Le faux départ du Cloud souverain (tribune)

Le Cloud souverain français a accouché de deux offres IaaS concurrentes : CloudWatt et Numergy. Après quelques épisodes rocambolesques, elles sont aujourd’hui opérationnelles, mais disposent de peu de références. La faute à une stratégie défaillante, analyse Guillaume Plouin, architecte Cloud et auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet.

Nos Cloud souverains ont démarré sans réelle vision innovante, avec une offre IaaS sans spécificité. L’idée maîtresse était de créer une plateforme de grande échelle, avec une ambition européenne, afin que la mutualisation permette la réduction des coûts. En effet, les noms des offres font référence à “l’énergie informatique”.

Or, nos nouveaux entrants font face à des acteurs industriels, arrivés sur le marché depuis 10 ans, et extrêmement innovants : Google dispose d’environ 2 millions de serveurs, Microsoft de plus d’un million, Amazon d’environ 500 000. Ces acteurs ont créé de nouveaux paradigmes technologiques :

  • des datacenters de tiers 4 basés sur des containers pré-assemblés ;
  • le “commodity hardware”, ou recours à des serveurs d’entrée de gamme, parfois assemblés par leurs soins, avec des caractéristiques originales (1 onduleur sur chaque serveur chez Google) ;
  • un stockage distribué sur ces “commodity hardware”, plutôt que sur un SAN ;
  • le “design for failure”, ou la résilience gérée par un logiciel d’infrastructure largement automatisé, plutôt que par le matériel.

VMware : erreur de casting

Ces technologies constituent d’ailleurs un important secret industriel pour ces acteurs. Ils disposent d’un énorme actif avec leurs datacenters. Il est assez difficile de reproduire leur effet d’échelle en quelques années, et surtout pas en utilisant les technologies du marché, comme celles de VMware, qui n’adressent pas bien les parcs de dizaines de milliers de serveurs.

Il me semble que plutôt que d’essayer de concurrencer les géants américains sur l’effet d’échelle, il aurait été plus pertinent de proposer une offre de valeur originale, puis d’adopter une démarche itérative pour faire évoluer ces Cloud.

Comme le font les entreprises de la Silicon Valley avec la démarche “Lean Startup”, il aurait fallu commencer par adresser un problème précis :

  • un Cloud destiné aux administrations françaises ?
  • un Cloud destiné aux éditeurs français ?
  • un Cloud destiné aux services de santé français, qui manient des données très réglementées ?

Au lieu de cela, on est resté sur une offre IaaS généraliste.

Faute de créativité, il reste toujours la sécurité…

Si le Cloud souverain fait moins parler de lui, c’est donc à cause d’un positionnement peu différenciant, donc peu attractif comparé à d’autres acteurs français, comme OVH.

Forts de ce constat, nos deux champions se repositionnent – tardivement – sur les données de santé, mais sans véritable offre clef en main pour le monde médical.

Il y aurait pourtant quelque chose à faire pour :

  • les nombreux éditeurs qui travaillent pour les collectivités locales ;
  • les offres de coffre-fort numérique du type Digiposte ou Moneydoc (hébergé chez OVH…) ;
  • les offres de gestion financière comme Linxo (hébergé chez Amazon…) ;
  • la reprise de contrôle de ses données personnelles (cf. mesinfos.fing.org) ;
  • etc.

Guillaume PlouinFaute d’offre originale, le Cloud souverain est voué à héberger des services des entreprises pour qui être situé sur le territoire français est le principal critère de choix. Ce positionnement est risqué car les grands acteurs du Cloud pourraient bien débarquer en France et leur prendre leurs clients : Amazon est présent en Allemagne depuis quelques mois, et Google en Belgique.

Par Guillaume Plouin, architecte Cloud, auteur de “Cloud Computing, Sécurité, stratégie d’entreprise et panorama du marché” et “Tout sur le Cloud Personnel” chez Dunod.

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Crédit Photo : wk1003mike