Fiscalité numérique : Les différentes hypothèses pour taxer les GAFA

Un nouveau rapport préconise une taxation adaptée aux spécificités du numérique. Pour Axelle Lemaire, il faut une harmonisation européenne pour taxer les bénéfices « là où la valeur est créée ». Google et d’autres multinationales qui usent d’optimisation fiscale agressive, sont ciblées.

Initiée par France Stratégie, commissariat général dirigé par Jean Pisani-Ferry et rattaché au Premier ministre, l’étude « fiscalité et économie numérique » a été rendue publique, lundi 9 mars, lors d’une présentation dense conclue par la secrétaire d’État en charge du numérique. Pour Axelle Lemaire, il n’est pas question de taxer « pour le plaisir de le faire » les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) et d’autres multinationales usant d’optimisation fiscale agressive, mais d‘adapter les règles fiscales à l’ère numérique, sans nuire à l’activité économique. L’harmonisation doit se faire en Europe et le dialogue se poursuivre à l’international, au sein de l’OCDE, pour s’accorder sur une base commune, a-t-elle ajouté, après avoir salué la contribution des chercheurs au débat. Différentes options en faveur d’une taxation spécifique ont été formulées hier par les auteurs de l’étude.

de gauche à droite les participants à la table ronde de France Stratégie : Jacques Crémer (LSE), Edouard Marcus (DGFiP), Francis Bloch (Paris-I), Valère Moutalier (CE), Raffaele Russo (OCDE)
de gauche à droite les participants à la table ronde de France Stratégie : Jacques Crémer (TSE), Edouard Marcus (DGFiP), Francis Bloch (Paris-I), Valère Moutalier (CE), Raffaele Russo (OCDE).

Un marché biface et monopolistique

L’étude sur la fiscalité du numérique est le fruit des réflexions d’un groupe de chercheurs des Écoles d’économie de Paris, de Toulouse (TSE) et de l’Institut Mines-Télécom, piloté par Francis Bloch (Université Paris-I). Pour être efficace, la fiscalité doit s’adapter aux quatre spécificités de l’économie numérique à savoir : la non-localisation des activités, un marché « biface » dans lequel évoluent les plateformes (fourniture de contenus et/ou services aux utilisateurs, d’un côté, vente d’espaces publicitaires ciblés à l’attention des annonceurs, de l’autre), les effets de réseau et, enfin, l’exploitation des données à caractère personnel (collecte massive, traitement, monétisation).

Taxer les bénéfices, la pub ou les données ?

À partir de ces spécificités, différents modèles ont été étudiés et seraient applicables au niveau européen. Une taxe sur les bénéfices, là où les profits sont générés, est une première option. Elle permettrait de ponctionner « la rente » de plateformes en situation de monopole. Elle n’aurait pas d’effet de distorsion sur l’efficacité productive, mais pourrait freiner le développement de nouveaux services. Elle implique une harmonisation européenne, qui prendra du temps.

La seconde option, une imposition sur les marchés bifaces, serait plus rapide à mettre en oeuvre, mais plus risquée. Une taxe sur les recettes publicitaires peut conduire la plateforme à proposer un accès payant à ses services et, par extension, faire fuir certains utilisateurs. Une taxe sur les flux de données – une option vivement contestée – pourrait aussi amener la plateforme à facturer ses services dans le but de limiter le volume de données téléchargées et la pression fiscale.

Autre option : une taxe unitaire par utilisateur. À la charge de l’utilisateur lui-même ou de la plateforme, elle risque d’éloigner de nombreux internautes du service concerné. De plus, la réduction d’activité d’une plateforme a un impact négatif sur les recettes de TVA engrangées en ligne. Or, depuis le 1er janvier 2015, les prestations de services en ligne et de téléphonie sont imposables au taux de TVA en vigueur dans l’État où l’utilisateur est domicilié, alors qu’il s’appliquait précédemment au lieu d’établissement du prestataire, une situation qui avait amené des groupes à s’implanter dans des pays au taux de TVA moins élevé, le Luxembourg, par exemple.

Les chercheurs suggèrent, enfin, de différencier le taux d’imposition en fonction de l’origine des revenus. Ainsi le taux serait moins élevé sur les revenus tirés du simple accès à la plateforme, que sur la collecte de données. Une taxe sur la collecte données personnelles ou sur les revenus publicitaires a également l’avantage, pour l’administration fiscale, d’être plus facilement rattachable à un territoire. Mais elle contrarie le modèle d’affaires couramment employé par les plateformes.

L’harmonisation européenne, un vaste chantier

Après avoir salué ce rapport, Axelle Lemaire a réaffirmé que s’accorder sur une base commune au niveau européen est la priorité. Par ailleurs, la secrétaire d’État estime qu’asseoir la taxe sur les bénéfices « là où la valeur est créée », est la plus neutre des solutions étudiées. Mais elle s’est déclarée peu favorable à l’adoption d’une taxe sur la publicité ou d’une taxe sur la bande passante. L’idée a été récemment relancée par la ministre de la Culture, Fleur Pellerin, malgré les réticences du Conseil national du numérique publiées à la suite du rapport Colin-Collin de 2013.  Pour Axelle Lemaire, les prochains débats seront internationaux. La secrétaire d’État a indiqué rencontrer ses homologues européens en avril pour inscrire la fiscalité au menu de l’agenda numérique européen.

Les nouveaux outils envisagés, au niveau européen, viendraient compléter les efforts visant à adapter le cadre fiscal international. La Commission européenne, qui a publié un rapport sur le sujet en mai dernier, proposera deux paquets en 2015 : l’un, la semaine prochaine, sur la transparence fiscale, l’autre, en juin, sur un changement des règles fiscales qui permette une meilleure adéquation entre le lieu d’imposition et le lieu de réalisation des profits. L’OCDE, de son côté, a proposé dès septembre 2014 son « projet BEPS » (Base erosion and profit shifting), un plan d’action international visant à freiner l’érosion de la base d’imposition et le transfert artificiel de bénéfices vers certains pays.

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