CV anonyme: une offre anachronique à l’ère des réseaux sociaux ?

La loi rendant obligatoire le CV anonyme dans les entreprises d’au moins 50 salariés est relancée par le Conseil d’État. Les professionnels du numérique sont sceptiques.

Le Conseil d’État a exigé récemment du Premier ministre l’application de la loi pour l’égalité des chances rendant obligatoire le curriculum vitae anonyme dans les entreprises de 50 salariés et plus. Adoptée en 2006 sous le gouvernement Villepin, cette loi n’a pas été mise en œuvre jusqu’ici, faute de décret d’application. Huit ans plus tard, le CV ne comportant ni identité, ni coordonnées, ne fait toujours pas l’unanimité, loin s’en faut. Le gouvernement Valls n’aurait pas encore arrêté sa position sur le sujet et les acteurs du numérique sont dubitatifs.

« Absurde à l’heure des réseaux sociaux »

Pour ses promoteurs, le CV anonyme est un outil de lutte contre les discriminations à l’embauche, pour ses détracteurs il constitue un frein administratif au tout numérique. Dans un CV anonyme, l’identité et les coordonnées du candidat, ou encore ses date et lieu de naissance, ainsi que sa situation familiale, disparaissent. La photographie, qui n’est déjà pas forcément utilisée dans un CV nominatif, n’a plus lieu d’être.

Hervé Solus, cofondateur du site de recrutement web et mobile JOBaProximite, juge la mesure « absurde à l’heure des réseaux sociaux et du développement de l’économie collaborative ». Pour le dirigeant, qui mise sur « la transparence et la mise en valeur des entreprises et des individus », le CV anonyme est dépassé. En mars 2006, lorsque la loi a été votée, Facebook avait deux ans et préparait son ouverture au monde. « Aujourd’hui Facebook compte plus de 26 millions de membres en France », explique-t-il, d’autres plateformes ont vu le jour, dont Twitter et Google+, et des réseaux sociaux professionnels montent en puissance (LinkedIn, Xing, Viadeo…). De plus, il est quasiment systématique pour un employeur d’effectuer une recherche sur Google pour en savoir plus sur le candidat. Dans un marché de l’emploi déprimé, il serait donc plus utile d’aider les jeunes « à gérer leur image numérique » et « valoriser leurs compétences », plutôt que de les inciter à anonymiser leur CV.

Qu’en est-il de l’employabilité des candidats ?

D’après une évaluation de l’impact du CV anonyme rendue publique en avril 2011 par le Centre de recherche en économie et statistique (Crest), en partenariat avec Pôle emploi, le CV anonyme ne permet pas de réduire l’écart entre candidats d’origines diverses, bien au contraire. Ainsi, les candidats « issus de l’immigration » ou résidant dans les zones sensibles ont 1 chance sur 22 de décrocher un entretien avec un CV anonyme, contre 1 chance sur 6 pour le reste des candidats. Avec un CV nominatif, les premiers ont 1 chance sur 10 d’obtenir un entretien, les seconds 1 chance sur 8. Au final, les candidats les moins susceptibles d’être discriminés semblent bénéficier d’une loi censée lutter contre les discriminations. Mais d’autres acteurs, dont le directeur de l’Observatoire des discriminations, Jean-François Amadieu, mettent en avant les testings sur CV effectués en France et en Europe, pour contredire ces résultats.

Quoi qu’il en soit, la situation varie selon les secteurs. Dans l’informatique, les CV anonymes ne sont toujours pas « monnaie courante », observe le cabinet de recrutement Robert Half. Or, 25% des recrutements IT, en France, ont été finalisés grâce aux cvthèques et 14% sur cooptation en 2013, selon l’Association pour l’emploi des cadres (Apec). De grands groupes (IBM France, Capgemini, Dassault Systèmes, Orange/France Télécom) l’ont expérimenté. Les PME hésitent, mais pas toutes. Pour Norsys, une SSII d’environ 300 personnes qui déclare « privilégier les compétences », l’anonymisation du CV aurait permis une réelle diversification des profils. En cinq ans, la part des femmes dans l’entreprise aurait plus que doublé et celle des plus de 40 ans triplé.

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