Les réseaux au cœur de la Smart City

Imaginer la Smart City sans les réseaux qui en seront la colonne vertébrale ressemble à une impasse. Heureusement, les villes ont aujourd’hui à disposition un cocktail de technologies permettant de mettre en œuvre les applications les plus innovantes. A condition de réussir l’intégration des différents réseaux.

Après l’avènement du smartphone, il est question d’injecter une dose d’intelligence (« smart » en anglais) dans d’autres appareils ou même dans des infrastructures.

C’est de cette volonté qu’est née la Smart City (ou ville intelligente). Il s’agit d’apporter de nouveaux services ou d’améliorer ceux existants grâce à l’usage d’une myriade de technologies interconnectées les unes aux autres. Répondre aux problématiques écologiques, de croissance des métropoles et d’attractivité de celles-ci sont au cœur des projets de Smart City.

Elle s’appuie bien entendu sur les technologies de l’information et de la communication (TIC). Mais, l’enjeu se trouve également dans l’intelligence qui peut être ajoutée au niveau de l’interconnexion de celles-ci. Les notions de SDN (Software-defined network) et d’interopérabilité prennent alors tout leur sens.

1) Qu’est-ce que la Smart City ?

Si le terme de Smart City parait simple, ce qu’il recouvre est beaucoup moins trivial. Selon Aaron Partouche, Marketing & Business Development Director de Colt, tout un chacun en a sa propre interprétation. Mais la définir, c’est déjà en poser les limites et se cantonner à un carcan, même s’il s’agit presque toujours de diminuer les coûts, d’améliorer la qualité de vie, celle de l’atmosphère ou encore de rationaliser des services… Tout ce qui existe (et plus encore) en matière de services au niveau de la ville peut ainsi être amélioré par le prisme de la Smart City.

L’enjeu est ainsi plus simplement d’amener des services numériques aux citoyens, aux employés et aux visiteurs au sein des villes. Et le point névralgique consiste à apporter de la connectivité pour répondre à ces besoins naissants.

Apposer une dose plus ou moins importante de smart aux villes ne signifie tout d’abord pas que les villes ne possèdent actuellement pas « d’intelligence ». Celle-ci existe déjà si l’on se réfère à la présence des réseaux cellulaires, à celle du Wi-Fi public desservi dans certains espaces (tels que hôpitaux, aéroports…), à la numérisation croissante des données au sein des mairies, à l’open data provenant des Etats et des villes, etc.

Mais, tous ces services et ces données sont souvent éloignés les uns des autres. Il s’agit de mieux les imbriquer afin de mieux les exploiter et de faire germer de nouveaux services. La Smart City est donc avant tout une cité connectée, voire ultra-connectée, où les lignes de démarcation (entre réseaux, données…) s’estompent pour favoriser les interactions dans un ensemble qui devient dès lors plus harmonisé.

2) Quel(s) moteur(s) pour la Smart City

IoT

Le premier des services clefs qui pourrait venir à l’esprit est évidemment l’IoT (Internet of Things ou Internet des objets). Quand on intègre un capteur de luminosité à un lampadaire, la prochaine étape est de connecter l’éclairage public en réseau pour mieux le maîtriser, réduire les coûts d’éclairage et faciliter la manutention.

Certes la connectivité permet de centraliser les données et d’accéder au réseau n’importe où dans le périmètre de la ville. Mais, c’est bien l’IoT (pour Internet of Things ou internet des objets en français) qui semble central dans de nombreux projets de villes intelligentes. Tant et si bien qu’on peut légitimement se demander si la Smart City n’est finalement pas une simple conséquence de l’avènement de l’IoT ?

Gartner prédit qu’il y aura 20,8 milliards d’objets connectés à l’horizon 2020, contre 6,4 milliards en 2016. Une portion non congrue de ces objets viendra animer les Smart Cities. Ainsi, 1,6 milliard d’objets connectés alimenteront les villes intelligentes d’ici la fin de l’année et plus de 3 milliards d’ici 2018

Malgré tout, selon Aaron Partouche, « l’IoT ne met pas aujourd’hui une pression assez importante pour conclure qu’il faut absolument créer des applications relevant de la Smart City ». En d’autres termes, si la Smart City ne peut faire l’économie de l’IoT, son avènement ne découle pas de l’essor de l’Internet des objets.

La manne financière

« Ce qui est important, c’est de savoir quels sont les acteurs impliqués et quels sont les projets dans les villes qui font qu’elles deviennent de plus en plus intelligente », dit Aaron Partouche. La notion de maître d’œuvre est donc centrale lorsqu’on parle de Smart City.

Mais encore faut-il que des occasions se présentent pour lancer les projets.

A cet égard, la compétition entre grandes métropoles peut servir de moteur. « Ce sont souvent les grands événements, comme les JO de Londres ou l’Euro 2016 en France (et notamment à Paris), qui poussent les villes à développer des pilotes et des projets tests puis à concrétiser certains de ces projets. »

Si l’une des problématiques majeures est donc le financement de ces projets (au point d’utiliser ces grands événements comme opportunité), la manne financière qui devrait découler de ces nouveaux services pousse différents acteurs à investir. C’est le cas de certaines grandes villes, d’opérateurs mobiles ou fixes et d’autres groupes identifiant la Smart City comme un levier de croissance. Il faut garder également à l’esprit que l’investissement dans une large palette de technologies est nécessaire, dont les accès au réseau fixe et wireless, les  communications M2M, les technologies IoT et les outils Big Data.

Des acteurs complémentaires

Parmi ces acteurs, on peut penser à JCDecaux qui a investi les Champs Elysée pour l’ouverture de l’Euro 2016. Grâce au mobilier urbain déjà en place, JCDecaux a en effet apporté le Wi-Fi gratuit, haut débit et illimité sur la plus belle avenue du monde. Cela s’est fait en partenariat avec Colt, l’opérateur Hub One et le Comité Champs-Elysées (association de promotion de la célèbre avenue parisienne). Un service pratique pour les 30 millions de touristes qui foulent les Champs Elysées chaque année, mais également une prouesse technologique puisque les dizaines de points d’accès disséminés sur les 1,5 kilomètre des Champs Elysées permettent de connecter simultanément jusqu’à 5000 personnes. On parle ici d’un débit supérieur à 30 Mbit/s en moyenne et pouvant atteindre 200 Mbit/s.

Aaron Partouche table également sur « l’émergence d’acteurs neutres qui vont se positionner en intégrateur en vue de proposer des projets en tant qu’hôte neutre. Donc, des acteurs qui se reposent sur l’infrastructure, sont agnostiques d’un point de vue technologique et s’appuient sur tous les réseaux, toutes les technologies. »

3) Les technologies pour asseoir la Smart City

4G LTE et LTE-M

Standard cellulaire actuellement synonyme de haut débit, la 4G LTE est incontournable dans l’essor de la Smart City. Elle permet aux citoyens d’accéder aux hauts débits via des points d’accès distribués dans toute la ville.

Mais, elle est aussi porteuse d’une évolution vers l’IoT grâce au LTE-M, technologie sur laquelle Orange s’est engagé, à l’instar d’autres opérateurs mobiles dans le monde, tels que Verizon, AT&T, NTT Docomo….Son avantage réside dans la facilité de mise en place via les points d’accès 4G LTE puisqu’une simple mise à jour logicielle est nécessaire. Même si le terme « LTE » lui est adossé, on est ici en présence d’une technologie bidirectionnelle bas débit (jusqu’à 1 Mb/s), toutefois supérieur à ceux de LoRa et Sigfox. Faible latence, capacité à communiquer avec des objets en mouvement et autonomie allant jusqu’à 10 ans sont les autres atouts, sur le papier, de cette technologie.

5G

C’est le réseau cellulaire très haut débit de demain et plus exactement de 2020, année prévue pour le lancement commercial de cette technologie cellulaire de 5ème génération.

Elle exploite des ondes millimétriques et centimétriques (soit des longueurs d’ondes se mesurant en mm ou cm), ce qui correspond à des fréquences plus élevées que les porteuses utilisées dans le cadre de la 4G LTE.

Si elle sera vectrice de débit dépassant le Gb/s (avec des expérimentations allant même au-delà des 15 Gb/s), son autre visage est d’embrasser la connectivité de manière très large. Au-delà des utilisateurs, la 5G va en effet s’ouvrir à tous les objets, des capteurs aux infrastructures urbaines, en passant par les véhicules.

Le modèle actuel des antennes relais espacées devra toutefois être chamboulé pour permettre à des fréquences si élevées (donc, à portée plus limitée que les porteuses des 3G et 4G LTE) d’être exploitées avec un minimum d’atténuation des signaux transmis. Il va en effet être nécessaire de les multiplier afin de les disposer tous les 100 ou 200 mètres. Le mobilier urbain sera notamment mis à contribution. Même si des voix s’élèvent pour dire que cela risque d’augmenter l’exposition aux champs électromagnétiques. Elus et associations veillent au grain et il faudra composer avec eux lors du déploiement prochain de la 5G dans les villes.

Bluetooth

On l’oublierait presque, mais le maillage IoT ne saurait faire l’impasse sur le Bluetooth 5 (avec abandon du «. » et du numéro de version choisi « pour une simplification des efforts marketing »). Supporté par le Samsung Galaxy S8, le Bluetooth 5 a été officialisé en décembre 2016 par l’organisation Bluetooth SIG.

Déclinaison pour l’IoT du standard sans fil depuis la version 4.0, le Bluetooth Low Energy (BLE ou Bluetooth Smart) voit son débit passer à 2 Mbit/s et sa portée à plus de 400 mètres, à puissance émise maximum. Le BLE fait d’autant plus facilement la jonction avec l’Internet des objets que le Bluetooth SIG a également développé le Bluetooth Mesh, le standard qui normalise le réseau maillé pour le BLE. Différents équipements et périphériques vont ainsi pouvoir s’interconnecter dans cette architecture maillée.

Wi-Fi

Synonyme de très haut débit depuis l’essor du Wi-Fi 802.11ac (fonctionnant exclusivement sur la bande des 5 GHz, contrairement au Wi-Fi 802.n qui exploite le 2,4 GHz et, de manière optionnelle, le 5 GHz), le Wi-Fi n’est plus cantonné à l’intérieur des maisons (associés aux bornes des FAI).

Des Neutral Host le déploient dans les villes. C’est le cas pour Hub One, qui, en association, avec Colt et JCDecaux couvre sur les Champs-Elysées.

900 MHz

Adossé au très bas débit, avec des acteurs tels que Sigfox et des technologies telles que LoRa (technologie de modulation correspondant au protocole LoRaWAN), le « 900 MHz » permet de communiquer sur de grandes distances. Des ‘bursts’ (ou rafales) de données sont émis à intervalles de temps espacés, le tout avec une consommation énergétique très faible, synonyme de très grande autonomie pour les appareils qui exploitant ces technologies.

Le LoRa est déployé par des opérateurs tels qu’Orange et Objenious (Bouygues Telecom) en France et supporté par la LoRa Alliance, garante de l’interopérabilité et de la standardisation de cette technologie. Sigfox (du nom de l’opérateur télécom situé en banlieue toulousaine) est la technologie directement concurrente de LoRa. Son credo est aussi l’IoT et le M2M, avec une exploitation de la bande de fréquences ISM des 868 MHz au niveau européen.

Autre acteur à suivre dans le domaine du LPWAN (Low Power Wide Area Network) : Actility, qui vient de lever 75 millions de dollars, en échange d’actions de Series D.

NB-IoT (pour NarrowBand IoT)

Avec le LTE-M, le NB-IoT est l’autre standard poussé par le 3GPP (3rd Generation Partnership Project). Il a déjà les faveurs de Qualcomm qui a développé une puce assurant l’interopérabilité entre NB-IoT, LTE-M et GPRS.

A l’image du LTE-M, ce standard colle aux besoins du marché de l’IoT, avec une faible consommation électrique, une faible latence, le support de multiples dispositifs à très faible débit… tout comme d’autres initiatives de type LPWA (Low Power Wide Area Network), toutefois privées, telles que LoRa et Sigfox.

Cartes SIM virtuelles (e-SIM)

Publiées par le GSMA en février 2016,  les spécifications eSIM (« embedded SIM » pour « SIM embarquée ») définissent le standard qui permet d’activer à distance une SIM intégrée dans un appareil électronique. Si elle semble orientée vers les wearables, cette technologie pourrait jouer un rôle substantiel dans l’essor de l’IoT.

Dans ce schéma, exit la carte SIM sous sa forme actuelle ; un composant intégré dans l’appareil endosse son rôle. Il est de surcroît programmable et peut-être activé à distance. De plus, nul besoin de changer de carte SIM pour passer à un autre opérateur mobile : une simple reprogrammation de l’eSIM suffit. Autre avantage et non des moindres, l’eSIM permet aux utilisateurs de connecter plusieurs appareils aux réseaux cellulaires à l’aide d’un seul abonnement.

Alimentation électrique

La question des applications pour la Smart City renvoie assez rapidement à celle de l’alimentation électrique des objets intelligents qui vont être déployés sur un territoire. Pour Aaron Partouche, « une partie de l’intelligence commence à être déportée sur les datacenters, sur les Cloud, ce qui va permettre d’avoir un peu moins de consommation sur le point d’accès, là où c’est compliqué d’amener de l’électricité. »

Le Power over Ethernet (PoE) ou « Alimentation électrique par câble Ethernet » (avec 13 watts, pour jusqu’à 48 volts de tension électrique) contribue également à alimenter certains équipements, tels que des caméras de surveillance qui nécessitent à la fois une connexion réseau et une alimentation électrique. La technologie de connectivité HDBaseT, largement entrevue avec l’essor de l’infotainment dans les véhicules, peut aussi venir compléter le PoE. Le HDTBaseT, qui exploite le connecteur 8P8C utilisé pour l’Ethernet, se présente comme un standard permettant de véhiculer l’information et la puissance électrique, respectivement jusqu’à 100 Mbit/s et jusqu’à 100 watts. La distance de câblage peut atteindre les 100 mètres.

Ces tendances vont aider à simplifier les déploiements d’infrastructure des villes intelligentes, avec des coûts réduits, une maintenance contenue et moins de complexité pour les évolutions.

Haut débit

Le réseau doit faire preuve d’évolutivité pour s’adapter à l’énorme croissance prévue du trafic de données. Selon Cisco, le trafic sur les réseaux métropolitains augmente plus de deux fois plus vite que le trafic de données sur les réseaux à longue distance et représentera 66% du trafic IP total d’ici 2019.

Même dans le cas de réseaux IoT avec du très bas débit, la multiplication des objets nécessite du haut débit, voire du très haut débit, pour l’agrégation de toutes ces données, comme le confirme Aaron Partouche : « pas besoin de très haut débit sur tous les points d’accès. C’est plutôt le point central qui a besoin d’avoir un débit plus conséquent pour pouvoir agréger tous ces bursts de données. »

Au-delà des différentes normes répondant à différents cas d’applications, l’intelligence va se trouver dans la manière d’intégrer toutes ces technologies disparates. Pour Aaron Partouche, « le besoin d’une intelligence entre les différentes technologies qui sont aujourd’hui déployées se fait déjà sentir. Il faut pouvoir intelligemment passer d’une couche très basse fréquence à une couche 4G, puis à une couche Wi-Fi. » Ce qui va être possible grâce à la virtualisation des réseaux radio qui commence à s’opérer. « On commence donc à voir une partie de l’intelligence des points d’accès radio se déplacer vers les datacenters. »

4) Un réseau intelligent avant tout

Le SDN va simplifier le déploiement réseau de la Smart City. Il apportera une facilité d’adaptation de la ville intelligente aux futures évolutions. En ce sens, on peut dire que la « Smart City » est avant tout un « Smart Network ». Ce dernier apporte des éléments essentiels qui devraient permettre à la Smart City de dépasser le cadre des tests et des projets contenus et limités.

Dans la mesure où les différents services ont leurs besoins spécifiques en termes de bande passante, de disponibilité, de latence et d’autres paramètres comme la QoS, le SDN s’impose comme couche de virtualisation apportant souplesse et flexibilité. L’aspect programmabilité en simplifie également l’usage. En effet, cela facilite la tâche des administrateurs réseau et permet d’intégrer de nouvelles applications très facilement et rapidement au fur et à mesure de leur apparition. A titre d’exemple, l’initiative Bristol is Open, initiative de la cité du sud-ouest de l’Angleterre, utilise un tel réseau défini par logiciel (SDN) pour gérer les communications M2M. Une nouvelle approche intégrée dans laquelle la Smart City se présente comme un réseau de réseaux, ou plus exactement de sous-réseaux.

Conclusion

Difficile à définir, la Smart City pourrait en revanche être relativement aisée à déployer grâce au SDN. Si Aaron Partouche estime qu’il est encore prématuré d’affirmer qu’elle sera l’ambassadeur du SDN, la Smart City va exploiter toutes les technologies modernes et les chapeauter grâce à des notions d’interopérabilité et d’intégration des différentes couches, notamment radios.

Pour l’heure, la Smart City reste certes cantonnée à des tests et à des projets limités, mais elle pourrait prendre son envol « grâce à des cas d’application tellement importants que ces projets vont fleurir et devenir incontournables pour les grandes métropoles ».