Jean-Pierre Corniou : « La cohabitation entre DSI et CDO est un dysfonctionnement »

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A la tête d’un groupe de travail de Systematic qui tente d’imaginer le futur des systèmes d’information, le dirigeant de SIA Partners, et ex-président du Cigref, fait part de son scepticisme face aux approches séparant digital et informatique.

Le pôle de compétitivité Systematic Paris-Région lance son 10ème groupe de travail. Celui-ci sera consacré à l’évolution des systèmes d’information. Présidée par Jean-Pierre Corniou, le directeur général délégué du cabinet de conseil SIA Partners, cette structure, qui a d’abord vu le jour au sein du groupe de travail sur les logiciels libres, vise à imaginer et concevoir les solutions logicielles permettant de bâtir les systèmes d’information de demain. Entretien avec Jean-Pierre Corniou, ex-président du Cigref et ex-DSI de Renault, qui explique pourquoi il est urgent de repenser les systèmes d’information. Sans toutefois créer une informatique à deux vitesses…

Silicon.fr : Pourquoi un groupe thématique dédié à l’avenir des systèmes d’information (SI) ?

CorniouJean-Pierre Corniou : Ce concept a besoin d’être régénéré, car il reste pour beaucoup très daté XXème siècle. Rappelons que la notion de système d’information est apparue dans les années 70, en même temps que le Cigref (l’association regroupant les DSI de grandes entreprises françaises, NDLR), et qu’elle est très tournée vers les grandes entreprises. Or, depuis, plusieurs chocs sont venus interroger ses fondamentaux. D’abord l’émergence du Web a créé une effervescence qui s’est développée à côté du monde régalien des SI des grandes entreprises. Un nouvel univers qui tourne autour des données non structurées. Puis, est venue la vague de la transformation digitale, qui s’est concrétisée par un dysfonctionnement de certaines grandes entreprises, avec la coexistence du DSI avec un Chief Digital Officer (CDO). Ce nouveau choc se traduit concrètement par le développement d’une informatique clandestine, inspirée du phénomène des apps mobiles. La troisième vague vient des objets connectés, qui offrent d’importantes opportunités de créer de nouvelles données. Ce qui va impacter les SI.

Historiquement, ces derniers servaient à capter des données à l’extérieur et à les enfermer dans le donjon des systèmes financiers. On voit bien que ces vagues successives ont bousculé cet ordonnancement. Nous avons besoin d’un sursaut théorique, mais aussi de nous régénérer en termes de produits et services.

Pourquoi voyez-vous un dysfonctionnement dans la cohabitation entre DSI et CDO ?

J.-P.C. : L’arrivée des CDO est une réponse inappropriée à une vraie question, celle du déploiement de solutions IT contemporaines au sein de l’entreprise. Il est vrai que les DSI ont eu un temps de latence avant de s’adapter à cette attente. Le CDO est donc la solution trouvée par les métiers pour s’imprégner du numérique. Mais, demain, ces directions devront être leur propre CDO et s’appuyer sur le DSI car le digital demeure un sujet technique sur lequel ce dernier conserve toute sa légitimité.

Quels objectifs s’est fixé le groupe de travail face à ce constat de carence du système d’information actuel ? 

J.-P.C. : Le premier impératif est un impératif de compréhension. Je crois à l’informatique unificatrice et pas du tout aux concepts de type IT bimodale ou two-speed IT (qui, schématiquement, consistent à faire évoluer le SI historique et les nouveaux applicatifs de façon indépendante). Je m’oppose à la distinction entre digital et informatique, car on parle en réalité d’une extension du spectre de cette dernière. Il y a donc un concept unificateur à trouver autour de ce qu’est aujourd’hui le SI. Par ailleurs, le groupe de travail visera à faire émerger une offre de la part d’entreprises membres. Là encore une réflexion s’impose. Agréger des données structurées et non structurées de façon contextuelle est loin d’être évident. Je pense également qu’on n’a pas sérieusement réfléchi à l’utilisation de l’e-mail en entreprise et à la juxtaposition des outils de communication, née précisément des limites du courrier électronique. Enfin, conformément à la mission de Systematic, le groupe de travail doit veiller à ce que les usages renforcent la compétitivité des entreprises, via une utilisation pertinente des données et des connaissances. Aujourd’hui les technologies se nourrissent les unes les autres, comme on peut le constater dans la santé. C’est la grande force du Big Data.

Et votre mission à la tête de ce groupe ? 

J.-P.C. : Elle consiste à faire le pont entre ce monde du futur et le monde encore statique de l’informatique. Un monde qui était encore vu comme un actif innovant il y a seulement 15 ans.

Justement, les DSI expliquent leur difficulté à innover par le poids de ses systèmes historiques construits au fil des ans…

J.-P.C. : C’est un problème vu comme insurmontable par beaucoup. De facto, certains SI de gestion tiennent par des bouts de ficelle et sont très chers à maintenir. Les entreprises y sont engluées, pourtant ces systèmes continuent à faire tourner les processus essentiels de ces organisations. Pour l’instant, ces dernières ne trouvent pas sur le marché des solutions suffisamment rassurantes pour sortir de cette impasse. Une des missions du groupe de travail consiste justement à créer de la confiance autour de nouveaux systèmes Open Source ou Saas. Ce qui peut dépasser l’aspect technique, car la remise en cause est aussi profonde pour le métier de DSI. Certains d’entre eux pensent toujours tirer leur légitimité de l’exploitation IT. Alors que c’est leur légitimité d’hier !

La technologie semble invariablement devoir émaner d’acteurs américains. Les offreurs français sont-ils en mesure de répondre au défi que vous décrivez ?

J.-P.C. : D’abord, énormément de travaux théoriques mais aussi de solutions intéressantes sont menés ou voient le jour en France. Mais ces technologies atterrissent souvent chez Google ou Microsoft faute de financement suffisant. Le pays n’a pas à rougir de ses innovations, mais reste gêné quand il s’agit d’accompagner ses start-up à l’échelle mondiale. Par ailleurs, il subsiste un problème de compréhension des dirigeants français, dont la culture informatique et numérique est très en retard par rapport à celles de leurs homologues américains, mais aussi allemands ou chinois.

Je dis aux entreprises françaises : considérez les solutions locales qu’on vous propose. En plus, avec le Saas, la prise de risque est désormais nulle. Si la solution ne fonctionne pas, on peut en changer facilement.

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