré ne se présente que sous le masque et la convention, les Lettres de Mme de Sévigné renvoient sans cesse à un corps vrai : plateur de dos ou belle gorge de sa fille, nez carré de sa petite-fille Marie-Blanche, belles jambes de tel gentilhomme : le regard de la marquise isole des détails significatifs sinon réalistes. On est loin des évocations idéales et abstraites des romans de l’époque. « La mode l’enchante et « l’entraîne » : elle s’attarde sur les toilettes de la belle Montespan « beauté à faire admirer de tous les ambassadeurs« , détaille les attraits de sa propre robe de chambre, se plaint du vilain manteau noir de Mme de Grignan, apprend à sa fille l’art de se coiffer à la « hurluberlu ». « La beauté de sa fille est son beau souci mais elle-même n’est pas indifférente à l’art de plaire. Ce qui lui importe surtout est l’élégance du mouvement et du maintien. L’art qu’elle aime par-dessus tout est la danse où elle excelle, comme sa fille qui a figuré dans les ballets de cour du jeune roi. Sévigné se plaît autant à détailler les courantes et les passe-pieds de la belle société de Rennes que les « dégognades » des bohémiennes auxquelles les curés « trouvent un peu à redire ». « Une sorte de mystère continue de planer sur la vie amoureuse de Mme de Sévigné. «Hélas, lui fait dire le Segraisiana,j’aime M. de Sévigné sans l’estimer et lui m’estime sans m’aimer.» Elle a 26 ans en 1651, lorsque son mari est tué en duel pour les beaux yeux d’une maîtresse. Avec lui, elle s’était compromise dans des sociétés un peu mêlées, au point de s’être vu éconduite de l’hôtel d’Harcourt pour s’être montrée « trop » guillerette (Tallemant des Réaux). « Jeune veuve séduisante et spirituelle, et de plus assez fortunée, la marquise est très courtisée : l’Histoire amoureuse des Gaules de Bussy Rabutin en fait foi ; mais comme le cousin Bussy lui a fait des avances qu’elle a repoussées, il s’en venge en la traitant d’allumeuse quelque peu frigide (Histoire de Mme de Cheneville). « Il semble qu’elle ait eu par la suite un penchant pour le duc de Ludres dont elle est la première à sourire : mais rien de concret. Plus âgée, elle se vit même demander sa main par le duc de Luynes : en vain. Il faut dire que la condition de veuve est enviable au XVIIe siècle : elle garantit une vraie indépendance morale et financière. « A l’égard des réalités physiques de l’amour, Mme de Sévigné manifeste une totale franchise et une grande liberté d’expression. A preuve ses relations avec son fils Charles, dont elle reçoit avec humour les confidences de galant, elle le raille d’avoir attrapé une chaude-pisse sous « le dais d’une duchesse » et de se trouver épuisé de ses excès amoureux : «Il lui semblait voir autour de lui… des tétons, des cuisses, des panerées de baisers… : il était comme les chevaux rebutés d’avoine. »17 avril 1671. « Elle ne craint pas d’évoquer ses cas d’impuissance sexuelle, pas plus que de recommander à M. de Grignan de pratiquer la continence pour éviter de mettre sa femme enceinte. Les passions érotiques soulèvent toujours sa réprobation, que ce soit la folie de Mme Paul, veuve de son jardinier, avec un lourdaud qui la bat, que ce soit le consentement de Mlle de Vaubrun à se faire enlever par le brutal « Cassepot »25 mars 1689. « Nul témoignage contemporain ne rend compte de la moindre faiblesse de la marquise en ce domaine. Déçue cruellement par son époux, sa passion pour sa fille prouve peut-être sa méfiance des hommes, dont son amie Mme de La Fayette a pu se souvenir en écrivantLa Princesse de Clèves. Y avait-elle des prédispositions ? Mme de La Fayette, en 1659, écrivait « sous le couvert d’un inconnu », cette phrase révélatrice sur la marquise : «Vous êtes naturellement tendre et passionnée ; mais à la honte de notre sexe, cette tendresse vous a été inutile et vous l’avez enfermée dans le vôtre… »Recueil des portraits de Mademoiselle. Le même site ajoute : «Lors de la répression de la fameuse révolte du papier timbré à Rennes, on s’est mépris sur l’attitude jugée cruelle de Mme de Sévigné devant les insurgés durement punis par le gouverneur, le duc de Chaulnes : ? Cette province est un bel exemple pour les autres, et surtout de respecter les gouverneurs et les gouvernantes, de ne leur point dire d’injures et de ne point jeter de pierres dans leur jardin.?30 octobre 1675. « Elle use en fait d’ironie et manifeste une vraie pitié devant ? tous ces misérables, vieillards, femmes accouchées, enfants, errer en pleurs au sortir de cette ville sans savoir où aller… ?30 octobre 1675. « Elle a trouvé dans cette province des âmes de paysan ?droites comme des sillons? et préfère souvent la conversation de son jardinier Pilois à celle des ?madames? locales. Cependant les comptes de son intendant Rahuel ou ses lettres à d’Herigoyen, son fermier, la montrent très au fait des questions d’argent comme d’agriculture.» Les sites consacrés à Mme de Sévigné sont très nombreux et tracent d’elle un portrait différencié mais toujours flatteur. N’est-elle pas l’ancêtre directe des eMail, elle qui, à chaque instant, tenait à informer sa fille ou quelqu’un de ses autres correspondants du moindre événement ? Il convient tout de même d’ajouter que le style de la divine marquise ne se retrouve guère dans nos écrits sur la Toile !