L’IBM PC devient chinois? et après ?

L’acquisition de la division Personal Systems Group d’IBM (les PC) par le chinois Lenovo va-t-elle sensiblement modifier le marché des PC ? Que peut-on en attendre pour IBM ? Et pour Lenovo ?

Le groupe chinois Lenovo, huitième constructeur mondial d’ordinateurs PC, rachète

Personal Systems Group, la division PC d’IBM, troisième constructeur mondial, pour 1,25 milliard de dollars. Cette information confirme la tendance à la consolidation qui anime ce marché devenu moins stratégique que purement industriel. Le prix très bas de la cession – dont environ la moitié en actions (600 millions de dollars, soit 18,9% du capital de Lenovo) ? pour un chiffre d’affaires de 12 milliards, est la démonstration de la banalisation du produit PC, largement diffusé, et aux marges plus que réduites. Lenovo ambitionnait le monde, c’est fait ! Pour Lenovo, l’acquisition vient renforcer l’outil industriel du groupe, mais est-ce une bonne affaire ? Ces dernières années, IBM s’est focalisé sur ses produits à forte marge, comme les serveurs, au détriment d’un outil industriel vieillissant ! Alors, plus que ce dernier, c’est d’abord la prestigieuse marque qui est valorisée, ainsi que son réseau de distribution. Fabricant chinois, le marché de Lenovo est centré sur l’Asie. Sur son propre marché, la Chine, où le constructeur reste le leader avec 27% de parts de marché, la concurrence commence à se faire rude. Qualifié de premier marché mondial pour la fin de la décennie, la Chine pourra difficilement conserver longtemps son attitude protectionniste et devra s’ouvrir à une concurrence qui s’annonce féroce. La démarche de Lenovo est donc à la fois logique et paradoxale? Au moment où les géants du PC frappent à la porte de la Chine, le constructeur s’ouvre au monde. La synergie industrielle s’accompagne donc d’une stratégie commerciale de la marque, avec un argument simple : c’est un PC comme les autres, mais c’est un IBM ! Et fabriqué en Chine, il est moins cher ! Et puis, les ambitions mondiales de Lenovo trouvent ici une réponse adaptée ! Pour devenir un acteur de premier plan des PC et accéder au trio de tête, le fabricant aurait dû développer son réseau de distribution. Ici, il s’offre un réseau construit et prestigieux, qui de plus adresse une clientèle en grande partie acquise, voire fidèle ! Quelle sera d’ailleurs la réaction de cette clientèle ? Si Lenovo maintient le niveau de services tout en adoptant une stratégie tarifaire plus agressive – ce qui lui sera plus facile à réaliser, son outil industriel est plus récent et mieux adaptée à appliquer des réductions de coûts ? l’affaire est gagnée. Mais cela reste à prouver? IBM, le services, le Power et la marge ! Du côté d’IBM, l’affaire est plus complexe. Certes, Big Blue se ‘débarrasse’ d’un encombrant et peu rémunérateur outil industriel largement amorti, et d’une préoccupation de parts de marché qui lui échappe depuis quelques années. De plus, depuis qu’IBM a basculé sur les services, le PC n’est plus stratégique pour la firme, alors qu’il consomme des ressources. Produit banalisé, la pilule ne devrait pas être trop difficile à avaler pour les clients. L’expérience de Lexmark, la filiale imprimantes d’IBM devenue indépendante et particulièrement rentable, milite pour la cession. Si Lenovo maintient le niveau de service, comme nous l’avons évoqué plus haut, l’opération sera transparente pour les clients, et l’image d’IBM ne sera pas touchée. Et quand bien même ! En revanche, IBM se débarrasse d’un lourd passé, stratégiquement encombrant et économiquement discutable. Attention, Big Blue en liberté, Power en plus ! IBM tourne la page du x86 et se retrouve avec les coudées franches pour faire enfin de Power un acteur margeur du marché des serveurs, du HPC, du stockage, et pourquoi pas une alternative industrielle aux environnements PC de bureau (sous Linux par exemple) et de salon au moment où le marché domestique bascule vers l’électronique grand publique. Et qui donc peut affirmer que le marché Linux, sur lequel IBM est un acteur incontournable, et probablement le géant le plus impliqué, restera associé à Intel ? La prochaine génération des stations de bureau sous Linux, qui tarde à émerger malgré les signes avant coureurs et la volonté de certaines organisations gouvernementales, devra-t-elle être motorisée x86 ? La création du Power.org (lire notre article) à l’initiative d’IBM, et l’adhésion au projet d’acteurs majeurs de l’informatique et de l’industrie de l’électronique grand publique, est la démonstration que le marché recherche ?et propose- de nouvelle alternatives. IBM a déjà dans le passé démontré son pouvoir de persuasion, les nouveaux Mac d’Apple ne sont-ils pas équipés PowerPC ? Surtout que l’évolution des technologies demande aujourd’hui des processeurs qui disposent de capacités de design évolutives, ainsi que de capacités étendues de calcul en virgule flottante, une mission qui échoit aux plateformes 64 bits. Mais qui nécessite aussi de disposer d’un outil industriel adapté, comme IBM, par hasard ! D’ailleurs le centre développé en commun avec l’Université de Pékin et destiné aux développements d’application Linux sous Power vient de se voir promettre par Big Blue le recrutement de 150 nouveaux ingénieurs. Liberté retrouvée, hors du carcans des environnements x86, et activités recentrées autour des services et des technologies Linux, IBM pourrait relancer sa machine à innovations, et le cession de la division Personal Systems Group à Lenovo être marquée d’un pierre blanche dans l’histoire de Big Blue.