Cloud et secteur public, soyons sérieux (tribune)

Le développement du Cloud public dans le secteur public se fait pianissimo. Olivier Rafal, du cabinet PAC (CXP Group), analyse les raisons de ce retard à l’allumage.

« Quoi, c’est tout ? » Eh oui, les perspectives en matière de recours à des offres de Cloud public par le secteur public ne sont pas mirobolantes, qu’il s’agisse de SaaS ou de IaaS. Nous obtenons donc souvent cette réaction de la part de nos clients, qui voient ces usages se développer dans tous les autres secteurs.

Il faut avouer que cette réticence au Cloud dans le secteur public est d’autant plus étrange que, sur le papier, cela résout une grande partie des problématiques des opérateurs publics : les DSI du public que nous interrogeons sont unanimes sur les besoins de consolidation et de mutualisation, afin de contenir, voire diminuer les frais de fonctionnement (installation et maintenance des serveurs, des logiciels…), et d’améliorer le service rendu aux citoyens comme aux agents (en bénéficiant rapidement des dernières innovations : mobilité, e-services…).

Le Cloud est un levier puissant pour atteindre ces objectifs. Côté IaaS (Infrastructure as a service), la consolidation et l’externalisation de certaines infrastructures chez des opérateurs spécialisés est un gage à la fois d’efficience et de sécurité accrue. Côté SaaS (Software as a service), que le service soit délivré par un opérateur public comme une grosse intercommunalité ou par un opérateur privé comme un éditeur de logiciels, toutes les structures peuvent bénéficier, quelle que soit leur taille, de ressources logicielles de qualité pour des coûts de mise en œuvre réduits au minimum. Mieux, les constants besoins d’adaptation à la législation seront gérés une fois et une seule par le fournisseur, sans qu’il y ait besoin d’intervenir en interne chez chaque client.

Des freins dans la culture et l’organisation

Osons l’analogie avec un fournisseur comme Salesforce.com : un éditeur qui proposerait une offre en mode SaaS pour le secteur public, et agrégerait autour de lui un écosystème d’offres spécialisées venant compléter la sienne. Sur le papier encore une fois, cela aurait toutes les chances de fonctionner.

Dans la pratique, il faudra résoudre quelques difficultés avant d’y parvenir. La plupart sont d’ordre culturel et organisationnel ; les DSI tentent de rationaliser et consolider les systèmes d’information, mais les chapelles ont la vie dure, et peu d’entre eux sont vraiment soutenus par leur direction. Il existe ensuite une réticence assez généralisée à faire confiance à des opérateurs de Cloud, surtout s’ils sont américains – l’opinion publique apparaît d’ailleurs choquée lorsqu’elle apprend cela.

De ce point de vue, la France a raté une excellente occasion, lorsqu’elle a décidé de créer ex nihilo deux opérateurs de Cloud financés par des fonds publics, Numergy et Cloudwatt. Là encore, des perspectives illusoires de croissance du IaaS public ont été imaginées, et on connaît aujourd’hui les difficultés de ces opérateurs, coincés entre des géants mondiaux qui investissent des milliards, des acteurs locaux ayant déjà acquis une certaine légitimité et une politique des entreprises françaises qui investissent plus volontiers dans le Cloud privé que dans le Cloud public. Une politique volontariste aurait pu être menée à cette occasion : plutôt que de faire concurrence aux PME françaises du secteur, un acteur souverain, donc régalien, de confiance, aurait pu se voir confier la mission de favoriser l’usage du Cloud dans le secteur public.

Il faut réduire les frais de fonctionnement !

Dernière difficulté, la souscription à des services en mode Cloud entre dans les dépenses de fonctionnement (et supprime le cas échéant l’investissement dans des licences logicielles), or l’objectif des organismes publics est de préserver, voire augmenter leurs budgets d’investissement, tout en réduisant les budgets de fonctionnement. Là encore, une politique volontariste devrait intervenir pour prendre cela en compte dans la comptabilité publique.

Voilà qui explique nos perspectives d’une croissance très mesurée du Cloud public dans le secteur public (qui continue cependant d’investir dans l’IT). Pour qu’un marché se développe, il faut que tous ses acteurs soient prêts, animés d’un objectif commun, or dans le public ces conditions ne sont pas (encore) réunies. Néanmoins, les mentalités évoluent du côté de la demande, et du côté de l’offre, les acteurs s’organisent. Il n’est donc pas trop tard pour olivier-rafals’emparer du sujet, en prévision d’un décollage à moyen terme, favorisé par une politique plus volontariste et des initiatives comme le plan France Très Haut Débit.

Par Olivier Rafal, Principal Consultant au sein du cabinet d’études Pierre Audoin Consultants (PAC), membre du CXP Group, premier cabinet européen indépendant d’analyse et de conseil dans le domaine des logiciels, des services informatiques et de la transformation numérique.

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