Cyril de Metz, Nerim : «Orange nous refuse l’accès aux infrastructures fibres»

Faute d’accès aux infrastructures optiques, l’opérateur alternatif Nerim dénonce son incapacité à pouvoir proposer des offres FTTH aux entreprises.

Nerim, le plus gros des petits opérateurs télécoms du marché français avec 20 000 entreprises clientes et un chiffre d’affaires de 38 millions d’euros (en 2014), dénonce l’impossibilité à accéder aux infrastructures fibre d’Orange pour alimenter le marché des entreprise en offres FTTH. Une situation dommageable qui menace l’avenir de l’opérateur comme de nombre de concurrents alors que l’accès aux offres très haut débit devient stratégique pour les entreprises, selon Cyril de Metz, le président de Nerim.

Silicon.fr – Partagez-vous l’analyse de l’Autorité de la concurrence concernant le comportement d’Orange sur le marché de l’entreprise qui pointe des pratiques anticoncurrentielles ?

Cyril de Metz – Nerim se bat depuis 15 ans sur un marché censé être ouvert à la concurrence depuis 20 ans mais où, dans les faits, Orange a mis en oeuvre tout un plan pour reculer au maximum la véritable ouverture du marché et l’offre de tarifs non discriminatoires pour pouvoir nous battre à armes égales. Empêcher l’accès aux infrastructures nous crée un vrai préjudice alors que deux-tiers du marché sont encore entre les mains d’Orange au bout de 20 ans d’ouverture ce qui, dans un cadre normal, est censé être impossible. Une situation pérenne due à des entorses importantes. Ce fut le cas sur l’ouverture de l’accès à l’ADSL dans les années 2000 et qui a provoqué la disparition de 80% des acteurs du marché à l’époque. C’est aujourd’hui le cas l’accès aux infrastructures fibres FTTH pour les entreprises.

Pourtant Nerim a lancé une offre fibre sur Paris en 2013. Et vous proposez des offres fibre en région dans le cadre de la Firip (la Fédération des industriels des réseaux d’initiative publique).

Ce que nous proposons à Paris est une offre fibre point a point, commercialisée plusieurs centaines d’euros, pour des besoins précis, et qui ne correspond pas aux attentes de nombreuses entreprises dont les besoins peuvent être couverts par des offres de fibre mutualisée beaucoup plus économiques. De fait, nous sommes coupés de toute une frange du marché car nous ne pouvons pas répondre sur la demande en FTTH. D’autre part, si l’on travaille avec les collectivités locales qui déploient leurs propres infrastructures très haut débit avec une pluralité tarifaire équivalente pour tous les acteurs, ces offres ne couvrent que 15% de nos clients. Ce n’est pas suffisant pour pouvoir répondre à des appels d’offre nationaux.

Comment le comportement d’Orange se concrétise et quelles en sont les conséquences pour Nerim ?

Concrètement, Orange nous refuse l’accès aux infrastructures fibres fort de l’argument qu’il n’y est pas légalement obligé aujourd’hui. Ce qui nous interdit toute possibilité de lancement d’offres concurrentielles car les montants des investissements nécessaires aux déploiements des réseaux fibre se comptent en milliards d’euros et nous sont inaccessibles. De plus, on parle beaucoup de l’extinction du cuivre pour accélérer le déploiement et l’adoption de la fibre mais aujourd’hui, si nous n’avons pas l’assurance d’un accès aux infrastructures, nous n’avons aucune marge de manœuvre pour supporter ce basculement vers la fibre. Aujourd’hui, Nerim rate de nombreuses affaires faute de pouvoir répondre à des appels d’offres nationaux. Mais ça peut devenir vital dans les mois à venir. D’où notre réaction.

Le travail de l’Autorité de la concurrence devrait changer cette situation…

L’enquête de l’Autorité de la concurrence porte sur des faits relativement anciens qui se sont déroulés il y a 5 ou 7 ans. Et si l’ouverture à la concurrence a été instaurée pour les accès xDSL au milieu des années 2000, l’ensemble des pratiques continuent chez Orange à chaque nouvelle technologie. Ce décalage entre l’analyse de situation et le rythme du marché pose un gros souci à Nerim. Par exemple, Orange a lancé une offre FTTH Pro depuis deux ans. Cela fait deux ans que l’on demande à avoir accès aux infrastructures fibre de la même manière qu’aujourd’hui avec l’ADSL pour pouvoir proposer une offre similaire. En vain. Ce que l’on demande à l’Autorité de la concurrence et à l’Arcep est de mettre en œuvre des mécanismes pour éviter une éviction de la concurrence sur le marché des nouvelles technologies.

Vous reprochez donc essentiellement la lenteur des autorités de régulation ?

L’Autorité de la concurrence et Arcep sont conscients des problématiques d’accès sur le FTTH et j’espère qu’ils vont réagir. Il y a un temps de la régulation qui n’est pas le même que le celui de l’évolution du secteur et qui est dommageable pour les professionnels. Mais j’ai confiance. On attend que l’Autorité de la concurrence frappe suffisamment fort pour enfin obliger Orange à changer leur façon de procéder sur le marché de l’entreprise, un marché très différent du grand public, et qui a été le parent pauvre de la régulation puisque l’Arcep a d’abord travaillé sur le marché du particulier. Il y a un même travail à faire sur le marché des entreprises en obligeant les acteurs qui déploient des infrastructures très haut débit à fournir des offres avec le même mécanisme de dégroupage sur la fibre que sur l’ADSL. C’est ce qui permettra au marché de se libérer. Par ailleurs, mon sentiment est que le travail d’Emmanuel Macron (ministre de l’Economie) et de Sébastien Soriano (président de l’Arcep) va dans le bon sens mais quand ? Si des mesures sont appliquées dans 5 ans, il ne restera peut-être plus grand monde. On se retrouvera avec un duopole Orange et Numericable-SFR en France.

Justement, l’accès aux infrastructures de Numericable-SFR constitue-t-il une partie de la solution pour stimuler l’ouverture du marché à la concurrence ?

La différence avec Orange est que Numericable-SFR nous répond qu’ils sont en train de préparer des offres. Les tarifs ne correspondent pas à nos attentes aujourd’hui mais au moins ça va dans le bon sens (l’ouverture de l’accès au réseau THD de Numericable a été imposée par l’Autorité de la concurrence dans le cadre du rachat de SFR, NDLR). Il est donc possible que l’ouverture au marché de l’infrastructure de Numericable-SFR pousse Orange à ouvrir aussi la sienne également. Après tout, après nous avoir considérés comme des concurrents jusqu’en 2006, Orange a compris qu’il pouvait tirer une grosse partie de la valeur de la pluralité du marché. En 2014, nous leur avons rétrocédé 10 millions d’euros de notre chiffre d’affaires. Nous sommes ainsi entrés dans une phase de coopération plus saine avec Orange même s’ils ont encore des velléités à essayer d’enrayer une saine concurrence du marché, ce qui nous créent un vrai préjudice.


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