Edition de logiciels : naître en France, grandir aux Etats-Unis

Les éditeurs de logiciels français embauchent et sont portés par 15 % de croissance. Mais, pour réellement grandir, aller se frotter au marché américain semble inévitable. Ce qui nécessite des moyens importants.

Les éditeurs français de logiciels vont bien. Selon la dernière étude de Syntec Numérique et du cabinet d’audit EY, le secteur a dégagé un chiffre d’affaires de 12,4 milliards d’euros en 2015, soit une progression de 15 % sur un an. C’est toutefois deux points de moins que lors de la précédente édition de cette étude baptisée Top 250 (mais qui se penche en réalité sur l’activité de quelque 380 éditeurs). Dans cet ensemble, ce sont trois mastodontes qui entraînent l’ensemble : Dassault Systèmes (avec un CA édition de 2,5 milliards d’euros en 2015), Ubisoft (près de 1,4 milliard) et Criteo (1,2). Signalons d’ailleurs que Criteo et Dassault Systèmes se distinguent également par leur croissance supérieure à la moyenne, avec des taux de progression de respectivement 60 et 20 %. 4ème, Sopra Steria affiche un chiffre d’affaires 2,5 fois inférieur à son prédécesseur.

Trop peu de capital-risque ?

Pour Franck Sebag, associé chez EY, cette bonne santé d’ensemble cache toutefois quelques faiblesses. « La catégorie des éditeurs réalisant entre 50 et 100 millions d’euros de chiffre d’affaires est peu peuplée, une faiblesse très française qui n’est pas réservée au logiciel. D’autre part, si la catégorie des éditeurs réalisant moins de 5 millions regroupe 43 % du total des sociétés, on peut s’étonner du fait que 60 % des éditeurs de cette catégorie aient plus de 8 ans et que leur croissance moyenne sur la période 2013-2015 soit limitée à 27 %. » Soit moins que l’ensemble du marché (35 %). « Nombre de petits éditeurs plafonnent », résume l’associé d’EY.

Selon lui, ce plafond de verre que connaissent certains petits éditeurs peut s’expliquer par le recours assez limité au capital-risque, vu seulement comme le troisième levier de financement derrière le recours aux fonds propres et l’endettement. Même si les éditeurs français sont, au fil des ans, de plus en plus enclins à regarder en direction des fonds et des business angels (ils sont 54 % dans ce cas en 2015, contre 47 % en 2014).

top250_1« Mais le logiciel n’attire pas encore assez le capital-risque, martèle Franck Sebag. Or, les éditeurs français doivent intégrer le fait que le moteur de leur croissance réside dans la globalisation. La France est un pays accueillant pour lancer sa start-up, mais, dans le logiciel, la guerre se gagne aux Etats-Unis. » L’exemple de Neotis, gagnant du prix international remis par Syntec Numérique, en apporte l’illustration. L’éditeur de logiciels spécialisé dans la mesure de la performance applicative réalise déjà 50 % de son chiffre d’affaires (9 millions d’euros) aux Etats-Unis. « Nous préférons nous battre sur un marché très concurrentiel mais offrant des opportunités importantes que l’inverse », résume Sylvain Fambon, le directeur marketing Europe de Neotis. Mais cette internationalisation nécessite des fonds importants, rappelle EY.

Un message aux candidats

Le constat dressé par EY se heurte à la faiblesse relative des sommes investies en capital-risque sur le continent européen. Entre 2013 et 2015, ce montant est certes passé de 9 à 14 Md$. Mais, dans le même temps, aux Etats-Unis, les sommes investies étaient multipliées par deux (de 36 à 72 Md$). Et l’Europe est désormais devancée par la Chine, où 49 Md$ ont été investis en capital-risque en 2015 (contre 5 Md$ deux ans plus tôt !). « Pour accélérer le développement de nos sociétés, il faudrait plus d’argent », résume Franck Sebag.

En cette année pré-électorale, le message a évidemment une portée politique. D’autant que Syntec Numérique, associé à d’autres associations du secteur, envisage de lancer prochainement une plate-forme permettant d’interpeler les candidats à la présidentielle. La chambre patronale des SSII et éditeurs entend militer notamment pour un soutien des sociétés françaises à l’international, un guichet unique ‘croissance’ (facilitant l’accès aux différents dispositifs) ainsi que pour la sécurisation de mesures existantes (on pense en particulier au Crédit impôt recherche).

La chasse aux développeurs

Pour convaincre les politiques de s’intéresser au dossier, Syntec Numérique pourra mettre en avant les bons chiffres de la création d’emploi dans le logiciel soulignés par l’étude Top 250. Le secteur a créé 17 800 emplois nets en deux ans, les effectifs totaux dépassant désormais les 145 000 personnes (dont 75 000 environ chez les sociétés uniquement centrées sur l’édition de logiciels). Et près de 6 emplois sur 10 sont en France (c’est même 75 % si on se limite aux effectifs dans la R&D). 86 % des éditeurs sondés envisagent par ailleurs d’augmenter leurs effectifs au cours de 2016.

top250_2Mais pour le Syntec Numérique, cette belle intention se heurte aux difficultés de recrutement que connaissent près de 8 éditeurs sur 10. Une vieille antienne de la chambre patronale, prompte à pointer des déficits de profils qualifiés dans tous les métiers la concernant. Selon l’étude Top 250, les éditeurs de logiciels peineraient avant tout à trouver des développeurs. « Le talent et les compétences des développeurs français sont très recherchés à l’étranger (notamment aux États-Unis), ce qui accentue les difficultés de recrutement sur le marché français », ajoute l’étude. Pour Muriel Barnéoud, administratrice de Syntec Numérique et Pdg de Docapost, « on parle ici d’un déficit global de plusieurs milliers de profils rien qu’en région parisienne. »

Enfin, signalons que la transition vers le Saas demeure la priorité technologique n°1 des éditeurs français, loin devant la mobilité et le Big Data. Si le virage vers ce nouveau mode de commercialisation du logiciel est entamé depuis des années, le Saas ne représente encore que 25 % du chiffre d’affaires des 380 éditeurs sondés par Syntec Numérique et EY.

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