Philippe Duluc, Atos : « sur le quantique, on se sent un peu seul en Europe »

Philippe Duluc, directeur technique de la partie Big Data et sécurité d’Atos, revient sur la naissance de Quantum, le programme d’informatique quantique du Français. Premier objectif : développer un simulateur quantique permettant de tester des algorithmes dédiés.

Annoncé début novembre, Atos Quantum est le premier programme de R&D d’un industriel européen sur l’informatique quantique. Pour tenter de se faire une place sur ce segment où investissent les Google, IBM, Microsoft et autre Intel, la société dirigée par Thierry Breton a ouvert un laboratoire quantique, aux Clayes-sous-Bois (78).

Ce dernier devrait héberger, à terme, une centaine de chercheurs. Avec des profils variés : des chercheurs en physique quantique, des mathématiciens, des spécialistes de l’informatique quantique mais aussi des experts du calcul hautes performances et de la cybersécurité. Les explications de Philippe Duluc, le directeur technique de la partie Big Data et sécurité d’Atos.

Silicon.fr : Comment est née l’initiative Quantum que vous venez d’annoncer ?

Philippe Duluc : L’informatique quantique intéresse Atos depuis déjà un certain temps et nous sommes persuadés qu’elle va profondément changer notre industrie à terme. Il fallait donc que nous prenions l’initiative sur ce terrain où les entreprises américaines ont déjà investi massivement. L’informatique quantique est un sujet complexe, très lié à la recherche scientifique et où il est nécessaire de faire travailler ensemble physiciens et mathématiciens. C’est pourquoi nous avons réuni un comité scientifique avec des personnes incontestables dans leur secteur (on y trouve notamment Serge Haroche, prix Nobel de physique 2012, et Cédric Villani, médaille Fields 2010, NDLR), nous apportant une ouverture à l’international (avec David DiVincenzo, de l’institut d’informatique quantique de Rhénanie-Westphalie à Aix-la- Chapelle, et Artur Ekert, professeur de physique quantique à Oxford et à Singapour, NDLR). Cet appui scientifique est essentiel, car, avec l’informatique quantique, on avance clairement vers de nouvelles frontières.

quantum
Autour de Thierry Breton, le comité scientifique de Quantum. Philippe Duluc est le 1er en partant de la droite.

Silicon.fr : Ce programme est-il financé entièrement par Atos ?

P.D. : Oui, en tout cas au démarrage. Mais, à terme, nous allons chercher à nous rapprocher des programmes de soutiens à l’innovation, notamment de l’Union européenne.

Silicon.fr : Pourquoi ne pas avoir abordé le sujet par la construction d’un système quantique, un défi dans lequel se sont engagés Google, IBM ou encore Microsoft ? 

P.D. : Notre démarche est assez similaire de celle que nous avons adoptée dans les supercalculateurs, où nous sommes le seul grand industriel européen. Dans ce domaine déjà, nous nous concentrons sur le logiciel et sur l’architecture des systèmes, les processeurs de calcul étant fournis par nos partenaires. On peut imaginer reproduire ce schéma dans l’informatique quantique. Car si nous pensons que ce type de système existera bien dans quelques années, ce ne sera peut-être pas sous la forme qu’on imagine en premier lieu, soit un ordinateur quantique universel capable d’effectuer tous types de calculs et supplantant les systèmes actuels. Dans un premier temps, nous devrions assister à la naissance d’accélérateurs quantiques couplés aux supercalculateurs traditionnels. Atos souhaite être au rendez-vous de cette mutation, qu’on peut envisager à un horizon de 15 à 20 ans même si toute prédiction concernant l’industrialisation de l’informatique quantique reste très hasardeuse. Notre ambition, c’est de devenir le premier acteur européen à offrir des solutions de cette nature.

C’est pourquoi nous avons fait de la simulation quantique l’une des priorités du programme Atos Quantum. Préparer les algorithmes à l’introduction de systèmes quantiques permet d’effectuer déjà une partie du chemin et répond à un besoin à un horizon très proche. Notre premier livrable sera un simulateur quantique que nous prévoyons de dévoiler courant 2017.

Silicon.fr : Programmer pour un système quantique, qui en théorie offre des capacités de calculs parallèles massifs, est-il si différent de ce qu’on connait aujourd’hui ?

philippe-dulucP.D. : Le parallélisme actuel est très différent du « parallélisme » quantique. Aujourd’hui, très peu d’algorithmes bénéficient pleinement de l’accélération quantique. C’est le cas de l’algorithme de Shor (factorisation de produits de nombres premiers), ce qui a d’ailleurs provoqué un déclic dans la cybersécurité et explique pourquoi le quantique menace nombre de technologies de chiffrement comme RSA, ou de l’algorithme de Grover (tri de listes). De nombreux chercheurs travaillent aujourd’hui sur des algorithmes adaptés pour le Machine Learning, les réseaux de neurones ou l’apprentissage automatique. D’où la priorité donnée à ce sujet dans notre programme. Signalons que nous travaillons aussi sur des algorithmes de chiffrement traditionnels, mais capables de résister à des attaques provenant de systèmes quantiques.

Silicon.fr : Aux Etats-Unis, plusieurs industriels travaillent sur le sujet. En Europe, Atos est le premier à se lancer. Ne vous sentez-vous pas un peu seuls ?

P.D. : Prétendre le contraire serait difficile. L’Europe, et particulièrement la France, hébergent une recherche scientifique très avancée sur le sujet. Mais, sur le volet industriel, Atos est, pour l’heure, effectivement l’unique industriel européen engagé dans la course mondiale.

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