La loi DADVSI est finalement adoptée. Vaines objections…

Le vote solennel de la loi sur les droits d’auteur et droits voisins sur Internet a eu lieu ce mardi 21 mars. Retour sur le texte

Sur un fond de rivalité politique gauche/droite, consommateurs/industrie, le projet de loi DADVSI aura provoqué de nombreux débats.

Il a finalement été adopté ce mardi. 501 députés ont participé au vote. Sur 479 suffrages exprimés, 296 ont voté pour, 193 contre. Seul le groupe UMP a voté pour. Sept de ses membres ont toutefois voté contre, dont Christine Boutin, et 14 se sont abstenus. La gauche a sans surprise fait bloc contre le texte. La grande majorité des députés UDF a aussi voté contre (24 sur 28 votants), le reste s’abstenant. Le texte sera soumis au Sénat en mai prochain et devra être validé par le Conseil constitionnel. Après un vote coup de théâtre rejetant la première mouture du texte le jeudi 22 décembre, le gouvernement avait dû revoir sa copie. L’examen du texte s’est déroulé dans une ambiance extrêmement tendue au début du mois de mars. Voici une synthèse sur un texte qui changera nos habitudes. Pourquoi la loi DADVSI ? La loi DADVSI (Droits d’auteur et droits voisins sur Internet) est un projet de loi qui résulte de l’obligation de transposition en droit français de la directive européenne EUCD datant de 2001. La France est l’un des derniers pays de l’UE à transposer ce texte, et l’Europe s’impatiente. D’où la procédure d’urgence (une seule lecture par chambre) choisie par le gouvernement pour faire adopter le texte au plus vite. La philosophie de la loi DADVSI Cette loi s’inscrit dans la tendance visant à verrouiller fermement la diffusion des oeuvres culturelles sur Internet. Il s’agit d’empêcher sinon de contrôler l’échange et le partage de contenus -même au titre de la copie privée. Elle prévoit également de pénaliser les éditeurs de plates-formes de P2P (en les assimilant à des contrefacteurs) et toute tentative de contourner des protections logicielles (DRM) des supports (CD, DVD…). Les principales mesures de la loi -Adieu la licence globale L’idée maîtresse de cette licence était de demander aux internautes de payer un forfait optionnel pour avoir le droit de télécharger gratuitement des oeuvres. Cette licence serait redistribuée par la suite aux ayants-droit. Finalement, malgré la pression des associations, les députés ont rejeté ce concept de licence globale après l’avoir adoptée une première par surprise en décembre. -Les sanctions contre les téléchargeurs Plus de prison mais des amendes graduées: -le pourvoyeur de moyens de contournement s’expose à 6 mois d’emprisonnement et 30.000 euros d’amende, -le ‘hacker’ qui décrypte individuellement la mesure technique de protection de l’?uvre encourt 3.750 euros d’amende -le détenteur ou l’utilisateur de logiciel mis au point pour le contournement est passible d’une contravention de 750 euros. -enfin, les simples internautes téléchargeurs qui se font repérer (on ne dit pas comment) seront redevables d’une amende de 38 euros pour le téléchargement de fichiers protégés et de 150 euros s’ils mettent à disposition des fichiers protégés. Rappelons que 98% des téléchargements en France se font par le biais des sites de P2P. Reste que l’on ne voit pas vraiment comment le gouvernement va mettre en place la surveillance des réseaux. Va-t-on voir se créer une police du P2P en charge de surveiller ces vastes réseaux d’échanges, de relever les adresses IP et de procéder à l’arrestation des internautes ? Les FAI devront-ils fournir les identités des contrevenants – comme en Chine ? En tous cas, l’idée d’une police du Web n’est pas si farfelue puisque le ministre de la Culture, a déjà évoqué cette possibilité. -Légalisation des DRM les outils de DRM (Digital Rights Management), ces verrous techniques visant à protéger les supports (CD et DVD) de la copie illicite, sont désormais autorisés. Alors que la Justice a plusieurs fois condamné ces DRM assimilés à des « vices cachés », le Parlement a légalisé une fois pour toute ces protections et pénalise leur contournement. Et pour rassurer les associations de consommateurs qui condamnent ces protections, qui empêchent, par exemple, de lire un CD sur certains appareils, les députés ont adopté un amendement. Cet article prévoit que les DRM « ne peuvent faire obstacle au libre usage de l’oeuvre dans la limite des droits prévus par le code de la propriété intellectuelle et ceux accordés par les détenteurs des droits ». Une clarté limpide… D’autant plus que les DRM posent des problèmes de sécurité. Souvenez-vous de l’affaire du ‘rootkit‘ de Sony. Les députés ont donc également adopté un amendement (UMP) « pour éviter que la gestion des droits d’auteur ne compromette de facto la sécurité des utilisateurs individuels, des entreprises et des administrations ». Il prévoit que les verrous « permettant le contrôle à distance direct ou indirect d’une ou plusieurs fonctionnalités, ou l’accès à des données personnelles, sont soumis à une déclaration préalable ». Une protection a minima: « Ce devrait être une interdiction, non une déclaration », a soutenu le président de l’UDF, François Bayrou en dénonçant une « usine à gaz ». -La copie privée préservée a minima Même avec ces amendements, la légalisation des DRM pose problème. Notamment pour l’exercice du droit à la copie privée, un droit payé par tous les consommateurs lorsqu’ils achètent des supports vierges (taxe pour la copie privée). Comment concilier DRM et copie privée ? Les députés ont donc garanti, en votant un amendement du rapporteur Christian Vanneste (UMP) « le bénéfice de l’exception pour copie privée », rédaction qu’ils ont préférée à une formule présentée dans un premier temps par Laurent Wauquiez (UMP) prévoyant de garantir « le bénéfice du droit à la copie privée ». Comment sera appliqué ce « bénéfice de l’exception pour copie privée » ? Mystère. Le gouvernement va mettre en place un collège fixant le nombre de copies autorisées à partir d’un support verrouillé. D’ailleurs, l’opposition s’est émue du retrait d’un amendement adopté en commission prévoyant que le nombre de copies privées « doit être au moins égal à un ». L’amendement de substitution adopté ne prévoit en effet aucun chiffre minimal de copies privées autorisée. Pour Renaud Donnedieu de Vabres « cette disposition met un terme à la rumeur selon laquelle le gouvernement mettait fin au droit à la copie privée ». Mais pour Frédéric Dutoit (PCF),« le droit de copie privée est remis en cause. c’est inacceptable ». Christian Paul (PS) a jugé qu’on allait « plutôt aboutir à une régression: vous tentez d’afficher un droit et au même moment vous l’encadrez et le limitez ». -Mais la copie de DVD est interdite Les députés ont rendu possible une interdiction totale de copier un DVD. Pour justifier sa décision, le rapporteur UMP Christian Vanneste s’est appuyé sur un arrêt de la Cour de cassation restreignant le droit à la copie privée d’oeuvres de cinéma sur DVD, après une plainte déposée par un amateur de cinéma. Ce dernier estimait contraires au droit de copie privée reconnu par le Code de la propriété intellectuelle, les mesures techniques de protection insérées dans un DVD commercialisé par StudioCanal et Universal Vidéo, « Mulholland Drive » de David Lynch, qu’il avait voulu copier pour son usage personnel. Mais la Cour de cassation lui a donné tort. « La jurisprudence a acté le problème du DVD, nous en tirons les conséquences », a déclaré Christian Vanneste. « C’est un texte inféodé à des intérêts financiers, qui bafoue le droit minimal des consommateurs. Aujourd’hui, on peut acquitter une taxe pour copie privée et en même temps ne pas pouvoir exercer ce droit », a dénoncé Didier Mathus (PS). Pour autant, comme la loi inclut un amendement permettant « le bénéfice de l’exception pour copie privée », il faudra bien se mettre d’accord. Et le fameux collège des médiateurs, à qui est confié le soin de fixer les modalités d’exercice de la copie privée, ressort du chapeau sans qu’on sache très bien comment il pourra appliquer une règle… La mise à mort de la copie privée se poursuit donc. La taxe qui la finance, prélevée sur chaque support vierge vendu dans le commerce, est donc de moins en moins légitime… –La pénalisation des éditeurs de logiciels d’échange « (Est) puni de trois ans d’emprisonnement et de 300.000 euros d’amende le fait de mettre sciemment à la disposition du public ou de communiquer au public, sous quelque forme que ce soit, un logiciel manifestement destiné à la mise à disposition du public non autorisée d’oeuvres ou d’objets protégés. » Le texte prévoit également des peines pour les éditeurs qui pourraient « inciter sciemment, y compris à travers une annonce publicitaire, l’usage » de ce type de logiciel. Le législateur a cependant tenu à apporter une précision: « Ces dispositions ne sont pas applicables aux logiciels destinés au travail collaboratif, à la recherche ou à l’échange de fichiers ou d’objets non soumis à la rémunération des droits d’auteur. » La loi vise donc très clairement à condamner les développeurs de solutions d’échange de données en ‘peer-to-peer‘ (P2P). Certes ces dernières sont le principal outil des personnes qui téléchargent illégalement des oeuvres, mais elles sont aussi de plus en plus au coeur des systèmes d’exploitation – Microsoft par exemple a installé sa propre solution dans le futur Windows Vista – et de nombreuses solutions qui adoptent justement un volet collaboratif. Par ailleurs, le gouvernement semble confondre l’outil et l’usage. Interdit-on les voitures parce qu’elles sont sources d’accidents ? « Autant incriminer les fabricants de marteaux parce que ceux-ci peuvent être utilisés pour blesser quelqu’un! », a regretté Patrick Bloche, député PS. Cette mesure, qui s’inspire de la décision de la Cour Suprême des Etats-Unis aura néanmoins des effets limités. Comment surveiller l’activité des plates-formes d’échange ? L’Etat imposera-t-il des filtres ? Dans le même temps, les centaines de milliers de postes où sont déjà installées des versions d’eMule ou d’eDonkey continueront à échanger des fichiers. Légaux ou non… Les députés qui ont adopté l’amendement ont souligné qu’il ne visait que les activités illégales. Mais on sait que cette loi est soumise à interprétation. Le ministre de la Culture Renaud Donnedieu de Vabres aura beau appeler à « ne pas faire naître des peurs là où elles existent pas« , la communauté ‘open source’ peut légitimement être inquiète. Tout n’est pas terminé La loi devra être votée par le Sénat au mois de mai. Si les termes sont différents, le gouvernement s’est engagé à prolonger les commissions paritaires entre les deux chambres autant que nécessaire. Les dernières tentatives de blocage

Ligue ODEBI, EUCD info, l’APRIL et la FSF France ont été parmi les plus actives pour défendre le concept de licence globale, l’interopérabilité et les internautes. Dans un communiqué de ce 20 mars, l’EUCD invite les députés à voter contre le texte: « Ce projet de loi est clairement déséquilibré et par trop répressif. Il menace des droits fondamentaux comme le droit au respect de la vie privée ou le droit au contrôle de ses données personnelles. Il contient nombre de dispositions qui sont inapplicables, sauf à mettre en place un système généralisé d’interception des communications personnelles et un filtrage d’Internet aux frontières. Il favorise des industries qui refusent de s’adapter à la société de l’information et entendent imposer par la force et la menace leur vision d’Internet au public et aux intermédiaires techniques afin de sauvegarder un modèle obsolète. » De son côté, l’APRIL en appelle également aux députés : « À l’occasion de la séance publique du jeudi 16 mars, une seconde délibération sur l’article 7 a permis le vote, par l’ensemble des parlementaires, de nouveaux amendements renforçant la protection juridique de l’interopérabilité et du logiciel libre. Cependant, les députés n’ont pas pu pousser jusqu’au bout leur volonté de protéger le logiciel libre, suite au refus du vice-président de la commission des lois d’accepter la seconde délibération demandée par le PS sur l’amendement 150 (partie pénale de l’amendement Vivendi). Ces amendements détestables rendent en effet les développeurs responsables des usages que feront les utilisateurs des logiciels de communication développés par leurs soins. Condamnerait-on Peugeot ou Renault parce qu’un véhicule de leur fabrication aurait été utilisé pour défoncer une vitrine ? À l’évidence, non. Ce sont les usages, et eux seuls, qui doivent être condamnés. » Enfin, d’un point de vue strictement économique, il faut souligner l’impact de ce texte sur le commerce français. L’introduction de dispositions rejetées notamment par les États-Unis ne va-t-elle pas avoir des conséquences négatives sur l’attractivité et la compétitivité de notre pays. D’ailleurs, Apple s’inquiète déjà des conséquences de ce texte sur sa plate-forme de téléchargement iTunes et des perspectives d’avenir de son iPod sur le sol français.