Inria : 50 ans et… 48 subventions européennes

L’institut de recherche fête ses 50 ans en mettant en avant son ratio de succès dans l’obtention des subventions européennes. Une manne substantielle qui permet aux chercheurs de travailler avec une certaine sérénité.

A deux unités près, l’Inria, l’institut national de recherche dédié au numérique, est passé à côté de la force du symbole. Qu’importe. Pour ses 50 ans, que l’établissement public fêtait hier dans ses locaux du 12ème arrondissement de Paris, l’Inria avait réuni quelques-uns de ses 48 lauréats des subventions ERC, accordées après examen par le Conseil européen de la recherche. Des versements substantiels (jusqu’à 1,5 million sur 5 ans pour le niveau d’entrée, jusqu’à 2,5 millions pour les chercheurs les plus séniors) qui permettent aux chercheurs de constituer leur équipe et de se lancer dans des recherches à moyen terme, sans faire en permanence la course aux subventions. « Ce sont des compétitions extrêmement difficiles », note Antoine Petit, le Pdg de l’Inria.

Certes, la France n’est pas la championne d’Europe de l’obtention de ces subventions (elle est devancée par l’Allemagne et la Grande-Bretagne), certes encore, l’Inria n’est pas l’institut hexagonal raflant le plus de fonds (le CNRS fait mieux), mais « ce qui est important, c’est le ratio », martèle Antoine Petit. Selon ce dernier, avec 48 subventions rapportées à un total de 600 chercheurs permanents, l’Inria affiche en la matière un très enviable 8 %. Plus de 22 % des chercheurs Inria qui candidatent pour le niveau d’entrée de l’ERC (Starting grant, réservé aux jeunes chercheurs) obtiennent les fonds, deux fois plus que la moyenne européenne. Le directeur de l’institut note aussi que 22 ERC supplémentaires sont intégrés aux équipes projets de l’Inria, même s’ils ne dépendent pas directement de l’institut.

« C’est un luxe »

Comme l’expliquent les chercheurs bénéficiant des fonds de l’European Research Council, la subvention permet surtout de travailler avec une certaine sérénité. « Elle donne une vraie liberté pour mener ses recherches et des moyens pour embaucher une équipe », dit par exemple Steve Kremer, directeur de recherche (à droite sur la photo ci-dessus) et à la tête de l’équipe Presto, spécialisée dans la sécurisation des algorithmes de chiffrement via les méthodes formelles. « La recherche de contrats demande beaucoup de temps. Avec l’ERC, tous les membres de l’équipe peuvent réfléchir à long terme : c’est un luxe, abonde Wendy Mackay, qui dirige l’équipe Insitu (qui vise à repenser les fondamentaux des interactions homme-machine). En réalité, j’avais déjà les idées qui structurent le projet il y a 15 ou 20 ans, mais la subvention me permet de réunir l’équipe interdisciplinaire dont j’avais besoin pour  les concrétiser. »

L’ERC permet aussi de lancer des champs d’expérimentation totalement nouveaux. C’est par exemple le cas de Stanley Durrleman (projet Aramis), qui entend comprendre le fonctionnement et l’évolution des maladies neurodégénératives à partir des données patient disponibles. Rappelons que, sur ces pathologies, la médecine fait du surplace depuis 20 ans. Le constat vaut aussi pour Marie Doumic Jauffret, qui, dans un domaine voisin, tente de modéliser les maladies amyloïdes (maladies à prion, Alzheimer) afin d’imaginer de nouveaux traitements.

Du projet de recherche à l’entreprise

Notons que l’obtention de l’ERC peut aussi financer une phase de pré-industrialisation, via un financement appelé Proof of concept (150 000 euros sur 18 mois au maximum). Une modalité dont bénéficie Stéphane Redon, avec le projet Samson (un environnement ouvert de modélisation du nano-monde). « Le POC permet de tester le potentiel commercial de la solution », explique le chercheur, qui ne cache pas sa volonté de créer une entreprise à l’issue de cette phase de prototypage. Un pas franchi par Anne-Marie Kermarrec, ex-directrice de recherche à l’Inria et à la tête de Mediego depuis 2015, un éditeur de solution de marketing prédictif né d’un projet de recherche (Gossple) financé par une subvention ERC obtenue dès 2008, et poursuivi via un POC en 2012.

Antoine Petit, PDG d'Inria - © Inria / Photo C. Helsly
Antoine Petit, PDG d’Inria – © Inria / Photo C. Helsly

Au total, l’ERC a financé 7 POC proposés par des chercheurs de l’Inria. « Les industriels devraient un peu plus s’intéresser aux ERC, des projets choisis parce qu’ils marquent une rupture par rapport aux tendances dominantes de la recherche », regrette Antoine Petit, qui voudrait bien voir les entreprises mieux assurer la transition des projets vers l’industrialisation. D’autant que, malgré la progression de ses budgets sur 10 ans (de 300 millions à 1,8 milliard entre 2007 et 2017), l’avenir de l’ERC est aujourd’hui un peu flou. « Le Brexit provoque pas mal de perturbations, reconnaît Margaret Buckingham, une biologiste de renom qui représentait l’European Research Council aux 50 ans de l’Inria. Négocier les budgets scientifiques n’est pas la priorité du moment au sein de la Commission européenne. » Conséquence selon Antoine Petit : des taux d’acceptation des projets par l’ERC qui ont tendance à plonger. Et le directeur de l’Inria de prévenir qu’un phénomène de ce type pourrait décourager les chercheurs : « on sait très bien qu’en la matière, il y a des effets de seuil ».

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