Les marques sont de plus en danger sur Internet

Les cas de cybersquatting sont en forte hausse. Entretien avec Jérôme Sicard de MarkMonitor, un des spécialistes de la question

Début juin, la société PagesJaunes.com était condamnée par le tribunal de grande instance de Paris pour contrefaçon et concurrence déloyale par imitation de la marque PagesJaunes. Cette filiale de Xantral utilisait la dénomination « pagesjaunes.com » comme nom de domaine de son site ainsi que sur ses documents commerciaux à des fins commerciales et en profitant de la notoriété de la marque « PagesJaunes.fr » propriété de la société PagesJaunes (ex-France Télécom).

Le tribunal a eu la main lourde, la société a été condamnée à 150.000 euros de dommages et intérêts et à l’interdiction d’utiliser la marque PagesJaunes et les noms de domaines « pagesjaunes.com » et « pagesjaunes.net » sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard.

Cette affaire illustre très bien la montée en puissance de la problématique du cybersquatting sur le Net. De plus en plus de marques (grandes ou petites) se font parasiter sur la Toile. Et la pratique est simple : un .com à la place d’un .fr, une lettre en moins ou en plus dans l’adresse…, les astuces sont nombreuses pour détourner le trafic d’un site légitime. Les objectifs sont clairs : générer du trafic et du profit en proposant un service similaire en profitant de la notoriété de la marque parasitée, ou encore générer du trafic et des profits sur des sites illicites.

Selon MarkMoinitor, spécialisé dans la protection des marques d’entreprise et fournisseur de solutions de protection dédiées, ce phénomène nuit à la réputation et au chiffre d’affaires des marques. Surtout, la tendance au cybersquatting est en nette hausse.

Selon son dernier rapport, le détournement des marques a augmenté de 33% en un an avec près d’1,5 million de cas recensés. Et toutes les entreprises sont concernées, notamment celles « utilisées quotidiennement par les consommateurs (automobile, agroalimentaire, produits de consommation courante) ». 382.248 cas de cybersquatting ont été identifiés au cours du quatrième trimestre, suivis par 72. 582 cas de fausses associations et 27.098 cas de fraude par pay-per-click. Quant au phishing, il a explosé de 533% selon le groupe américain…

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« Les brandjackers continuent d’affiner leurs techniques pour récolter de plus gros profits, comme l’indique la montée des menaces visant le secteur des biens de consommation et leurs clients au cours de ce trimestre », souligne Irfan Salim, président et directeur général de MarkMonitor.

Le secteur de l’automobile et de l’agroalimentaire semblent être particulièrement appréciés des brandjackers puisque les abus les concernant ont respectivement bondi de 83% et de 63% en 2007. Les noms des établissements financiers sont aussi massivement détournés, le nombre de cas a progressé de 23% l’an passé.

Comme pour le spam, ce sont les Etats-Unis qui hébergent la majorité des abus de marque (68%), devant l’Allemagne (9%) et le Royaume-Uni (4%). La France occupe la 8e place avec 1% des sites détournés hébergés.

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La lutte paraît bien inégale pour les entreprises face à la dimension infinie du Net (avec plus de 130 millions noms de domaine déposés chaque jour dans le monde). Mais de plus en plus réagissent vu l’impact financier et marketing de ce fléau. « Il y a deux ans, on sollicitait les entreprises pour mettre en évidence ce problème. Aujourd’hui, les conséquences sont telles qu’elles viennent nous voir. La situation est connue, elles cherchent donc des moyens pour lutter et se protéger »,nous explique Jérôme Sicard, responsable Europe du Sud de MarkMonitor. « Il faut bien comprendre qu’à partir du moment où une entreprise un peu connue est sur le Net, la probabilité d’être détourné est énorme ».

Surtout, les cybercriminels se sont professionnalisés et les mafias russes et chinoises semblent s’être spécialisées dans ce domaine. « Ca ne se passe plus dans les garages… Ils savent mettre en place de véritables business-plans, intégrer dupay-per-clicksur ces faux sites, de faux liens commerciaux qui génèrent énormément de profits. Cette redirection de trafic impacte le chiffre d’affaires des entreprises », souligne le responsable.

Et de poursuivre « certaines sociétés ont crée des moteurs pour enregistrer des milliers de noms de domaine qui pointent vers des liens commerciaux. Ils ont cinq jours pour annuler ces dépôts et être remboursés par l’Icann. Mais entre-temps, les profits engrangés sont énormes, ils peuvent atteindre des millions de dollars pour zéro dollar d’investissement ». Cette technique, appelée ‘domain kiting’ a néanmoins tendance a baissé (-14% en 2007 malgré un premier trimestre en forte hausse), notamment grâce à des procès qui ont eu un effet sur les bureaux d’enregistrement de noms de domaine les plus abusifs et les plus permissifs.

La lutte proactive est indispensable pour MarkMonitor. « Nous proposons une série d’outils. Les premiers scannent Internet à la recherche des sites parasites, nous avons développé un algorithme qui permet d’analyser les utilisations des noms de marque sur la Toile. Les seconds permettent de régler les problèmes en automatisant les processus. Enfin, dans les cas les plus graves, nous proposons un accompagnement juridique », explique Jérôme Sicard.

Preuve que le problème préoccupe, 53 des plus grandes entreprises du Fortune100 sont clientes de MarkMonitor. En France, MarkMonitor revendique une trentaine de clients qui tiennent évidemment à conserver l’anonymat.