Emploi IT 2019 : les nouveaux métiers de la DSI

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Explosion de la data science, Cloudification du SI, recours généralisé aux méthodes agiles… Les profils recherchés par les DSI changent radicalement de nature sur fond de pénurie de compétences et de surenchère salariale. Quels sont les métiers les plus porteurs ? Voici le jeu des 6 familles.

Non, la transformation numérique ne passe pas que par l’adoption de technologies innovantes. Avant tout organisationnelle, elle se traduit par un changement d’état d’esprit et par l’apport de nouvelles compétences. Et c’est peu dire que l’organigramme de la DSI a changé ces dernières années.
Entre la version 2018 de la nomenclature RH du Cigref et celle de 2015, 19 métiers sur un total de 50 ont été modifiés ou nouvellement intégrés. Dans l’histoire de ce référentiel, qui a débuté en 1991, il n’y avait jamais eu de changements aussi importants.

Frédéric Lau – Cigref

« Jusqu’alors les métiers se retrouvaient classiquement répartis entre études et développement, production, direction de la DSI, observe Frédéric Lau, directeur de mission au Cigref.
La transformation numérique a fait voler en éclats ce type d’organisation avec de nouvelles familles autour de la data et de l’agilité. Il y a encore quelques années, on ne parlait pas de data scientist, de data engineer, de coach agile, de scrum master ou de product owner. Aujourd’hui, ces métiers se retrouvent dans les grandes DSI et tout le monde est d’accord sur leur définition. »

« Attention toutefois au re branding, tempère Emmanuel Stanislas, fondateur du cabinet de recrutement Clémentine. Certains métiers changent de nom mais les personnes derrière restent les mêmes, seules leurs compétences évoluent. »
Ainsi, dans le domaine de l’infrastructure, la Cloudification du SI a transformé l’architecte, le delivery manager et l’administrateurs en Cloud designer, Cloud builder et Cloud runner.

Pour autant, tous les recruteurs interrogés dans ce dossier se retrouvent pour constater une pénurie de compétences. « Un peu comme le marché immobilier, il y a plus d’offres que de demandes avec un décalage entre la prise en compte des attentes par la formation initiale et l’arrivée sur le marché du travail des diplômés, constate Sophie Bayle, manager exécutif senior chez Michael Page. Ces tensions se ressentent sur les rémunérations. « Il y a une surenchère salariale sur certains profils mais aussi un effet de rattrapage. Le marché français s’ajuste par rapport aux Etats-Unis et le reste de l’Europe. »

Pour pallier le manque de ressources, les DSI font monter en compétences les équipes IT internes. « Elles essaient aussi de faire venir à elles les experts métiers qui ont une appétence pour la data ou l’agilité, poursuit Frédéric Lau. Pendant des années, on a privilégié les compétences technologiques. Aujourd’hui, ce sont plutôt les compétences comportementales [soft skills] qui sont valorisées. Un expert métier apporte avant tout ses connaissances opérationnelles qui seront complétées par des compétences IT. Avant, l’IT devrait s’aligner sur la stratégie business. Avec la transformation numérique, c’est l’inverse qui se produit.  »

La famille Data : les stars de la révolution numérique

Sophie Bayle – Michael Page

Sans surprise, ce sont autour des métiers de la donnée que les tensions sont les plus fortes. « Historiquement, les sujets autour de la business intelligence ne concernaient que les données propres aux entreprises issues de leurs ERP ou CRM, rappelle Sophie Bayle. Avec l’explosion du volume des données, notamment avec les réseaux sociaux, elles s’ouvrent aux données externes. »

Ce changement de braquet fait naître de nouveaux profils. Le data engineer assure la collecte des données placées dans un data lake. En lien avec les métiers, le data analyst assure la restitution des données et leur visualisation. Le data scientist va bâtir des modèles algorithmiques pour faire parler les data et le data architecte va, lui, poser le cadre.
Enfin, au-dessus de ce petit monde, le Chief Data Officer (CDO) intervient sur la gouvernance des données. Il s’assure que les données sont de qualité et rangées au bon endroit via notamment des solutions de master data management (MDM).

Pour Alain Rochard, directeur d’ITGS Executive Search, le profil du Chief Data Officer n’est pas si nouveau, le data dictionnary administrator le précédait, mais il prend une dimension nouvelle avec la transformation numérique. « Certains CDO vont plus loin que rendre la donnée disponible et expliquent aux métiers comment consommer et vendre de nouveaux services liés à la data. »

Ces CDO viennent de l’IT ou du business (formation gestion ou commerce) et plus de la moitié sont directement rattachés à la direction générale. Depuis la mise en œuvre du RGPD, difficile de passer à côté d’un autre acronyme : le DPO pour Data Protection Officer.
« S’il manque de DPO, il n’y a pas tant de recrutements externes que cela, poursuit Alain Rochard. Les entreprises font évoluer des collaborateurs en interne, des anciens correspondants informatique CIL, des gens de l’IT, des experts juridiques ou des RH avec un sensibilité à la technologie ».

La famille Infra : la Cloudification fait évoluer les rôles

Plus que de nouveaux métiers, la « Cloudification » du SI modifie les compétences attendues dans le domaine de l’infrastructure. On parle d’architecte cloud pour le design et la conception de cloud privé, public ou hybride ou d’ingénieur cloud pour le maintien en conditions opérationnelles.

La Société Générale qui a passé 60 % son infrastructure dans le cloud et prévoit d’atteindre 80 % en 2020 recrute 150 à 200 CDI cette année pour sa division dédiée à « l’infra » et table sur un prévisionnel équivalent en 2019. Passant d’une infrastructure traditionnelle à une infrastructure programmable, Société Générale embauche des architectes cloud et des architectes logiciels – et plus seulement des architectes techniques – mais aussi des développeurs juniors et seniors. La banque a aussi nommé des « cloud captains » qui accompagnent les métiers à monter vers le nuage.

« La technologie est au cœur du business bancaire et les infrastructures informatiques constituent une « great place to grow », un lieu pour grandir et se former, avance Olga Karpouchina, DRH adjointe de la direction des infrastructures informatiques.

Pour attirer les talents, nous faisons la promotion du télétravail et de notre aménagement de l’espace de travail aux Dunes [Fontenay-sous-Bois, 93]. Il y a aussi un besoin d’aller vite et de pouvoir recruter quelqu’un en 15 jours, un process innovant dans la banque. »

« Pour les collaborateurs, cette « Cloudification » est l’opportunité de vivre une aventure fantastique et d’ajouter une ligne à leur CV, rajoute Pierre Haslee, responsable adjoint de la plate-forme de services Cloud. C’est aussi l’occasion de se frotter aux technologies open source, la contribution aux communautés faisant partie intégrante des projets ».

Dans d’autres organisations, le passage au cloud pourrait, en revanche, se traduire par une réduction d’effectif. Il s’inscrit dans le grand mouvement de l’externalisation après l’infogérance et la virtualisation. Les entreprises qui hébergent encore leurs propres serveurs dans une salle blanche et emploient des techniciens sous astreinte pour les administrer se font rares.
« Avant, il y avait au minimum deux personnes au support utilisateur et deux à l’infra, se souvient Emmanuel Stanislas. Des binômes pour assurer la redondance en cas de congés, de maladie. Demain, ces fonctions risquent d’être externalisées ».

La famille Agile passe à l’échelle

Emmanuel Stanislas – Clémentine

Très à la mode il y a encore 2 ou 3 ans, l’agilité est maintenant rentrée dans les mœurs. « Il n’y a plus de débat, tout le monde passe à l’agile. C’est devenu une vraie religion, constate Emmanuel Stanislas. Aujourd’hui, on est dans le test and learn, le MVP [Minimum Viable Product], la maquette. Les interactions sont permanentes entre l’IT et les métiers. Les organisations ont trop souffert des chantiers en cycle en V et de l’effet tunnel. Le projet durait des mois, des années. Le monde changeait entretemps et l’attente n’était plus la même. »

Les grandes organisations se sont donc massivement converties à l’agilité et à ses rituels. Devant les murs tapissés de post-it, on trouve le coach agile qui intervient en amont pour former et conseiller. Le scrum master est, lui, le garant de la méthodologie en soutien aux opérationnels. Gérant le backlog (carnet du produit), le product owner veille à la qualité du produit et au respect du rapport coût-valeur.

Une évolution possible pour un chef de projet traditionnel à condition qu’il se forme aux méthodes agiles et développe les fameuses soft skills.
L’agilité réclame notamment des qualités de communiquant et de pédagogue. « Un chef de projet élevé dans la culture du reporting aura du mal à endosser le rôle d’animateur de projet », estime Joanna Pomian, directrice conseil digital chez SQLI.

Joanna Pomian – SQLI

Pour elle, l’étape suivante c’est l’agilité à l’échelle qui consiste à faire travailler plusieurs équipes agiles ensemble. Pour cela, le coach agile va s’appuyer sur le framework SAFe (Scaled Agile Framework). Joanna Pomian voit aussi émerger la fonction de RTE (Release Train Engineer) qui s’occupe plus spécifiquement de poser le cadre méthodologique du déploiement de l’agile à l’échelle de l’entreprise. 

Prolongation des méthodes agiles, DevOps a aussi la cote. Ce mouvement qui consiste à faire travailler de concert les équipes de développement (les « Dev ») et de production (les « Ops ») afin d’accélérer les processus de mise en production répond pleinement aux injonctions de la transformation numérique.
« DevOps, c’est le mot magique du moment, observe Agnès Jouvanceau, associée au cabinet EMEA Search. Sur un CV, il fait gagner 5 ou 10 K€. »

Mais plus qu’un métier donné, il s’agit avant tout, pour elle, d’une ouverture d’esprit. « Des Ops font déjà du développement et inversement. Un ingénieur système qui fait de l’automatisation des tâches fait du DevOps sans le savoir.  »

La famille Sécu : des salaires en forte hausse

Face à la multiplication et à la sophistication des nouvelles menaces, les spécialistes de la cybersécurité sont particulièrement recherchés. Selon le dernier baromètre d’Expectra, l’ingénieur sécurité devrait voir son salaire augmenter de 7,9 % cette année.

Pour Sophie Bayle, la cybersécurité est un marché encore à part. « Avant, on avait à faire à des autodidactes, des hackers qui faisaient des tests d’intrusion. Aujourd’hui, ces rôles se sont professionnalisés. »

Parmi les profils porteurs, on trouve le pentester qui va réaliser les tests d’intrusion, l’auditeur SSI qui inspecte les dispositifs de sécurité pour évaluer leur vulnérabilité, le consultant qui va préconiser les mesures à prendre pour les renforcer et l’expert en cybersécurité qui garantit la protection des données en éprouvant la résilience du SI, en identifiant les failles, en renforçant la sécurité par de nouveaux outils.

Ces profils sont chapeautés par le RSSI qui, rattaché au DSI voire au DG, prend une dimension nouvelle avec les enjeux autour de la cybersécurité et la pression réglementaire du RGPD. « C’est la fonction qui monte, note Alain Rochard. Il y a dix ans c’était M. antivirus.

Aujourd’hui, le RSSI, ou CISO, est responsable de la sécurité tout court. La sécurité n’est pas qu’un problème informatique. Les menaces sont protéïformes. Elles peuvent être liées à la conformité, au développement du télétravail, à la fraude… »

De son côté, Emmanuel Stanislas déplore une pénurie de compétences sur ces métiers de la sécurité. « Les entreprises sont obligées de recruter pour pas avoir de trou dans raquette qui les mettrait en danger ou les exposerait à un risque réglementaire. Elles sont en concurrence sur ces profils avec les ESN. Du coup, on surpaie un candidat de 15 ou 20 % de plus que le marché. »

La famille Presta : le Cloud accroît la relation client-fournisseur

Avec l’externalisation qui s’accroit avec la montée en force du Cloud, la demande est également forte dans les métiers de la gestion des fournisseurs.   « La Cloudification des applications et des infrastructures rend la gestion des contrats complexe », avance Frédéric Lau.
Le modèle économique du SaaS impose, par exemple, à l’acheteur de nouvelles approches dans la contractualisation et de tarification. « Face à la complexité des technologies, le rôle de l’acheteur est de plus en plus précis », observe, pour sa part, Sophie Bayle.

Une fois le contrat passé, d’autres métiers interviennent pour le faire vivre et s’assurer de la qualité de service. Le manager de contrat assure le suivi opérationnel de la relation avec les éditeurs, les prestataires.

Profil hybride entre les fonctions achats, contrôle de gestion et finance, le vendor manager définit la gouvernance de la relation client-fournisseur puis son pilotage via des comités et de tableaux de bord afin de veiller au respect des engagements de services.

Enfin, le Software Asset Manager (SAM) a en charge de la conformité logicielle de l’entreprise.
Un rôle crucial avec le changement de tarification introduit par le SaaS passant d’un modèle de licence au principe d’abonnement.

La famille Transfo : le CDO est-il déjà has been ?

La dernière famille est consacrée aux professionnels chargés de faire vivre la transformation numérique. Dans cette famille « Transfo », je demande le père, le Chief Digital Officer. (CDO)

Star il y a trois ou quatre ans, le CDO est-il passé de mode ? Les avis sont partagés.
Emmanuel Stanislas note un reflux de la fonction. « Le digital a été préempté par les métiers. Il est partout dans le marketing, les RH… » Même son de cloche auprès d’Alain Rochard pour qui le CDO est une fausse bonne idée. « Il amène du conseil, évangélise et mène des pilotes mais sa fonction transverse est progressivement absorbée par les métiers et la DSI. »

Le DSI tient, en effet, sa revanche sur le CDO. Un temps relégué à une fonction support, il est revenu sur le devant de la scène en obtenant, dans certaines organisations, le pilotage de la transformation numérique.
Pour sa part, Sophie Bayle constate que le CDO reste un profil convoité sur le marché. « Un très bon profil trouvera toujours un poste. »

Un échelon plus bas dans la hiérarchie, d’autres profils se « digitalisent » au niveau de la chefferie de projet. On parle ainsi de chef de projet digital ou de gestionnaire de portefeuille de projet digital (PMO). « Les anciens chefs de projet et PMO vont devenir digital, prédit Joanna Pomian. Ils peuvent aussi venir du marketing digital ou du design thinking. »

Parmi les autres fonctions citées dans la nomenclature RH du Cigref, on trouve le responsable du marketing de la DSI qui a – comme son nom l’indique – pour objectif de « marketer » l’offre de la DSI, de la valoriser et de la « vendre » auprès des utilisateurs internes.
Métier émergent, le responsable green IT aide l’entreprise à construire un système d’information plus éco-responsable en appréhendant le numérique sous l’angle des enjeux environnementaux.

Enfin, parmi les métiers en devenir, Sophie Bayle prédit que la blockchain sera le grand sujet de 2019 et qu’un expert sera bientôt chargé d’incarner en interne ce sujet éminemment transverse. Rendez-vous dans un an pour voir si la prédiction sera réalisée.

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