Linux en Chine: vrais et faux paradoxes s’affrontent…

Le salon Linux Expo à Shanghai est le théâtre d’un déballage sur la place publique: dans un
régime toujours hypersensible s’agissant de sa sécurité nationale, le débat sur Linux et l’Open Source n’est pas censuré. Etonnant.

Shanghai, Exhibition Center – Reportage.

La Chine et la France continuent d’entretenir de bonnes relations. Plus que le montant des transactions ou l’éventuel déséquilibre des échanges, les hommes d’affaires comme les politiques des deux nations, échangent leurs impressions avec beaucoup de civilités et de franchise. C’est très manifeste à Shanghai, cité, qui comme Ghanzhou (Canton) évoque le négoce et les plus belles pages de « La Condition Humaine ». Ici, André Malraux n’aurait guère trouvé matière idéologique, il est vrai (où donc retrouver, dans la Shanghai occidentalisée, l’héritage de la Grande Marche?!). Le goût du débat subsiste, pourtant. Celui concernant les logiciels propriétaires (Microsoft) versus « l’open world » de Linux ne manque pas d’être très asiatiquement assaisonné. Fort peu à la mode pékinoise ici, disons-le. Premier fait: le gouvernement a officiellement déclaré qu’il convenait de promouvoir les systèmes d’exploitation ouverts tels que Linux, dans tout le pays, notamment dans les administrations. Les justifications sont multiples, mais l’une fait la quasi-unanimité nationale: un certain système d’exploitation majoritaire, d’origine américaine, ouvre des fenêtres d’applications et de connexions souvent incontrôlées, qui pourraient entamer la sécurité du pays (comme il avait été question de ‘backdoors’ espionnes sur certains équipements de routage ou de dispositifs cachés sur Internet). La justification économique souvent invoquée (Linux gratuit face aux licences de Microsoft trop onéreuses…) ne tient pas à l’examen des faits: c’est désormais admis ici ?ou du moins exprimable ici. Il est de notoriété publique que Windows circule largement dans la plupart des écoles et des universités -copies pirates et copies offertes par l’éditeur comprises. Or la générosité de ce dernier s’est soudainement émancipée ces derniers temps!? -nous ont affirmé plusieurs professionnels. Dans le même temps, la pénétration de Linux, en dépit des grandes déclarations officielles, serait infime, en particulier sur les postes de travail. Certes, on vous exhibe ici ou là des statistiques qui voudraient prouver le contraire. Mais elles ne tiennent pas face aux affirmations des distributeurs ou SSII. Linux en est ici comme chez nous au b-a-ba. Plus préoccupant encore, les acteurs de l’Open Source qui croient trouver ici un nouvel Eldorado, réalisent que leurs espérances de se rémunérer non pas sur le logiciel lui-même (gratuit ou quasiment, comme il se doit) mais sur les services et la formation sont très hypothétiques sinon prématurées. Les fonds arrivent trop lentement, y compris dans l’éducation. En clair, les entrepreneurs linuxiens devront, pour se garantir un retour sur investissement, patienter longtemps, et investir encore beaucoup. C’est le pari que font certains distributeurs de Linux, comme le constate David Li, réprésentant, ici en Chine, d’ObjectWeb, le consortium proposant l’environnement Jonas, initié par l’Inria, Bull, France Télécom, Thalès… Se préparer à investir beaucoup et longtemps Deuxième constat: le gouvernement chinois a répondu positivement aux pays développés, USA en tête, qui exigeaient que les droits sur les logiciels soient respectés, et la copie pirate mise hors la loi. Donc, dans ses instructions, l’administration centrale rappelle le respect des régles du commerce international, et du copyright. Mais la réalité du coût des logiciels demeure, et celle d’une trop forte dépendance aux importations tout autant. Une conclusion (provisoire) est que les entrepreneurs et hommes d’affaires occidentaux ont raison de ne pas vouloir passer à côté du potentiel colossal du marché chinois. Mais ils doivent se préparer à investir, et plus qu’ils ne l’ont imaginé. La loi du marché?

Autre paradoxe, déconcertant aussi celui-là. Qui affirme qu’entre Linux et Windows, c’est le marché qui forcera la décision? Certains de nos interlocuteurs chinois, managers de l’un de ces centres d’activité ‘software’ le répètent à l’envi. N’essayez pas de leur rappeler que leur gouvernement, comme celui de certains grands comptes européens, de l’administration notamment ou la Commission européenne, considèrent que les règles du marché ayant été faussé par des situations de quasi monopole, c’est par décision « politique » que le marché de Linux ou de l’Open Source doit être soutenu. Entendre le contraire ici relève soit de l’intoxication, soit d’un réel désir d’émancipation. Au choix…