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Informatique Quantique : France – Allemagne, compétition ou collaboration ?

L e 21   janvier 2021   : le gouvernement français présente son plan quantique. En raison de la pandémie, l’annonce intervient bien plus tard que prévu. Notamment vis-à-vis du voisin allemand qui a formalisé sa stratégie nationale en septembre 2018.

Une stratégie fraîchement additionnée d’une feuille de route issue des travaux de l’industrie et de la sphère académique. Les deux mondes se félicitent d’avoir collaboré pour l’occasion, tout en admettant manquer un besoin de renforcer leurs liens. Le constat n’est pas différent en France ; tout comme la solution envisagée.

Dans l’Hexagone, Paris et Grenoble sont les figures de proue retenues pour constituer des centres d’excellence, avec le trio CEA-CNRS-Inria à la manœuvre.

Outre-Rhin, on s’appuie sur quatre piliers : la Fraunhofer-Gesellschaft, la Helmholtz-Gemeinschaft, la Leibniz-Gemeinschaft et la Société Max-Planck pour le développement des sciences.
Une organisation mère (Deutscher Quantum Gemeinschaft) doit coordonner l’écosystème. Sous son égide se constitueront des hubs qui feront office d’incubateurs. Chacun devra mettre au moins une plate-forme technologique à disposition des autres. Les pièces s’assembleront par l’intermédiaire de  » réseaux de compétences  » qui identifieront des cas d’usage et superviseront des projets pilotes.

Un fonctionnement qui rappelle celui des  » data spaces  » de GAIA-X. L’Allemagne reconnaît qu’un tel dispositif suppose de standardiser le transfert de propriété intellectuelle. Dans le domaine de l’informatique quantique, le pays n’est pas en avance. Tout du moins, au nombre de brevets détenus : environ 400, contre 2 000 pour les États-Unis et 5 000 pour la Chine. Pour autant, son portefeuille représente près de la moitié du contingent européen, hors Royaume-Uni.

Ces chiffres sont-ils compatibles avec des exigences de souveraineté ? L’Allemagne concède ne pas pouvoir, en l’état, s’appuyer intégralement sur des offres européennes, encore moins nationales. À défaut, on se dirige, sur place, vers une nomenclature d’achat. Les composants y seraient classés selon trois niveaux de criticité qui autorisent ou non les achats à l’étranger.

EuroHPC comme visée commune

De son côté, la France a défini quelques briques technologiques  » habilitantes  » sur lesquelles elle vise une indépendance. L’objectif affiché est double : être  » la première nation  » à disposer d’une filière complète productrice de silicium-28 industriel et  » s’affirmer comme leader mondial en matière de cryogénie ou de lasers ». En toile de fond, l’ambition est d’aboutir à un marché avec des débouchés à l’export d’ici à cinq ans. Le défi sera de savoir hybrider les plates-formes compatibles avec une industrialisation.

L’Allemagne a la même approche. S’il est difficile de prévoir les technologies qui s’imposeront, sa vision du marché est plus claire à court terme : les offres de ses PME devront viser la recherche publique. Les investissements pour équiper les laboratoires se chiffrent actuellement entre 100 et 150 millions d’euros par an.

Dans le privé, Berlin lorgne essentiellement le secteur de la (cyber) sécurité. En vitrine, les travaux que mène l’institut CODE – rattaché à l’université de Munich – avec IBM sur le front de la cryptographie. Mais les yeux sont également tournés vers l’espace, et plus précisément les systèmes de navigation par satellite. La France aussi regarde dans cette direction pour développer un marché civil, source de viabilité économique. Il implique, à l’horizon 2022, le lancement de « défis » (programmes public-privé) axés sur les capteurs quantiques.

D’autres programmes du genre sont à prévoir. En particulier sur les NISQ (simulateurs quantiques). Ils pourraient, nous explique-t-on, « donner lieu à un élargissement de la dynamique collaborative avec l’Allemagne ». L’entreprise commune EuroHPC est l’un des moteurs de cette collaboration. Bruxelles et 32 États la financent. Mise en place voilà trois ans, elle doit développer, à l’échelle du continent, une infrastructure de supercalculateurs.

Sous sa houlette a émergé un consortium chargé de réaliser, pour 2023, un prototype d’ordinateur quantique généraliste d’au moins 100 qubits. Un axe franco-allemand s’est établi dans ce cadre. D’un côté, la société civile Genci (Grand équipement national de calcul intensif), dont l’État français, le CEA, le CNRS, Inria et les universités sont actionnaires.

De l’autre, le Centre de recherche de Juliers (Rhénanie-du-Nord-Westphalie), dépendant de la Helmholtz-Gemeinschaft.

Des projets convergents

Autre terrain de collaboration : les « FET Flagships » (Initiatives-phares de technologies futures et émergentes) de l’Union européenne. La démarche est dotée d’un milliard d’euros sur dix ans. Les deux premiers projets sélectionnés – en 2013 – portent sur le graphène et la simulation du cerveau humain. Le flagship quantique est quant à lui en place depuis 2018.

L’Allemagne est à la tête du comité stratégique, où Daniel Estève (CEA) et Élisabeth Giacobino (CNRS) représentent la France. L’Espagne, l’Irlande, l’Italie et les Pays-Bas se sont associés à la démarche, qui fédère aujourd’hui une vingtaine de projets.

France et Allemagne se retrouvent aussi au sein de QuantERA. Ce programme est doté d’un budget initial moindre (34 millions d’euros), mais se déploie sur un périmètre plus large jusqu’à Israël. On le doit à ERA-NET (European Research Area Network), réseau d’organisations de financement de la recherche. Il est censé durer jusqu’à l’automne 2022.
Un appel à projets se prépare dans le domaine de la communication quantique. L’ANR (Agence nationale de la recherche) est chargé de le piloter.

Sur le volet communication quantique, les liens existent de longue date entre l’Agence nationale allemande de métrologie (Physikalisch-Technische Bundesanstalt) et le LNE-SYRTE (Laboratoire national de métrologie et d’essais – Systèmes de référence temps-espace). L’une de ses manifestations est un test d’interférométrie (comparaison d’horloges optiques au strontium) entre Paris et Brunswick (Basse-Saxe), avec une station-relais basée à Strasbourg.

La coopération franco-allemande a un autre point d’ancrage dans la région Grand Est : le campus européen Eucor. Les universités de Strasbourg (Unistra) et de Haute-Alsace y côtoient celles de Bâle et de Fribourg-en-Brisgau (Bade-Wurtemberg), ainsi que le KIT (Institut de technologie de Karlsruhe, du même land).

Les sciences et les technologies quantiques sont l’un de ses quatre domaines prioritaires, aux côtés du développement durable, des identités européennes et de la médecine personnalisée. On y retrouve IBM, sur un programme doctoral que pilote un enseignant-chercheur de l’Unistra. L’apprentissage automatique quantique fait l’objet d’un projet en amorçage. Le KIT a aussi des atomes crochus avec le CNRS. Enclenchée en 2017 avec des ateliers communs, leur alliance avait donné naissance, l’année suivante, au laboratoire GREKIT.

Des milliards pour le quantique

Pour donner corps à sa stratégie nationale, l’Allemagne a d’abord débloqué 650 millions d’euros à valoir sur la législature en cours (les prochaines élections fédérales ont lieu en septembre 2021). Le montant tient compte d’investissements déjà effectifs dans l’écosystème, à hauteur de 100 millions d’euros par an, par exemple, par le biais du programme spatial. Avec la crise s’y sont ajoutés, à la faveur des mesures de relance, deux milliards d’euros. Sans beaucoup plus de précisions.

La France entre davantage dans les détails des financements envisagés. Elle les présente par axe technologique, modalité de soutien et origine. L’enveloppe globale d’ici à 2025 se monte à 1,8 milliard d’euros. Dont 1,05 milliard d’argent public, 550 millions du privé et 200 millions en crédits européens. Le déploiement industriel et l’innovation auront droit à 350 millions ; l’entrepreneuriat, à 120 millions ; la recherche, à 150 millions avec, comme principal véhicule, un PEPR orienté sur les qubits robustes, les atomes froids et les algorithmes.

La formation aussi bénéficie de financements. La France compte mettre en place des programmes interdisciplinaires dans les écoles d’ingénieurs et les masters, en intégrant des modules au niveau DUT. Autant de bases qui doivent contribuer à créer 16 000 emplois directs en 2030.

L’Allemagne fait part d’une visée plus générale à travers la constitution d’un catalogue de bonnes pratiques pour « inclure le quantique dans d’autres enseignements que la physique ».
Elle mentionne aussi l’apport des programmes de mobilité internationale, et, plus généralement, de l’immigration

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