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Logiciels d’occasion : l’arme des DSI pour contrebalancer les audits des éditeurs

Une licence logicielle inutilisée peut-elle être revendue à une autre entreprise ? La question, qui intéresse au plus haut point DSI et directions des achats, reste entourée d’un certain flou. « Les contrats de licences ne prévoient pas de conditions de revente, remarque Philippe Rouaud, pilote du groupe achats au sein du Cigref (club réunissant les DSI de grandes entreprises françaises). Et les éditeurs ne communiquent pas sur le sujet. » Pourtant, un arrêt de la Cour de Justice de l’UE, datant de juillet 2012 (dans le cadre d’une affaire opposant Oracle à un spécialiste de la licence d’occasion Usesoft, aff. C-128/11) ouvre la voie à la généralisation dans toute l’Europe de cette pratique qui existe déjà en Allemagne et en Grande-Bretagne (dans des proportions limitées toutefois).

Selon Softcorner, une start-up créée voici un an, l’intérêt de ce marché secondaire réside dans l’optimisation du parc de licences. Autrement dit, dans la valorisation de ce qu’on appelle le sur-licensing, ces licences que l’entreprise possède mais dont elle ne sert pas. Dans un livre blanc co-écrit avec le Cigref, Softcorner répertorie les différents cas possibles de sur-licensing : fusions-acquisitions (souvent synonyme d’abandon d’une partie du parc), réductions d’effectifs, décommissionnement d’anciennes applications en vue d’une migration, abandons de projets, liquidations d’entreprise, pratiques de sur-acquisition (consistant à acquérir plus de licences que nécessaire afin d’anticiper une croissance des besoins tout en bénéficiant des conditions du contrat de départ). Softcorner va jusqu’à estimer que le sur-licensing représente en moyenne 25 % du budget logiciel d’une entreprise. « Les grandes DSI ont des quantités colossales de licences inutilisées », affirme Habibou M’Baye, président et co-fondateur de la société (en photo).

Le coût du logiciel augmente

Une manne qui, selon cette jeune entreprise, pourrait représenter un potentiel de 2 à 3 milliards d’euros en Europe. 25 % de ce total (de 500 à 750 millions donc) provenant de France. On estime que la valeur moyenne d’un logiciel d’occasion équivaut à 50 % de son prix d’acquisition. Surtout, pour les DSI, l’occasion constitue une arme permettant de rééquilibrer la relation avec les éditeurs.

Selon le cabinet Forrester, la part du logiciel dans les budgets IT est en effet passée de 32,3 % à 34,9 % entre 2009 et 2013, alors que ceux-ci sont eux-mêmes en croissance. « Les coûts des contrats de maintenance ne sont pas toujours stables dans la durée et des licences supplémentaires doivent être acquises du fait du changement des métriques qui évoluent à la seule initiative de l’éditeur, même si l’usage n’a pas changé. La dépense augmente sans qu’aucune valeur supplémentaire n’ait été créée », résume Markus Schomakers, directeur des opérations IT de Carrefour dans le livre blanc publié par le Cigref. Et les grands éditeurs n’hésitent pas à tordre le bras de leurs clients via des audits visant à détecter les cas de non-conformité. Car, si le sur-licensing existe, il cohabite avec le sous-licensing, fruit d’une mauvaise maîtrise du parc par les entreprises, d’erreurs d’interprétation des contrats de licences et, très rarement, d’une volonté de frauder. « Une part non négligeable des licences est aujourd’hui vendue après des audits », note ainsi Philippe Rouaud, par ailleurs directeur de l’ingénierie et du SI de France Télévisions. Une récente décision de justice illustre d’ailleurs les dérives des audits de licences.

Plusieurs conditions manquent à l’appel

Reste que le marché de l’occasion est des plus embryonnaires en France. « Au sein du club achats, aucun membre n’a pour l’instant expliqué avoir acheté ou vendu des licences d’occasion. Ce marché ne s’est pas encore réellement développé, mais l’intérêt est bien réel », résume Philippe Rouaud, pour qui l’occasion peut être une solution intéressante quand le parc grossit sans qu’il y ait une volonté d’aller vers de nouvelles versions. Mais, pour le DSI de France Télévisions, plusieurs conditions manquent encore à l’appel. D’abord des conditions contractuelles « claires sur les modalités de revente et sur les implications en terme de maintenance » (maintien, conditions de reprise ou de non poursuite). Ensuite, une jurisprudence au niveau des tribunaux français, le DSI restant persuadé que « les éditeurs ne bougeront qu’une fois que le droit les y obligera ». Enfin, une offre attractive en terme de versions sur les places de marché de licences d’occasion. Bref, le marché attend un réel détonateur.

S’y ajoutent quelques questions pratiques. Le DSI remarque ainsi que « le jugement de la Cour européenne donne la possibilité de revendre la totalité de la commande. Or, les éditeurs proposent de plus en plus des contrats globaux couvrant l’intégralité du parc. » Une entreprise pourra-t-elle revendre quelques licences intégrées à un contrat plus large ? La question reste sujette à interprétation car, de son côté, Habibou M’Baye a une lecture différente du sujet. « Il faut distinguer le package produit, vu comme une unité insécable, de l’achat groupé de produits, détaille-t-il. Dans le premier cas, celui de la suite Office par exemple, on ne peut pas dépackager le produit. Mais, dans le second, la séparation des licences ne pose aucun problème. »

Même optimisme sur la maintenance. Pour le président de Softcorner, « difficile, en droit, de concevoir qu’un éditeur refuse la maintenance à un possesseur légal d’un de ses produits ». Ce qui n’a pas empêché Softcorner de s’intéresser à des prestataires de TMA (tierce maintenance applicative) indépendants des éditeurs. « Le MCO (Maintien en conditions opérationnelles, NDLR) revient alors souvent 50 % moins cher que celui des éditeurs et la satisfaction est la plupart du temps au rendez-vous », assure le co-fondateur de la start-up.

Les grands comptes vendent, les PME achètent

Ce dernier reconnaît toutefois que le marché de l’occasion a besoin d’un déclic pour se développer en France : « Il manque une meilleure perception des enjeux au sein des entreprises, qui souffrent parfois d’une méconnaissance de leur parc, et le retour d’expérience de quelques pionniers. C’est encore un sujet d’évaluation chez les juristes et les décisionnaires. Les choses avancent au rythme des grands comptes ». Autrement dit pas bien vite.

Softcorner explique compter aujourd’hui quelque 400 utilisateurs de sa place de marché d’achat et de vente de licences d’occasion, pour environ 30 clients actifs. « Aujourd’hui, la moitié des vendeurs sont des grands comptes qui souvent décommissionnent des applications, l’autre moitié sont des ETI, dit Habibou M’Baye. Le plus souvent, les acquéreurs sont des DSI de PME ayant des besoins en logiciels complexes, de petits budgets et un poids de négociation insuffisant auprès des éditeurs. Les achats émanent aussi de PME d’Europe de l’Est. »

« Nous faisons le pari que les éditeurs monteront à bord, ajoute cet ancien de Webhelp. Aujourd’hui, ils n’ont aucun intérêt à encourager ce marché : ils entretiennent le flou et glissent quelques peaux de bananes. Mais il s’agit là d’une position avant tout dogmatique. Car la revente d’occasion constitue souvent une opération neutre, voire rentable pour l’édition de logiciels. Elle permet de réactiver une licence inactive, donc d’élargir la base clients et surtout de commercialiser des services de maintenance au tarif catalogue. »

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Crédit photo : Matyas Rehak / Shutterstock.com

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