GBCP : comment l’Etat a lancé 700 mini projets Chorus en parallèle

Attention, usine à gaz ! Un décret va pousser 700 organismes publics à mettre à jour leur progiciel avant le 1er janvier 2016. D’ores et déjà, les délais apparaissent difficiles à tenir.

Mise à jour le 17/10 à 19h15
C’est une réforme silencieuse à l’acronyme barbare comme sait si bien les inventer l’administration française. GBCP – soit Gestion Budgétaire et Comptable Publique – cache pourtant une nouvelle étape clef dans la réforme de la comptabilité de l’Etat et de ses organismes. Concrètement, ce décret de 2012 impose à l’Etat, aux collectivités territoriales, à leurs groupements ainsi qu’aux opérateurs publics dont le financement est majoritairement public la mise en place d’une comptabilité budgétaire. Des principes découlant de la LOLF (Loi organique sur la loi de finances) que l’administration d’Etat a déjà adoptés via le pharaonique projet Chorus (un progiciel basé sur SAP), qui coûtera à l’Etat entre 1 et 1,5 milliard d’euros entre 2006 et 2015 (les chiffres varient en fonction du périmètre considéré). Cette fois, ce sont près de 700 organismes publics qui sont concernés, selon le rapport annuel de l’AIFE (Agence pour l’informatique financière de l’Etat, qui avait déjà piloté le projet Chorus). Soit environ un organisme public sur deux.

Bref, un chantier massif, passant par une mise à jour des outils logiciels dans chaque organisation et aux contraintes resserrées, puisque tous les organismes concernés doivent mettre en place une comptabilité budgétaire avant le 1er janvier 2016. Si le budget de l’opération a été évalué par la Disic (la DSI de l’Etat, placée auprès du Premier ministre), ce chiffre n’a pas été divulgué. Interrogé sur le sujet lors d’un séminaire de l’Ugap (la centrale d’achat de l’Etat), Philippe Triscos, un des membres de la mission montée par Bercy et l’AIFE pour piloter le chantier, s’est refusé à donner un chiffre. Se contentant d’indiquer que le coût global de GBCP resterait « nettement inférieur à Chorus ». Pas sûr que cette simple estimation suffise à rassurer tout le monde… « C’est assez difficile d’estimer les coûts car on ne sait pas très bien d’où partent les organismes concernés, ajoute-t-il. Les éditeurs vont probablement tenter de garder leurs marchés via des offres incluses dans la maintenance évolutive. Mais il y aura un coût de déploiement ». Sans oublier les coûts liés à la réorganisation des organismes ; mettre en place un pilotage budgétaire – y compris sur des engagements multi-annuels – ainsi qu’une gestion de trésorerie en relation avec ces engagements est loin d’être une évidence partout. « Dans certains organismes, c’est une révolution », confirme le responsable délégation aux transformations ministérielles de l’AIFE et membre de la mission GBCP de Bercy, regroupant une dizaine de personnes.

Progiciels GBCP : ce n’est pas prêt

En dehors de la facture finale, l’autre motif d’inquiétude réside dans les délais, très resserrés du chantier. Lors de la conférence Ugap consacrée au sujet, devant un auditoire où la grogne était palpable, Philippe Triscos a rappelé que l’échéance du 1er janvier 2016 pour une mise en œuvre complète des projets restait gravée dans le marbre. « Passé cette date, on traitera les catastrophes restantes au cas par cas », a-t-il assuré. Ce calendrier laisse peu de marges de manœuvre aux organismes concernés, d’autant que le dossier des prescriptions générales n’est disponible que depuis fin 2013 (et il a encore été amendé en mars 2014). Conséquence : les versions GBCP des progiciels ne sont bien souvent pas prêtes. « La plupart des éditeurs sont en phase de conception ou de développement de ces versions. Leur disponibilité devrait être effective au cours du premier semestre 2015 », selon Philippe Triscos. De quoi donner des sueurs froides aux organismes concernés.

D’autant qu’environ la moitié d’entre eux dépendent d’un seul éditeur, GFI, qu’ils craignent donc de voir noyé sous une foule de projets concomitants. Chez l’éditeur et SSII, Tommy Verdon, directeur du pôle finance (qui cible le secteur public) de la branche logicielle, se veut rassurant et assure que les deux outils maison Win M9 (établissements de petites tailles) et Sirepa (grands établissements comme Météo France ou la BNF) seront portés pour la mi-2015. « La mission GBCP a donné des livrables, mais nos groupes de veille sont encore en train d’en décrypter les conséquences. Il existe une kyrielle de cas particuliers pour lesquels l’AIFE, la Direction du Budget et la DGFiP n’ont aujourd’hui pas de réponse. Le référentiel de mars dernier laisse encore de nombreuses questions en suspens  », détaille le responsable.

Réorganisation : 60 % des coûts

Une chose est sûre : l’évolution des produits sera majeure. « Ce sont des évolutions significatives pour nos logiciels. Il faut revoir le cœur même de ces produits », ajoute Yann Beseme, un autre interlocuteur chez GFI. Tant et si bien qu’il y aura non plus une ligne de produits unique pour Win M9 et Sirepa, mais deux. Une pour le GBCP qui touche environ 250 organismes clients de l’éditeur, l’autre pour les organisations non concernées par la réforme. En parallèle, GFI a également mis sur le marché une déclinaison de l’ERP Microsoft Dynamics AX pour le secteur public. Baptisé SSP, cette solution, adoptée par 7 organismes, est déjà compatible GBCP, selon son éditeur. « Même si tous nos clients ne sont aujourd’hui pas prêt pour le PGI, nous allons inciter nos bases installées à converger vers cette solution », détaille Tommy Verdon.

« Pour GFI, GBCP n’est pas une opportunité financière, assure encore le responsable de la société. Nous avions trois produits, nous en aurons désormais 5 à maintenir. » Il n’en reste pas moins que, pour les utilisateurs de Win M9 et Sirepa, GBCP se traduira par un coût de migration dépendant de la taille de l’établissement et/ou du nombre d’utilisateurs, a confirmé l’éditeur à Silicon.fr. Y compris pour les organismes utilisant Win M9 en mode Saas. Les organismes concernés par la réforme ne doivent également pas sous-estimer les coûts de réorganisation qu’elle ne manquera pas d’entraîner. GFI estime que 60 % des coûts totaux seront liés à ce volet du projet.

Reste la question de la charge des équipes GFI, qui vont être confrontées, sur une période de 6 mois, à 250 projets en parallèle. « L’année prochaine, aucune nouvelle affaire ne sera signée », assure Tommy Verdon. Façon de dire que 2015 sera l’année GBCP. Par ailleurs, GFI assure que 70 consultants travailleront sur la mise en œuvre et que le groupe peut également mobiliser les forces de son département conseil. Interrogé sur le sujet, l’éditeur a confirmé être en discussions avec d’autres SSII, dont Capgemini, la SSII choisie par l’Ugap pour les lots d’intégration GBCP (CGI ayant hérité de l’AMOA). Les utilisateurs GFI, qui souhaitent passer par la centrale d’achat public afin d’alléger la procédure d’appel d’offres, devraient donc être en mesure de le faire.

Mutualisation entre organismes

Pas sûr toutefois que le passage par l’Ugap suffise aux 700 organismes concernés à être au rendez-vous du 1er janvier 2016. Après le référentiel fonctionnel, l’AIFE publie cet automne les documents pour la formation, les kits d’organisation ou encore de bascule. Plus original, l’agence va également mettre en ligne un réseau social permettant aux différents organismes d’échanger sur leurs projets GBCP. Une première forme de mutualisation qui devrait en appeler d’autres. La mission GBCP de Bercy travaille ainsi à mutualiser des solutions progicielles GBCP entre quelques organismes. Une voie de réduction des coûts intéressante, à condition de ne pas générer de nouvelles complexités. En l’état actuel, aucune information détaillée n’a filtré sur ces projets. Jacques Marzin, le directeur de la Disic, a toutefois confirmé à la rédaction que la DSI de l’Etat effectuerait dans les mois qui viennent une seconde évaluation du projet GBCP. Etant donné que la vocation de la Disic est précisément d’encourager la mutualisation des moyens IT entre administrations, nul doute que cet axe sera scruté avec attention.
Le projet consistant à migrer les organismes vers un Chorus ‘light’ a, lui, été rapidement abandonné, le progiciel SAP ayant été jugé inadapté à la plupart des besoins. « Les organismes concernés par GBCP emploient de 2 à 35 000 personnes. SAP n’a un sens que pour les 10 plus grands », a tranché Philippe Triscos, lors de la conférence Ugap.

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