La loi américaine sur les brevets menace l’avenir d’Internet

Après s’être attaquée aux sociétés pornographiques, Acacia Research rappelle ses brevets et menace sociétés et universités américaines, et même AOL, pour l’utilisation de l’audio et de la vidéo par Internet

L’industrie des médias n’est plus à l’abri des petites sociétés qui déposent des brevets anodins et viennent ensuite réclamer des droits de propriétés sur des applications que l’on croyait génériques, comme des ‘pop-ups’, l’usage d’une mollette, d’un email, ou aujourd’hui le ‘streaming’ audio et vidéo.

C’est un des effets pervers de la loi américaine sur les brevets de routines informatiques ou logiciels, que certains tentent d’imposer au droit européen. Les éditeurs et fournisseurs de services, comme Microsoft, eBay ou AOL, mais aussi les sites d’information, de formation, de loisirs, et jusqu’aux communautés, sont menacés. L’exemple d’Acacia Research Corp. est significatif de la dérive où peuvent mener les excès du libéralisme. En possession de brevets sur le transfert de vidéo et d’audio par Internet, la très petite société menace aujourd’hui les sites qui pratiquent du ‘streaming’ audio-vidéo. Autant dire qu’elle menace tous les acteurs d’Internet! Des sites pornos aux universités La dite société a commencé par viser une douzaine de sociétés spécialisées dans les loisirs pour adultes, donc des centaines de sites pornographiques: elle leur réclame le reversement de 4% des revenus issus du ‘streaming’ vidéo. Et aujourd’hui Acacia Research s’attaque à d’autres morceaux plus stratégiques. Dans le collimateur de la société, figurent les universités américaines qui pratiquent de la formation en ligne et la publication de cours enregistrés en vidéo. Mais aussi les fournisseurs de films à la demande par câble et satellite, ainsi que les leaders du monde de la diffusion audio et vidéo en ligne, comme RealNetworks ou America OnLine. Principale cible d’Acacia, le monde universitaire américain monte au créneau et dénonce les dérives du système. John H. Payne, directeur des technologies d’éducation à l’université de Virginie s’emporte : « C’est comme si on appliquait un brevet sur l’air que nous respirons !« . Un propos peut être excessif, mais qui qualifie pleinement les craintes des professionnels de l’Internet. Ces brevets « n’ont d’autre limite que le ciel, mais on ne sait pas où ils vont retomber ? » Le laxisme du Bureau des brevets Principale cause de la dérive, l’US Patent and Trademark Office, le bureau américain des brevets et marques déposées, qui aurait approuvé trop de brevets douteux et au spectre beaucoup trop large, particulièrement dans les logiciels et l’Internet. Comme l’affirme le président d’Intel, Andrew S. Grove, l’Amérique « a besoin de revoir non seulement son système de brevets, mais l’intégralité de son système de propriété intellectuelle. [?] Nous devons l’adapter à un âge nouveau, celui de la société de l’information comparée à l’ère industrielle« . Il serait temps de réagir. Le nombre des brevets a doublé depuis 1990, à la mesure de l’explosion high-tech, et 450.000 demandes traînent encore dans les cartons du bureau, dont 15% concernent spécifiquement les logiciels et Internet. Microsoft, eBay, BlackBerry, personne n’est à l’abri Depuis quelques mois, les procédures se multiplient, qui portent sur des domaines qui semblaient acquis au domaine public. Microsoft sur son navigateur, eBay sur son système de boutiques en ligne, BlackBerry sur ses emails ! Jusqu’à la Federal Trade Commission (FTC) qui s’inquiète du phénomène, en particulier sur le risque d’étouffer l’innovation dans les technologies high-tech. La National Academy of Sciences a, elle aussi, interpellé l’administration Bush, mais qui reste sourde, les libéralités de la loi profitent sans doute à certains amis proches…! Le paradoxe des brevets Ce principe des brevets a été institué aux Etats-Unis en 1790. Mais ce système de protection d’une certaine forme de la propriété intellectuelle, par sa complexité, sa lourdeur et son coût, a toujours privilégié l’industrie. Entre 1993 et 2002, IBM a déposé 22.357 brevets qui lui ont rapporté 10 milliards de dollars de revenus en licences. Mais la multiplication des projets a dilué le coût des brevets, qui sont devenus accessibles aux petites structures, ce qui a entraîné leur multiplication non contrôlée. Le bureau des brevets, qui ne s’est pas doté de règles d’éthique ni de contrôle, en serait donc le principal responsable. D’ailleurs son directeur, James E. Rogan, vient de démissionner. « Pour convenance personnelle » selon la version officielle, sous la pression des critiques selon la version officieuse. Il faut dire aussi qu’il n’a pas su tirer la sonnette d’alarme à temps. Son service aux effectifs notoirement insuffisants aurait dû embaucher entre 650 et 750 nouveaux examinateurs par an, depuis et durant plusieurs années encore. Voilà comment, en quelques années, l’Amérique a transformé ce qui devait être un moyen simple et efficace de protéger les intérêts des entreprises en un imbroglio juridique, où les industriels évitent désormais à s’engager, et qui menace l’intégrité et le devenir des médias informatiques et Internet, alors que pour ce dernier une grande majorité des développements se sont voulu dès le départ librement ouverts au public. Et dire que certains industriels et politiques souhaitent imposer à l’Europe un système aussi libéral?