F. Boujemaa, Cloudwatt : « Les processeurs ARM ? Une opportunité à étudier »

Fayçal Boujemaa, responsable recherche et développement de Cloudwatt, revient pour Silicon.fr sur l’adoption de l’architecture ARM dans les serveurs. Et ouvre la porte à une diversification des processeurs présents dans les datacenters du Cloud.

Cloudwatt devrait se doter d’un second datacenter en 2014 (en plus de ressources exploitées dans le datacenter d’Orange à Val de Reuil). L’aspect consommation d’énergie sera-t-il central pour le choix de ce datacenter ? Après tout, le nom “Cloudwatt” lie directement le Cloud à la puissance consommée (“watt”).

Fayçal Boujemaa : La bonne gestion énergétique de nos infrastructures et les aspects de respect de l’environnement font partie des valeurs de Cloudwatt. Le choix du deuxième datacenter fera donc bien entendu l’objet d’une attention particulière sur sa performance énergétique et notamment son PUE (Power Usage Effectiveness, lire une récente tribune sur le sujet dans nos colonnes). Pour information, le datacenter actuel de Cloudwatt, fourni par Orange et situé à Val de Reuil, affiche un PUE inférieur à 1,3 et s’inscrit dans une démarche HQE (Haute Qualité Environnementale).

Les moyens technologiques pour atteindre ces objectifs de performance sont aujourd’hui nombreux. Nous serons très attentifs pour notre part aux points suivants :

– Le bon respect des normes environnementales, la performance énergétique et les moyens proposés (exemple : récupération de l’air extérieur pour limiter l’appel à la climatisation – free cooling-, technologie de confinement des couloirs chauds – hot corridor -, supervision évoluée permettant d’optimiser la performance…).

– La possibilité de densifier les baies d’hébergement. Un des axes de réduction de la consommation passe par la densification permettant de mutualiser certains éléments et de concentrer les efforts de refroidissement.

– La qualité technique globale du datacenter. Les standards évoluent rapidement et les exigences de qualité sont globalement plus fortes aujourd’hui. La fiabilité est un axe fort pour le choix d’un datacenter. Cloudwatt se dote de datacenter de dernière génération de normes équivalentes à Tier IV.

– Les démarches des opérateurs de datacenter en termes d’éco-responsabilité. Nous sommes très intéressés par les prospectives de certains acteurs pour agir en faveur du respect de l’environnement. Exemple : usage des réseaux d’eaux chaudes produites par le datacenter par un bâtiment tiers, utilisation de la chaleur produite pour alimenter une serre d’expérimentation, utilisation de sources d’énergie renouvelable, etc.

Plus globalement, nous travaillons également à réduire la consommation de nos équipements par des choix de matériels plus efficaces d’un point de vue énergétique et par l’usage optimisé de nos serveurs. Une machine chargée à 70% est beaucoup plus efficace que deux machines chargées à 35%. La stratégie de répartition est donc primordiale.

En synthèse, même s’il faut reconnaître que le coût de l’énergie reste maîtrisé en France, Cloudwatt se préoccupe de la performance énergétique de ses infrastructures. Cela fait partie de nos valeurs et d’un challenge à venir sur le respect de l’environnement et sur l’optimisation des coûts énergétiques.

Concernant l’aspect matériel, Cloudwatt s’est tourné vers des machines avec processeurs x86 (à 6 cœurs). Prévoyez-vous d’utiliser des serveurs ARM à l’avenir (dans votre second datacenter par exemple) ?

Le marché et les bénéfices qu’apportent les processeurs ARM font naturellement partie des opportunités que Cloudwatt étudie. Nous échangeons notamment avec plusieurs fondeurs pour assurer une veille sur l’existant et analyser l’impact en termes d’architecture que représente l’introduction de processeurs ARM dans nos datacenters. Au-delà des offres existantes, il est maintenant clair qu’en 2014, l’offre CPU ARM va s’enrichir avec notamment l’arrivée d’AMD sur ce marche (l’Opteron A est annoncé et a été présenté lors du dernier Open Compute Project Summit de San Jose) et l’enrichissement des offres de fondeurs (comme Calxeda ou Marvell) par l’architecture 64 bits, une étape nécessaire avant l’introduction en datacenter. La disponibilité d’un processeur et d’une nouvelle architecture (64 bits) reste toutefois à relativiser car, en général, il faut patienter au moins 12 à 18 mois afin de pouvoir tirer l’ensemble des bénéfices qu’une nouvelle technologie apporte.

Pour Cloudwatt-Box, Cloudwatt s’est tourné vers des logiciels open source de la Fondation OpenStack. Or, des initiatives de Cloud OpenStack (sous forme de zones dans TryStack.org) sous ARM ont vu le jour. Est-ce quelque chose que vous observez avec attention ?

Ce sont en effet des développements que nous suivons avec attention. Les équipes de Cloudwatt sont indirectement impliquées dans ces développements au travers des adaptations et améliorations logicielles que nous apportons à la pile OpenStack lors de nos contributions à ce projet open source, ce qui nous permet d’être en contact direct avec les personnes qui travaillent sur ces sujets.

Qu’est-ce qui, selon vous, conditionne le passage de tout ou partie de votre infrastructure aux serveurs ARM (plus d’hyperviseurs compatibles ARM, une large offre de serveurs ARM 64 bits…) ?

A ce jour, l’architecture ARM reste embryonnaire dans le domaine des datacenters. Cloudwatt a besoin de posséder une infrastructure éprouvée pour déployer son socle logiciel. Il reste pas mal de travail pour que cette architecture soit industrialisable et puisse remplacer naturellement les architectures x86 que nous utilisons actuellement. Ce travail est toutefois mené par une communauté open source très dynamique et se traduit par une évolution logicielle importante au sein du noyau Linux afin d’améliorer les performances et les fonctionnalités des processeurs ARM (voir notamment ici). Nous suivons ces travaux et évaluons le stade de maturité des solutions à base de processeurs ARM. Clairement, l’offre 64 bits est aujourd’hui un prérequis et celle-ci est en train d’arriver. Le ratio prix/performance fait aussi partie de l’équation économique que les clients observent avec attention. Intel a notamment enrichi son offre de processeurs x86 (Bay Trail) de solutions qui, techniquement, se rapprochent des ratios prix/performance proposés par ARM.

Pour quel(s) service(s), les serveurs ARM sont-ils les plus adaptés à votre avis : ceux proposant des machines virtuelles ainsi que de la puissance à la demande (offres à venir du côté de Cloudwatt) ou plutôt à la sauvegarde dans le Cloud (avec Cloudwatt Box) ?

Les processeurs ARM peuvent être utilisés pour réaliser l’ensemble de ces tâches. Après, il est nécessaire d’évaluer le coût et le bénéfice que les clients de Cloudwatt peuvent espérer d’un service Cloud comme nous le proposons. Le niveau de performances et de disponibilité applicatives ne nous permet pas aujourd’hui d’offrir une offre de Compute (VMs) sur le très court terme à base de processeurs ARM. L’architecture de sauvegarde est quant à elle susceptible de pouvoir utiliser plus facilement des processeurs ARM, mais nous préférons attendre une stabilisation logicielle sur le 64 bits avant d’investir en production sur cet environnement. Certaines offrent permettent aussi d’envisager ce type d’architecture pour constituer des Fabric et réseaux haut débit performants à bas coût, qui pourraient aussi représenter un challenge technico-économique pour un acteur comme Cloudwatt. AMD et Marvell commencent à proposer des solutions en ce sens.

Un Cloud multi-architecture (x86 et ARM) est-il, selon vous, envisageable ou trop complexe à mettre en œuvre et à supporter ?

L’initiative TryStack.org est là pour montrer que c’est tout à fait possible techniquement. La technologie est en cours de validation et rien n’empêchera de pouvoir le proposer à moyen terme en dehors des contraintes économiques, parmi lesquelles le ratio prix/performance reste aujourd’hui prépondérant. Cette approche repose sur des techniques de multi-tiering gérable par le placement de ressources d’OpenStack.

Baidu utilise déjà des serveurs ARM (basés sur des SoC Armada de Marvell) pour son offre de stockage dans le Cloud (Baidu Pan). Est-ce un exemple qui vous inspire ou même la voie à suivre ?

Baidu a construit une solution à base de processeur ARM pour un usage spécifique, qui n’est malheureusement pas réplicable directement dans l’environnement de Cloudwatt. Les SoC Armada de Marvell sont basés sur des cœurs 32 bits dont les performances sont aujourd’hui limitées. Baidu a pu démarrer ses développements avant que Cloudwatt n’existe. Nous préférons nous focaliser sur des développements sur des architectures 64 bits qui nous semblent plus pérennes, ARM l’a d’ailleurs confirmé avec l’annonce de l’extension de l’espace d’adressage de son architecture. Historiquement, le choix de Baidu s’explique aussi par des considérations stratégiques : éviter une dépendance forte vis-à-vis d’acteurs exclusivement américains.

En complément :

– Suresh Gopalakrishnan, AMD : « Nos clients veulent une alternative au x86 »

– Un standard pour les serveurs ARM… et Windows Server en prime ?