David El Fassy (Altitude): «Tout euro investi dans la montée en débit doit être dépensé à 75% vers le très haut débit»

Pour David El Fassy, Pdg d’Altitude Infrastructure, les aides du plan gouvernemental de déploiement du très haut débit doivent profiter aux collectivités, seule manière selon lui d’accélérer la montée en débit dans les zones rurales.

Après avoir passé dix ans chez Altitude Telecom (dont 2 ans à la direction générale adjointe), David El Fassy a rejoint la filiale Infrastructure du Groupe Altitude en septembre 2009 où il occupe aujourd’hui le poste de Pdg. « Nous préférons séparer les services de l’infrastructure », justifie-t-il (notamment en écho à la stratégie contestable d’avoir conservé l’activité services et réseau de France Télécom lors de la libéralisation du secteur des télécoms en France à la fin des années 90). Il travaille sur les dossiers d’aménagement numérique du territoire et s’occupe notamment des questions du déploiement du haut et très haut débit en zones rurales. En tant que designer de réseaux, Altitude Infrastructure a déployé quelques 17 réseaux d’initiative publique (RIP) et gère 1300 km de fibres optiques à ce jour.

Le dirigeant en profite pour nous rappeler que « sur les 450.000 personnes sans ADSL en France, 50.000 disposent d’une solution hertzienne terrestre ». Notamment le Wimax, une technologie largement déployée par Altitude dans ses RIP. « Par pragmatisme et non par idéologie, soutient-il, car il y a 3 ans, le Wimax à 2 Mbit pour tous était la technologie la plus adaptée en regard du coût. » Les temps changent et on parle aujourd’hui de fibre optique et de LTE 4G. Pour Silicon.fr, David El Fassy revient sur le plan du gouvernement pour déployer le très haut débit en France, notamment dans les zones rurales.

Quel regard portez-vous aux annonces du gouvernement sur le développement du très haut débit (THD)?

J’y suis plutôt favorable mais il faut se rendre à l’évidence entre annonce et réalité. Tout ceci demande de l’argent mais on en manque. 30 milliards d’euros pour le très haut débit en France dont 8 milliards pour les collectivités, c’est possible à condition d’y mettre les moyens. Si le gouvernement considère les autoroutes de l’information comme primordiales il faudrait également consentir aux mêmes investissements que pour les routes en goudron. Il faut aussi des capacités industrielles et fédérer les corps de métier. Et instaurer un cadre réglementaire, ce dernier point avance cependant.

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Quelle est donc la vision d’Altitude Infrastructure?

Faire du THD pour tous demandera du temps et la phase de montée en débits est donc indispensable. Il faut aller vers le THD dans le cadre d’un schéma progressif, c’est-à-dire en passant par une phase de montée en débit dans les zones peu denses. A défaut de fibre optique résidentielle, tout le monde ne voit que par le cuivre à travers trois technologies principalement*. Il en faudra évidemment mais France Télécom ne sera pas capable d’en déployer plus de 2000 par an sur les 33 000 sous-répartiteurs en France. Cela risque de prendre 15 ans pour la montée en débit sur cuivre. Nous préconisons pour notre part le déploiement de la fibre optique entre le répartiteur et le sous répartiteur [solution de déport des signaux, ndlr]. Un choix logique car il permet de construire le réseau collecte du futur réseau THD. Notre discours est de dire aux collectivités que tout euro lié à la montée en débit doit être dépensé à 75% vers le THD et à 25% vers le haut débit. Il faudra de la montée en débits en attendant le THD mais il faut investir dès aujourd’hui dans le THD. Si la montée en débit cuivre coûte plus de 800 euros la ligne, cela ne présente aucun intérêt face à une fibre optique à peine plus chère.

Concrètement, quelles sont les solutions qu’Altitude Infrastructure propose pour mettre en œuvre ce schéma dans les zones isolées?

Nous travaillons en R&D sur un procédé qui permettrait le THD à base de FTTH en façade pour les résidences [en aérien, ce qui éviterait les travaux de génie civil pour passer les câbles dans les trottoirs, ndlr]. Les villages seraient reliés au point de collecte THD par des liaisons hertziennes à 300 Mbit/s, ce qui garantirait 10 à 20 Mbit/s par prise. Ainsi, le jour ou le réseau de collecte en fibre optique arrive jusqu’au village, il suffit de démonter les installations hertziennes pour le relier au réseau THD local. Les collectivités comprennent l’intérêt de l’argent bien investi. Notre solution à base de FTTH et fréquences hertziennes ne serait pas plus onéreuse que les solutions en NRA-ZO (réaménagement de la boucle locale par les sous répartiteurs) qui frôle les 1500 euros par prise.

Ce qui suppose une montée en puissance des technologies hertziennes et surtout leur distribution…

Oui et c’est là qu’intervient la libération du dividende numérique de la bande des 800 MHz [issue de la fin de la télévision hertzienne analogique fin 2011 et qui portera le très haut débit mobile via la 4G/LTE, ndlr]. Les 72 MHz disponibles risquent d’être attribués à deux opérateurs (30 MHz chacun environ). Ce qui signifie qu’il faudra alors choisir entre un aménagement du 800 MHz sur tout le territoire mais à 2 Mbit au mieux pour tous, ou une offre THD mobile mais limitée géographiquement. Le 800 MHz ne permettra pas de faire du THD en ruralité. De plus, le THD hertzien ne vaut pas le THD fixe, quoi qu’on dise, par ses usages, son mode de distribution et de facturation. Si on veut parler de THD sans fil en ruralité, des solutions existent. Mais elles ne passent pas par la 4G/LTE.

Personnellement je ne pense pas faire du THD en ruralité sur la bande des 800 MHz, on n’y croit pas. Car il n’y a pas d’équivalent aux offres triple play fixes. Et les deux offres, fixe et mobile, sont nécessaires. Et si cela pouvait se faire, il faudrait que l’appel d’offre intègre une clause qui impose aux opérateurs mobiles de céder éventuellement leurs fréquences aux collectivités qui présentent un projet en ce sens. Il faudrait que le gouvernement laisse les dividendes du 800 MHz aux collectivités.

Vous critiquez également l’attribution des subventions aux acteurs privés dans le cadre du programme national du THD…

Je dis avant tout que les aides doivent s’ouvrir aux réseaux d’initiative publique (RIP). Le guichet A du projet gouvernemental consiste à labéliser le THD via les projets d’opérateurs privés dans les 5 ans avant de pouvoir commencer à investir dans les zones moins denses. Le guichet A devrait être aussi ouvert aux collectivités. Car le guichet A doit permettre de lever de la dette. Or, les coûts pharaoniques du THD ne permettent pas aux seuls opérateurs de les supporter. Il faudra donc lever de la dette en plus des fonds propres privés d’où l’intérêt de l’accès au guichet A pour les RIP si l’on veut que le THD se développe en ruralité.

Par ailleurs, comme Altitude Infrastructure agit comme délégataire concessionnaire, à l’issu de la période contractuelle l’infrastructure appartient à la collectivité et non à l’opérateur privé qui équipe une zone en propre. Une nuance de taille pour les zones rurales.

Nous pensons également qu’il serait préférable que les opérateurs télécoms commencent par accepter d’acheter du service activé pour les RIP ce qui nous permettrait de réinvestir pour aller plus loin dans les zones peu denses. Or, ils achètent du réseau passif pour une question de maîtrise des services. Il faut que tout le monde fasse un effort.

Justement, concernant la mutualisation de la fibre dans les zones peu denses?

Le guichet B prévoit de son côté 750 millions d’euros aux collectivités locales dans le cadre des schémas directeurs départementaux ou de cohérence régionale. C’est une bonne chose, tout doit être cohérent pour assurer le déploiement du THD sans dépenser l’argent deux fois pour la même chose. Il faudra cependant vérifier que les RIP bénéficient d’une taille minimale. Car en tant qu’opérateur, on ne peut revendre de l’infrastructure qu’à condition qu’un nombre de prises minimum soit susceptible d’intéresser les opérateurs exploitants. C’est pourquoi nous accueillons favorablement l’idée de mutualisation de la fibre dans les zones peu denses.

* Les trois technologies sont : la transformation d’un sous-répartiteur en NRA-ZO (nœud de raccordement avec des équipements actifs au niveau du sous-répartiteur); le déport des signaux (par multiplexage des signaux au niveau du sous-répartiteur); et la «bi-injection» permettant aux opérateurs d’implanter leurs équipements (DSLAM) au niveau du sous-répartiteur.