Section 230 et GAFAM : le futur d’Internet se joue à la Cour suprême

La relative immunité judiciaire dont bénéficient depuis la loi CDA de 1996 les plateformes numériques aux États-Unis va-t-elle voler en éclat ?

Une arlésienne pour les GAFAM* et leurs contempteurs ?

L’immunité judiciaire dont bénéficient depuis 1996 les plateformes numériques aux Etats-Unis fait toujours débat. La Cour suprême examine les 21 et 22 février deux cas distincts qui pourraient entraîner une refonte de la section 230 d’un texte clé pour le droit et Internet.

Le premier cas est lié à une plainte déposée par la famille d’une des victimes des attentats de Paris en novembre 2015 (Gonzales v. Google LLC). Selon l’accusation, les algorithmes qui ont recommandé cette même année la diffusion de vidéos de recrutement de l’Etat islamique (EI) auprès de partisans potentiels ne devraient pas être protégés par la section 230.

L’autre concerne l’affaire « Twitter, Inc. v. Taamneh ». Elle intéresse le rôle des réseaux sociaux en amont de l’attentat du 1er janvier 2017 dans une discothèque d’Istanbul. La plateforme de microblogging est à l’origine de la requête. L’entreprise soutient que, quelle que soit la décision prise concernant Google et la section 230, l’usage de Twitter par des criminels potentiels ne constitue pas une violation de la loi antiterroriste américaine.

Qu’apporte la section 230 aux GAFAM et consorts ?

La section 230 est une disposition de la loi américaine de 1996 sur la « décence » dans les communications ou Communications Decency Act (CDA). Ce texte stipule que les fournisseurs de services internet ne sont pas des éditeurs. Il les exonère de toute responsabilité concernant le contenu créé et publié par des tiers, particuliers et entreprises.

Les plateformes en ligne ne peuvent donc pas être poursuivies pour les commentaires, les vidéos ou les images que les utilisateurs publient sur leurs sites (à de rares exceptions près, dont la pédopornographie), à moins qu’elles soient impliquées dans la création du contenu.

Depuis sa création, la loi fait l’objet de débats parfois tendus sur la régulation des plateformes en ligne et la libre expression. Sans surprise, Google et bien d’autres acteurs de l’écosystème technologique préféreraient ne pas être tenus pour responsables.

Adam Kovacevich, CEO du groupe d’influence Chamber of Progress et ancien directeur en charge des politiques publiques américaines chez Google, fait partie de cet écosystème.

« La Cour suprême est rapidement entrée dans le vif du sujet : les algorithmes alimentent presque tout en ligne aujourd’hui et sont essentiels pour rendre les services en ligne utiles », a-t-il déclaré par voie de communiqué. Et d’ajouter : « créer une responsabilité pour les plateformes qui utilisent des algorithmes pour classer et modérer le contenu forcera finalement les sites Web à surmodérer ou à adopter une approche non interventionniste du contenu. Dans les deux cas, c’est une expérience en ligne pire pour les utilisateurs. »

D’autres organisations, dont l’ACLU (American Civil Liberties Union), redoutent une entrave à la liberté d’expression et au premier amendement de la Constitution des Etats-Unis.

La section 230 fait aussi l’objet de nombreuses critiques à gauche comme à droite de l’échiquier politique américain. L’ancien locataire républicain de la Maison Blanche, Donald Trump, par exemple, pensait un temps abroger l’article de loi. Quant à l’actuel président des Etats-Unis, Joe Biden, il reproche aux réseaux sociaux d’encourager les discours de haine.

D’autres encore redoutent le pire considérant les décisions récentes des neuf juges de la Cour suprême sur le droit à l’avortement ou le contrôle des armes à feu. Le verdict de la plus haute juridiction américaine sur la section 230 est attendu avant le 30 juin prochain.

*Acronyme de Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft.

(crédit photo de une © Adobe Stock)