Linky, c’est aussi un projet de Big Data

Le compteur électrique communicant Linky va générer beaucoup de données, mais leur exploitation reste soumise à un équilibre très fin. Pour ERDF, il s’agit à la fois de laisser le consommateur maître de ses données, tout en accompagnant la transition énergétique des territoires, grâce à des informations agrégées.

La lumière, toute la lumière. En plein déploiement de Linky – avec 600 000 équipements déjà posés -, ERDF veut éviter tout malentendu sur l’utilisation des données que vont générer les 35 millions de compteurs communicants qui seront installés dans les foyers français d’ici 2021. Une façon de calmer la fronde qui gagne dans certaines communes, en raison de la dangerosité supposée des ondes émises par le compteur mais aussi des atteintes à la vie privée qu’il engendrerait.

Pour le distributeur, l’enjeu affiché est à la fois d’exploiter la richesse des données de consommation que va produire Linky, tout en rassurant les clients, qui doivent garder le contrôle des informations détaillant leur consommation. Pas évident, en tout cas sur le papier. « Dans le cadre de notre programme de transformation digitale, nous avons mis en place, voici environ un an, une gouvernance des données afin de définir comment ces informations seront mises à disposition et comment elles seront protégées », résume Christian Buchel, le Chief Digital Officer d’ERDF en charge du sujet au sein de la filiale d’EDF.

Dans les faits, les lignes de démarcation sont déjà bien définies. « Les données de consommation appartiennent aux clients ; on ne peut rien faire sans son consentement, qui doit être formellement tracé », résume Jean-Lorain Genty, un membre de l’équipe nationale sur le programme Linky. Une politique sur laquelle toute l’Europe est en train de converger. En clair, tant la courbe de charge intrajournalière – qui recense l’évolution de la consommation au cours de la journée – que le relevé journalier restent la propriété des clients. Et, si ce dernier est transmis au gestionnaire du réseau – afin d’être consultable par le client sur un site Web -, les informations plus détaillées, à une maille de 30 minutes, sont enregistrées par défaut en local. « Le compteur Linky, dans sa version de base, met à disposition des clients, sur leur smartphone, leur ordinateur ou leur télévision, les informations relatives à leur consommation électrique de la veille, avec des alertes de consommation en kilowattsheure », résumait début février Philippe Monloubou, le président du directoire d’ERDF dans une audition à l’Assemblée nationale. Les informations des cinq derniers mois d’utilisation resteront stockées sur le compteur.

Faciliter la transition énergétique

Pour ERDF, cet équilibre permet d’apporter de premiers bénéfices aux usagers. A commencer par une facturation juste, grâce à la télérelève ; or, cette question de la justesse des montants réclamés est l’objet de 50 % des réclamations de clients, selon ERDF. Linky doit aussi déboucher sur une plus grande souplesse dans la gestion des abonnements. Les changements en la matière seront possibles à distance, sous 24 heures.

Pour aller plus loin, le consommateur devra accepter de transmettre sa courbe de charge au distributeur et/ou à son opérateur. Dans ce cas, le client pourra analyser plus finement sa consommation pour opter pour l’offre la plus adaptée. « Aujourd’hui les consommateurs n’ont accès qu’au système heures pleines / heures creuses. Avec Linky, cette variabilité pourra prendre de nouvelles formes », assure Jean-Lorain Genty.

Buchel
Christian Buchel

Mais le rôle du distributeur ne s’arrête pas à l’information des usagers du réseau. Loin s’en faut. « Notre rôle consiste à rendre possible la transition énergétique sur les territoires, notamment en mettant à disposition de ces derniers des données agrégées », détaille Christian Buchel. La loi de transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) prévoit aussi que les propriétaires d’immeuble aient accès aux données de consommation. Tout comme les collectivités donc, appelées à les exploiter pour bâtir leur plan dit ‘climat air énergie’. Pour ces usages sociétaux, ERDF devra fournir des données de production et de consommation d’électricité. « Nous attendons le décret qui précisera le pas de temps et la maille qui seront choisis pour agréger les données des foyers », précise Jeff Montagne, responsable de la gouvernance des données chez ERDF. La maille Iris (regroupant 1 500 foyers, une norme déjà exploitée par l’Insee) devrait être retenue comme socle de cette anonymisation de données.

Une Fabrique regroupant des data scientists

Ces agrégats de consommation et de production seront mis à disposition gratuitement par la société. « Et ces données seront quasiment toutes placées en Open Data, couplées à des éléments permettant de les normaliser, comme la météo », ajoute Jean-François Montagne. Le distributeur a par ailleurs déjà créé le réceptacle pour les jeux de données qu’il libère. « Toutes les données concernées par le futur décret rejoindront ce site », assure Christian Buchel. Et ERDF d’espérer voir des start-up s’emparer de ces jeux de données pour en trouver de nouvelles exploitations.

Pour mettre en place ce volet un peu souterrain du projet Linky, ERDF a investi dans des compétences et des outils. Le distributeur a notamment mis en place deux centres de stockage de données en France, exploitant une technologie Teradata. Sans oublier une cellule regroupant ses expertises en matière de traitement de données : baptisée la Fabrique numérique, celle-ci regroupe une quarantaine de data scientists. « Elle irrigue de façon transverse tous les projets du groupe », précise Christian Buchel. C’est ainsi que la Fabrique numérique s’est attelée à la maintenance prédictive du réseau, sur la base de données internes structurées et non structurées, exploitées dans le datalake de l’entreprise. Deux pilotes sont en passe d’être finalisés.

Un modèle de données construit avec la DSI

jeff montagne
Jeff Montagne

Pour Jeff Montagne, qui s’exprimait sur la gouvernance de la donnée chez ERDF lors du récent salon Big Data Paris, la cellule interne en charge de la data doit appréhender des enjeux liés à la mise en commun de grands volumes d’informations : « dès qu’on veut exposer des données, leur qualité devient forcément une priorité. Par ailleurs, dans une entreprise comme ERDF, le concept de silos de données reste bien présent. Les casser nécessite des efforts tant culturels que techniques. » Selon Jeff Montagne, le groupe manipule 4 000 objets métiers environ. « Avec la DSI, nous avons établi un métamodèle à 80 % bijectif afin de passer d’un objet métier à un objet IT et vice-versa », ajoute le responsable de la gouvernance de la donnée.

Cette cellule Big Data est un des volets du programme de transformation numérique lancé par ERDF, voici 18 mois. Animé par une cellule d’une quinzaine de personnes et doté d’un budget dédié, ce programme est décliné en une feuille de route pour chaque métier de l’entreprise. « Nous voulons être le distributeur européen le plus ambitieux sur le sujet en mettant le digital au cœur de la stratégie d’entreprise, assure Christian Buchel. La DSI est un partenaire clé de ce programme : je ne dis pas que cette association est toujours facile, mais nous avançons ensemble. Le développement des API a par exemple été mené en collaboration avec la DSI. »

Trois niveaux de sécurité

compteur Linky © ERDFA ce volet sur la gouvernance de la donnée, s’ajoute le chantier relatif à sa protection. Un enjeu évidemment essentiel tant pour la sécurité de l’infrastructure Linky que pour la confiance que les consommateurs lui accordent. « Nous travaillons de manière directe avec l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI), qui a émis des recommandations », a précisé Philippe Monloubou aux parlementaires de la commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale. Des mesures ont été prises à trois niveaux. Sur le compteur d’abord, où les données sont chiffrées. Installés par grappes de cinquante à cent unités en moyenne, ces compteurs communiquent ensuite avec un concentrateur installé au sein des postes de transformation, où est installé un boîtier de sécurisation embarquant une clef de chiffrement. Enfin, le système d’information national qui consolide l’ensemble des informations est lui-même protégé via l’usage d’autres clefs de chiffrement. « Personne ne peut jamais dire que la sécurité est garantie à 100 %, mais, au stade de développement des technologies actuelles, le niveau garanti est ce qu’on peut faire de mieux, a assuré le président du directoire du distributeur. Les entreprises étrangères viennent d’ailleurs voir comment nous procédons. »

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