Coup de théâtre: les députés légalisent le ‘peer-to-peer’!

Alors que le débat paraissait joué d’avance, c’est à un renversement que l’on a assisté ce mercredi 20 décembre. Contre l’avis du gouvernement, les députés français ont légalisé les échanges de fichiers en P2P, réaffirmant ainsi le droit de la copie privée et introduisant le principe de licence globale

En adoptant, contre toute attente, deux amendements, l’Assemblée a voté en faveur des exceptions au droit d’auteur -ce qui revient à légaliser les transferts privés de fichiers de musique ou de films.

Comme le confirme l’AFP, ces deux amendements adoptés de justesse par 30 voix contre 28, réhabilitent les exceptions pour copie privée en prévoyant, en contrepartie, une rémunération des artistes. « Cela revient à autoriser les copies pour des usages non commerciaux et donc le téléchargement par échanges de fichiers de films ou de musique par le système P2P« . « Nous nous félicitons qu’une majorité à l’Assemblée se soit retrouvée autour de propositions du groupe PS visant à concilier la liberté et la responsabilité des internautes », écrit Jean-Marc Ayrault, président du groupe PS à l’Assemblée, et partisant d’une remise à plate du texte. « Le débat prouve que le gouvernement s’est enfermé dans une logique sans issue », poursuit-il, en critiquant « un texte bâclé, présenté à la sauvette » et qui « n’est pas à la hauteur d’un tel sujet de société ». Pour lui, « il est temps que le ministre comprenne que son texte est un bug irréparable ». Après une bataille de procédure menée par l’opposition de gauche soutenue pour la première fois par les centristes de l’UDF, l’Assemblée nationale a ainsi adopté contre l’avis du gouvernement, deux amendements identiques en ce sens, présentés l’un par le député UMP Alain Suguenot et l’autre par les députés socialistes. Les socialistes proposent un système de « licence globale ou légale » qui permettrait, moyennant paiement, un téléchargement sur internet. Mais cette proposition a suscité l’opposition d’Anne Hidalgo qui a proclamé que ce n’était pas la position du PS. Le président du groupe, Jean-Marc Ayrault, lui a répliqué en affirmant que la « licence globale » était défendue par « le groupe » dans son ensemble. L’UMP est aussi divisée sur ce texte, plusieurs députés se prononçant pour cette « licence légale », dont Christine Boutin qui a voté l’amendement légalisant le téléchargement sous condition de rémunération des artistes. Dans un communiqué publié jeudi, l’UFC-Que Choisir « salue la sagesse des députés qui ont choisi de légaliser le téléchargement de fichiers non verrouillés par des logiciels de cryptage (MTP ou DRM) sur les réseaux peer-to-peer ». « Cette législation va permettre aux internautes de s’approprier en toute sécurité juridique un espace de liberté nouveau essentiellement destiné à accéder à la diversité culturelle et aux créateurs d’être justement rémunérés », affirme-t-elle. L’Association des Audionautes, créée par des lycéens, « se réjouit » également de ce vote, soulignant qu’il est conforme aux « propositions (qu’elle a) développées » avec l’Alliance Public-Artistes, qui fédère des associations de consommateurs, certaines sociétés de gestion des droits des artistes et des syndicats. Cette Alliance défend l’instauration d’une « licence légale », prévoyant le paiement d’une redevance par les usagers des réseaux P2P. Le Spedidam, une des associations d’artistes qui soutient le principe de licence globale se félicite que les députés aient adopté, malgré l’hostilité du rapporteur et du Ministre de la Culture, deux amendements identiques accordant le bénéfice de l’exception pour copie privée aux copies réalisées par téléchargement sur les services de communication en ligne aux personnes physiques qui s’acquittent de la rémunération due aux ayants droit. Ce vote « favorise une logique d’accès à la culture et de diversité culturelle face à la logique fortement répressive prônée par le gouvernement », a estimé de son côté Consommation, logement et cadre de vie (CLCV). La Ligue Odebi, qui a fait circuler une pétition signée par 100.000 internautes, demande quant à elle « la démission du ministre Donnedieu, après ce désaveu cinglant qui lui a été infligé par la majorité des députés, au delà de tout clivage politique ». En revanche, le syndicat d’artistes-interprètes CFDT a réaffirmé son « opposition à la légalisation des échanges protégés sur l’Internet et à toute forme de gestion collective obligatoire qui serait imposée aux artistes interprètes sans leur accord ». Une telle légalisation « signifierait la mort des industries musicales et audiovisuelles de notre pays », selon le syndicat. De son côté, l’Union des Producteurs français indépendants (UPFI) a exprimé son « étonnement » après l’adoption de ces amendements, affirmant qu’« une très large majorité d’artistes (…) rejette l’idée d’une licence globale qui repose sur une approche strictement défensive et nuit à leurs intérêts fondamentaux ». Le projet de loi sur le droit d’auteur avait soulevé un véritable tollé chez les associations de consommateurs, les journalistes et les universitaires. Une gifle pour le ministre de la Culture?

Ce vote est intervenu tard en soirée, contre l’avis du gouvernement, représenté notamment par le ministre de la Culture, Renaud Donnedieu de Vabres (cf. nos précédents articles). Le principe même de son projet de loi a ainsi été remis en cause: il visait précisément à légaliser des procédures techniques empêchant les échanges de fichiers et à sanctionner le contournement de ces mesures même au titre de la copie privée. Singulièrement, les deux amendements à l’article premier du projet de loi, quasi identiques, avaient été présentés au vote l’un par le député UMP Alain Suguenot et le second par un groupe de députés socialistes. Le député Christian Paul, cité par l’AFP, s’est félicité de ce vote « résultat de mois de travail (…) C’est l’élément primordial d’une licence globale ». Derrière Jack Lang (cf. notre article du 19 déc.), les socialistes ont proposé justement un système de « licence globale ou légale » qui permettrait, moyennant paiement, un téléchargement sur internet. Plusieurs députés de l’UMP, dont Christine Boutin et Alain Suguenot, défendent également cette « licence globale« . Mais le ministre de la Culture n’a pas dit son dernier mot. Il a demandé une seconde lecture, et donc un second vote, pour revenir sur les amendements votés (voir notre article).