Régis Granarolo, MUNCI : « Nous devons ambitionner plus d’indépendance technologique »

Président du MUNCI, association d’informaticiens, Régis Granarolo analyse le marché de l’emploi high tech, évoque le patriotisme technologique et les relations entre acteurs de la filière numérique et pouvoirs publics.

Régis Granarolo, président du MUNCI, association regroupant 2400 membres salariés, travailleurs indépendants et demandeurs d’emploi du secteur informatique, précise son point de vue sur la situation du marché de l’emploi dans le secteur et la relation entre les lobbies du numérique et l’exécutif français. Il met aussi l’accent sur les thèmes chers à l’organisation, de la formation continue à la sous-traitance.

Le MUNCI a dénoncé en mai la confusion trop fréquente entre « difficultés de recrutement » et « pénurie ». Quelle est la situation du marché de l’emploi dans le secteur informatique au niveau national ?

D’un point de vue structurel, il y a une distinction à faire entre « pénurie de main d’œuvre » et « pénurie de certains profils ». Ceci dit, le taux de chômage de la profession est d’environ 6 %, soit 32 000 demandeurs d’emploi « informatique/télécoms » inscrits (cat. ABC, source : DARES avril 2012), ce qui ne correspond pas tout à fait à un marché de plein emploi.

Je note cependant que l’emploi IT résiste bien : le chômage des informaticiens a baissé lentement depuis le début de l’année pour se stabiliser le mois dernier -ce  qui va  à contre-courant de la tendance générale. Si le secteur continue à mieux résister que les autres, le chômage pourrait se maintenir en 2012, comme ce fut le cas en 2011. Quoi qu’il en soit, les créations nettes d’emplois dans l’informatique sont faibles, avec au mieux quelques milliers de postes créés cette année.

Nous constatons, par ailleurs, que le quart des informaticiens au chômage sont des chômeurs de longue durée, soit la même proportion que pour le reste de la population privée d’emploi. Nous déplorons une forte discrimination à l’égard des plus âgés. Chez les plus jeunes, les BAC+2 sont les plus susceptibles d’être confrontés au chômage, alors que chez les ingénieurs informatiques le chômage est quasi inexistant.

De manière plus générale, près d’un tiers de l’ensemble des chômeurs de la filière informatique rencontre des difficultés d’insertion professionnelle. Le « jeunisme » explique en grande partie cette situation. Cela n’est pas uniquement l’affaire des SSII, le phénomène touche le numérique dans sa globalité. Le nouveau lobby France Digitale, dans un baromètre réalisé en partenariat avec Ernst & Young, a lui-même mis en avant les 32 ans d’âge moyen des salariés de jeunes sociétés du secteur.

Bien sûr, il ne s’agit pas de discriminer les jeunes par rapport aux seniors, car le chômage sévit autant au sein de ces deux populations en France, mais nous devons faire un effort dans la profession pour rééquilibrer la pyramide des âges, valoriser l’expérience et optimiser la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GEPC).

Parallèlement, il nous faut trouver des solutions aux problématiques liées à la sous-traitance, notamment dans les secteurs en souffrance – automobile, télécoms, banques, etc. – qui emploient de nombreux prestataires, dont des informaticiens. Nous devons également nous interroger sur le choix des prestataires dans les marchés publics où les appels d’offres devraient respecter davantage les critères sociaux relevant de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises (RSE).

Plusieurs organisations professionnelles, à travers des initiatives isolées ou des collectifs, ont voulu faire du numérique un enjeu clé de l’élection présidentielle 2012. Que pensez-vous du lobbying exercé dans ce but ?

Chacun peut comprendre qu’une industrie défende ses intérêts, en particulier dans les sphères de pouvoir. Au MUNCI, nous sommes favorables à une plus grande diversité dans la représentation de l’écosystème numérique. Aux cotés des lobbies économiques et d’organisations patronales, les syndicats de salariés, les associations de personnes physiques et d’autres représentants de la société civile doivent avoir l’opportunité de s’exprimer et d’être entendus.

Nous avons référencé plus de 150 organisations du numérique en France. Certaines souhaitent participer aux réflexions sur la gouvernance du numérique. De notre côté, nous souhaitons la mise en place d’un Conseil national du numérique plus représentatif [ndlr: les membres du CNNum ont remis le 5 juillet 2012 leur mandat à la disposition du président de la République et du gouvernement suite à la nomination, au poste de secrétaire général, de Jean-Baptiste Soufron l’un des proches collaborateurs de la ministre déléguée chargée de l’économie numérique, Fleur Pellerin].

Ce « super-CNNum » pourrait fonctionner sur les principes d’une collégialité équitable avec les moyens de la « e-démocratie » (consultations publiques, sondages, votes électroniques…). De même, au sein d’autres instances (CSF STIC, Observatoire du numérique), il n’est pas normal que la proportion des représentants d’organisations patronales et de lobbies économiques avoisine la quasi-totalité des postes.

Il faut savoir prendre du recul par rapport à nos métiers et ne pas créer de situations de favoritisme voire de préjudice par rapport au reste de l’économie. Prenons par exemple la dématérialisation, le e-commerce ou le cloud computing. Il ne s’agit pas de s’y opposer bien entendu ! Mais est-ce toujours plus profitable et plus sécurisant pour les usagers et les entreprises ? Est-ce que l’on crée plus d’emplois que l’on en supprime ? Simplement, l’État doit être vigilant sur les segments de marché qu’il entend soutenir dans le numérique.

Par ailleurs, il est amusant que des organisations patronales de tendance libérale appellent l’État à toujours plus d’interventionnisme… sauf, évidemment, dans le droit du travail !

Quels seront les prochains grands chantiers sur lesquels va travailler le MUNCI ?

Nous allons continuer à défendre les intérêts collectifs de nos professions. En particulier, la question d’une meilleure réglementation de la sous-traitance, du prêt de main d’oeuvre et de l’externalisation de services est l’un de nos chevaux de bataille. D’ailleurs, nous regrettons que ces sujets n’aient pas été abordés lors de la « conférence sociale » des 9 et 10 juillet 2012 malgré notre lettre aux partenaires sociaux.

Nous proposerons à la rentrée de nouvelles études à nos adhérents : postes et compétences recherchés sur notre marché du travail, listes conseillées ou déconseillées de SSII, salaires réels dans le secteur informatique.

Le MUNCI veut aussi mieux appréhender l’évolution du marché, plus particulièrement la relation entre salariés, freelances, SSII et clients, pour mieux s’attaquer aux problèmes sociaux du secteur. Pour ce faire, nous avons demandé dans une lettre à la ministre Fleur Pellerin et aux parlementaires de lancer une mission d’étude sur le fonctionnement des services informatiques en France (voire plus généralement des prestations intellectuelles). Nous préconisons, dans ce domaine, la mise en œuvre d’un programme d’accompagnement.

Enfin, nous réfléchissons aux moyens d’aller vers une plus grande indépendance technologique en Europe face aux États-Unis et aux puissances émergentes, par exemple en développant un moteur de recherche public européen pour concurrencer Google. Nous pensons également à la mise en œuvre de partenariats public-privé pour de grands projets technologiques. Il n’est pas question de repli sur soi, mais plutôt de « patriotisme technologique ».